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Festival de Pentecôte 2005 : un très grand cru

Baden-Baden
Festspielhaus
05/14/2005 -  

Festspielhaus, 05/14*, 16 et 18/2005
Wolfgang Amadeus Mozart : Die Zauberflöte
Georg Zeppenfeld (Sarastro), Christoph Strehl (Tamino), Rachel Harnisch (Pamina), Erika Miklosa (la Reine de la Nuit), Markus Werba (Papageno), Julia Kleiter (Papagena), Caroline Stein (1ere Dame), Heidi Zehner (2e Dame), Anne-Carolyn Schlüter (3e Dame), Wolfgang Brendel (l’Orateur), Kurt Azesberger (Monostatos), Festspielchor Baden-Baden, Mahler Chamber Orchestra, Claudio Abbado (direction), Daniele Abbado (mise en scène), Graziano Gregori (décors), Carla Teti (costumes)


Festspielhaus, 05/20/2005
Joseph Haydn : Die Jahreszeiten
Camilla Nylund (soprano), Topi Lehtipuu (ténor), Rudolf Rosen (basse), RIAS-Kammerchor Berlin, Freiburger Barockorchester, René Jacobs (direction)


Festspielhaus, 05/21/2005
Robert Schumann : Genoveva, Ouverture
Wolfgang Amadeus Mozart : Concerto pour piano No 17, K. 453
Felix Mendelssohn-Bartholdy : Symphonie No 3, «Ecossaise»

Alfred Brendel (piano), Orchestre du SWR Baden-Baden et Freiburg, Hans Zender (direction)


Festspielhaus, 05/22/2005
Wolfgang Amadeus Mozart : Sonate K. 330
Maurice Ravel : Valses nobles et sentimentales
Frédéric Chopin : Ballade No 4, Quatre Mazurkas Op.24, 2 Sonate Op.24

Kristian Zimerman (piano)

Les journées Herbert von Karajan de Pentecôte à Baden-Baden sont chaque année l’occasion de mettre les petits plats dans les grands, avec toutefois un bonheur variable et de vrais problèmes d’identité : une thématique pas assez clairement définie et trop datée (que représente encore le personnage d’Herbert von Karajan aujourd’hui, meneur d'orchestres certes irremplaçable, mais aussi valeur en voie d'usure, du moins en tant que «mythe» à célébrer ?), l’obsession du vedettariat semblant parfois tenir lieu d’unique ligne directrice...


La surprise créée par le cru 2005 n’en a été que plus agréable : une programmation variée, judicieusement resserrée sur un calendrier de dix jours, où même les grincheux seraient bien en peine de trouver à redire. Une brillante sélection de pianistes (Brendel, Kocsis, Zimerman… voire André Prévin, venu accompagner son épouse Anne-Sophie Mutter), un équilibre judicieux entre les formations invitées et des forces plus locales (l’Orchestre du Südwestfunk, l’Ensemble Baroque de Freiburg), plusieurs chefs de grande envergure (Claudio Abbado, mais aussi René Jacobs ou le trop peu connu Hans Zender), de jeunes solistes en devenir ou déjà confirmés (Matthias Goerne, venu pour une matinée investir le Festpielhaus avec son émouvante Belle Meunière)… Cette année au moins le choix s’est révélé difficile, et aucun concert n’a déçu. Même l’encombrant problème de la «thématique Karajan» a été bien résolu, avec la présence de quelques proches du maître : Anne-Sophie Mutter, pilier du Festival depuis de nombreuses années, mais aussi Claudio Abbado, voire Kristian Zimerman (qui n’a connu Karajan qu’à l’occasion d’un disque, et sans en garder, soit dit en passant, un souvenir bien concluant…).


