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Génie intemporel et vieilles stèles

Freiburg
Konzerthaus
06/17/2005 -  
Bohuslav Martinu : Gilgamesh
Leos Janacek : Sinfonietta

Gunnel Bohman (soprano ), Stefan Margita (ténor), Wojtek Drabowicz (baryton ),
Ralf Lukas (basse), SWR Vokalensemble de Stuttgart, SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg, Sylvain Cambreling (direction)

Gilgamesh fait partie de l’impressionnante série de chefs-d’oeuvre suscités ou commandés au siècle dernier par le mécène et chef d’orchestre bâlois Paul Sacher. Le projet de mettre en musique des fragments de l’épopée sumerienne de Gilgamesh, sans doute le plus ancien mythe connu (on le situe entre le XIXe et le XVIe siècle avant J.C.), avait été suggéré à Martinu par l’épouse de Paul Sacher alors qu’elle revenait tout juste d’une visite au British Museum. Mais l’idée était de toute façon en phase avec une inclination naturelle de Martinu pour ces textes sumériens archaïques, qu’il avait déjà abordés antérieurement (en écrivant notamment son poème symphonique Istar, après la fin de la première guerre mondiale).


Dans la carrière de Martinu Gilgamesh est une œuvre beaucoup plus tardive qui bénéficie de l’extraordinaire clarté d’écriture de la «dernière manière» du compositeur. L’orchestre sonne souvent de façon imposante et pourtant il est relativement réduit (la création a été dirigée par Paul Sacher, à la tête de son Orchestre de chambre de Bâle, certes étoffé pour la circonstance mais pas gigantesque), avec un rôle important dévolu au piano et aux percussionnistes, les vents et les cuivres restant quant à eux maniés avec une certaine parcimonie. Dans la salle de dimension moyennes du Konzerthaus de Freiburg l’effet obtenu est saisissant, Sylvain Cambreling parvenant à merveille à raffiner les équilibres, en faveur d’une transparence et d’une certaine minéralité du son, tout à fait en accord avec l’intemporalité du sujet. Cela dit, l’œuvre n’a rien du hiératisme néo-classique de l’Oedipus Rex de Stravinsky, par exemple. Au contraire Martinu semble s’être ressourcé au contact des folklores les plus épurés de son pays natal, pour retrouver une sorte d’absolu populaire, idéalement en phase avec un mythe extrêmement lointain. Et bien qu’inspiré de stèles d’une antiquité figée, Gilgamesh se révèle un oratorio d’une énergie vibrante, qui nous renvoie sans lourdeur aux grands questionnements sur la mort, la maladie, l’éternité… des problématiques toujours actuelles. Sur près d’une heure de musique aucun ennui ne parvient à s’installer, ce d’autant plus que la distribution vocale est de haute volée, notamment l’excellent Chœur de Chambre de la Radio de Stuttgart, dont l’effectif relativement réduit suffit à atteindre un rayonnement vocal extraordinaire. C’est d’ailleurs dans cette écriture chorale, très développée, que Martinu atteint de vrais sommets d’inspiration, peut-être davantage que dans les parties de solistes qui accusent parfois quelques passages de moindre intérêt (accentués par la répartition de longues phrases parlées entre les différentes voix, et non à un récitant autonome). Excellentes prestations, en tout cas, du ténor Stefan Margita, du baryton Wojtek Drabowicz et de la basse Ralf Lukas, la soprano Gunnel Bohman, au timbre un peu engorgé, restant un rien en retrait.


Ce concert de l’Orchestre du Südwestfunk a été rejoué le lendemain à Coblence, avec cette fois en première partie le Thamos, roi d’Egypte de Mozart. Un couplage évidemment fascinant quant à ses rapports différenciés avec une antiquité lointaine, et que l’on aurait préféré à la Sinfonietta de Janacek programmée à Freiburg. En dépit d’une virtuosité irréprochable (la tenue des cuivres est parfaite), l’orchestre n’y semble pas vraiment à son affaire. Sylvain Cambreling a beau se dépenser pour tenter de faire lever une pâte instrumentale trop compacte (jusqu’à abuser d’effets de dépliement du corps dans tous les sens qui finissent par incommoder visuellement), Janacek en reste ici au stade d’une musique sans vraie cohérence, dont les ressorts dramatiques ne sont pas trouvés.


Un demi-événement donc, mais assurément un très beau plaidoyer pour Gilgamesh, un classique incontournable du XXe siècle.



Laurent Barthel

 

 

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