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Playtime Paris Cité de la musique 06/17/2005 - Johann Sebastian Bach : Fugue, BWV 578 – Badinerie extraite de la Suite n° 2, BWV 1067 (arrangements Ward Swingle)
Frédéric Chopin : Prélude, opus 28 n° 4 (arrangement Joanna Forbes)
Henry VIII : Pastime with good company (arrangement Ward Swingle)
Traditionnel : Amazing grace (arrangement Joanna Forbes)
Claude Debussy : La Cathédrale engloutie (arrangement Tom Bullard)
Maurice Ravel : Boléro (arrangement Tom Bullard)
Michel Legrand : L’Eté 42 (arrangement Ward Swingle)
Georges Van Parys : Un jour, tu verras… (arrangement Ward Swingle)
Claude Nougaro : Le Jazz et la java (arrangement Ward Swingle)
Richard Rodgers et Lorenz Hart : Have you met Miss Jones? (arrangement Alexander L’Estrange) – The Lady is a tramp (arrangement Tom Bullard)
Miles Davis : So what (arrangement Bertrand Groeger)
Duke Ellington : It don’t mean a thing (arrangement Ward Swingle)
Ned Washington : My foolish heart (arrangement Mark Williams)
Cole Porter : It’s all right with me (arrangement Ward Swingle)
Jimmy Rowles : A timeless place (arrangement Alexander L’Estrange)
Jerome Kern : All the things you are (arrangement Ward Swingle)
Antonio Carlos Jobim : The Girl from Ipanema (arrangement Joanna Forbes)
Quincy Jones : Soul bossa nova (arrangement Alexander L’Estrange)
John Lennon et Paul McCartney : Ticket to ride (arrangement Alexander L’Estrange) – Because/You never give me your money (arrangement Joanna Forbes) – The Fool on the hill (arrangement Jonathan Rathbone)
Nat King Cole et Irving Mills : Straighten up and fly right (arrangement Bertrand Groeger)
The Swingle Singers: Julie Kench, Meinir Thomas (sopranos), Kineret Erez, Johanna Marshall (altos), Tom Bullard, Richard Eteson (ténors), Tobias Hug, Jeremy Sadler (basses)
Après plus de deux semaines de studieuse activité (concerts, master classes de direction, rencontre pédagogique, …) centrée sur les maîtrises et chœurs de jeunes, d’une part, ainsi que sur les ensembles et chœurs de chambre, d’autre part, la deuxième Biennale d’art vocal coproduite par la Cité du musique et par Accentus se concluait par une récréation iconoclaste et débridée, proposant un programme intitulé «Jazz, Bach et java» donné par les Swingle Singers.
Ward Swingle, aujourd’hui septuagénaire mais toujours «conseiller musical» de l’octuor vocal, a sans doute passé une bien belle soirée. Car le triomphe remporté auprès des spectateurs parisiens par ceux qu’il se plaît à appeler ses «petits-enfants» avait un parfum de retour aux sources: c’est en effet en France, où ce natif de l’Alabama réside à nouveau depuis 1994, que la première formation de ses «singers» a vu le jour voici plus de quarante ans.
Mais l’ancien membre des Double Six doit en outre être heureux de constater que la nouvelle génération de ceux qui font voyager son nom dans le monde entier perpétue, au-delà même d’un esprit, d’un style et d’un temps auxquels des personnalités comme Jacques Loussier ou Wendy Carlos peuvent également être associées, une texture spécifique. Cette rondeur lisse et froide, que l’on doit aussi à l’ingénieur du son, Phil Hartley, reflète à merveille une certaine représentation de la modernité dans les années 1960, à base de confort et de technologie, depuis Les Choses de Perec jusqu’à Playtime de Tati. Et l’on comprend aisément que ce son et ce travail sur la voix aient pu séduire, en son temps, Luciano Berio pour sa Sinfonia, qui est d’ailleurs demeurée quasiment une chasse gardée de cet ensemble.
Mécanique parfaitement huilée, la machine Swingle, désormais basée à Londres et regroupant six Britanniques, une Israélienne et un Allemand, évoque une PME performante: les innombrables arrangements «maison» de courtes pièces appartenant à tous les genres et à toutes les époques, de la Renaissance à nos jours, alimentent non seulement le répertoire des concerts, mais aussi la vente de disques et de partitions, obligeamment signalée à l’attention du public durant le spectacle. Un site internet remarquablement conçu relaye cette communication active, mais force est de reconnaître que le succès tient avant tout aux qualités intrinsèques d’une prestation qui, au-delà du chant, est animée par des gestes, des chorégraphies ou même des mises en scène mettant en valeur de façon astucieuse et humoristique les différentes lignes d’une écriture à huit voix.
Même si ce sont les pièces «classiques» qui ont fait la notoriété des Swingle Singers dès 1963, avec des albums tels que Jazz Sébastien Bach, celles-ci brillent davantage par leur mise en place que par leur justesse. Et si l’arrangement aussi bien que l’interprétation de La Cathédrale engloutie de Debussy et du Boléro de Ravel (réduit à huit minutes, mais richement harmonisé) relèvent du tour de force, rien de tel, en revanche, que des expériences moins ambitieuses mais d’une efficacité stupéfiante, comme cette chanson à trois voix du roi Henry VIII Pastime with good company, emblématique de la qualité des imitations instrumentales.
Car les chanteurs, qui furent autrefois accompagnés par un batteur et un bassiste, ont pris le parti de tout faire eux-mêmes, avec leurs seules voix et en jouant habilement de leur micro: les basses Tobias Hug et Richard Eteson simulent (et miment) ainsi dans maint morceau respectivement la contrebasse et la batterie avec une précision étonnante, mais la trompette ou le trombone (avec sourdine), les cromornes ou les guitares (électriques) sont également restitués avec un réalisme saisissant.
Comme il y a du swing dans Swingle, ce sont le jazz et la variété qui convainquent le plus. Faisant se succéder L’Eté 42 de Michel Legrand, Un jour, tu verras… de Georges Van Parys (popularisé par Mouloudji) et Le Jazz et la java de Claude Nougaro, Ward Swingle a concocté une Suite française en trois temps: ces superbes adaptations sont malheureusement obérées par un accent qui en rend trop souvent les paroles incompréhensibles. Mais le groupe s’impose tant dans le peps étincelant des songs de Rogers et Hart (Have you met Miss Jones?, The Lady is a tramp), de Miles Davis (So what) et d’Ellington (It don’t mean a thing) ou de The Girl from Ipanema, que dans le raffinement moelleux de chansons bien plus mélodiques que rythmiques des Beatles (Ticket to ride, Because/You never give me your money, The Fool on the hill).
En bis, Mission: Impossible de Lalo Schifrin puis La Panthère rose de Henry Mancini ne calment évidemment pas l’enthousiasme de la salle, qui restera sur un Good night (à nouveau des Beatles) fort approprié.
Le site des Swingle Singers
Simon Corley
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