Le centre de gravité de cette longue semaine : les trois représentations de la Flûte enchantée dirigées par Claudio Abbado et mises en scène par son fils Daniele Abbado. La production a été mise au point ailleurs, présentée quelques jours plus tôt à Reggio Emilia puis à Ferrare, mais Baden-Baden l’accueille dans le vaste vaisseau du Festspielhaus sans que la transplantation pose de réel problème. Au début le Mahler Chamber Orchestra semble se diluer dans une acoustique peu propice, mais l’oreille apprend vite à aviver au maximum ses possibilités de perception. La finesse de cette approche inhabituelle de la Flûte enchantée (Abbado n’avait jamais dirigé cet ouvrage auparavant), toute en couleurs rares, en dialogues instrumentaux d’un extrême raffinement, voire en équilibres inédits, mérite bien cet effort d’attention : une lecture hors tradition, mais qui contrairement aux tentatives de Mark Minkowski ou Daniel Harding avec le même orchestre, ne suscite que rarement l’impression d’un discours contraint ou artificiel. Tout semble vivre avec une légèreté presque surnaturelle, les instruments s’inscrivant dans une chorégraphie musicale grisante. Un spectacle sonore à part entière, que l’on pourrait d’ailleurs écouter les yeux fermés en faisant totalement abstraction du plateau. On peut s’offusquer des tempi, parfois d’une célérité ahurissante (l’air de Monostatos, tourbillon scintillant d’une myriade de ponctuations instrumentales, digne du meilleur Rossini), éprouver une certaine frustration lors des moments les plus architecturés (l’Ouverture, les grandes scènes chorales) qui pâtissent d’une approche trop cursive, déniant à l’ouvrage toute grandeur immédiate. Mais le tour de passe-passe instrumental est tellement passionnant que finalement ces insuffisances, même patentes, passent au second plan.

On tend aussi quelque peu l’oreille à la première apparition de la Reine de la nuit, étouffée par un dispositif scénique qui laisse mal diffuser la voix (silhouette étirée façon Giacometti, présentée au centre d’une sorte d’alvéole d’insecte teintée de reflets changeants…). Il faut attendre le 2e air, chanté dans des conditions physiquement moins astreignantes, pour admirer les possibilités de l’une des meilleures titulaires du rôle jamais entendues : timbre lumineux, piani impeccables, justesse acérée, projection époustouflante… on en reste ébahi : Erika Miklosa, un nom à retenir absolument. Autre découverte : la Pamina de Rachel Harnisch, maîtrisant à la perfection les maniérismes d’un chant au vibrato variable, alternant blancheurs laiteuses et colorations plus émouvantes, dans le droit fil d’une école baroque qui révèle ici son empreinte, mais sans que cela paraisse pour autant trop prémédité (le potentiel d’émotion de l’air Ach, ich fühl’s reste intact). Le reste de la distribution pêche parfois par un rien d’inexpérience (d’autant plus qu’Abbado ne semble guère préoccupé d’aider ses chanteurs par une gestique interventionniste) : le Sarastro de Georg Zeppenfeld est un peu pâle, et surtout il est durablement fâché avec la barre de mesure, les Trois Dames brillent surtout par leurs fort jolies jambes, et le Tamino de Christoph Strehl a du mal à s’échauffer (un problème récurrent chez ce chanteur, pourtant fort doué). Quant au chœur du Festival Baden-Baden, composé en fait de choristes recrutés pour la circonstance, il reste curieusement pâle (effectifs trop réduits ?). Mais ce ne sont que quelques ombres, pour un tableau qui reste très attractif, jusque dans ses détails les plus soignés (trois Tölzer Sängerknaben parmi les meilleurs jamais entendus, l’orateur luxueux de Wolfgang Brendel…). Bons et juvéniles Papageno et Papagena de Markus Werba et Julia Kleiter, mais comme il y en a bien d’autres.

De la mise en scène de Daniele abbado il n’y a que peu à dire. Pas d’originalité véritable dans la lecture (mais quelques jolies idées : l’utilisation parcimonieuse de marionnettes, l’univers tristement clownesque de Monostatos…), un dispositif scénique sobre, un peu vide, meublé à l’occasion par quelques belles constructions monumentales (l’alvéole de la Reine de la nuit, les superbes portes translucides de la scène des épreuves…), un 2e acte habilement fluide, qui évite le morcellement habituel de cette suite de scènes décousues. Tout cela manque un rien d’envergure et de rythme, mais au moins ne fatigue pas, n’agresse pas visuellement, et ne perturbe pas l’effort de musicalité des chanteurs. C’est déjà beaucoup. Et puis de toute façon, on le répète, ce soir-là le vrai spectacle se déroulait dans la fosse…


L’autre sommet du Festival, sans doute moins attendu : le concert où tout le monde accourait pour Alfred Brendel, dans le 17e Concerto pour piano de Mozart, et a eu la surprise d’être encore davantage ravi par l’extraordinaire 3e Symphonie de Mendelssohn dirigée par Hans Zender, d’une beauté et d’une finition orchestrales sidérantes. Zender ne dirige qu’épisodiquement l’Orchestre du Südwestfunk mais parvient à chaque fois à lui suggérer des sonorités d’une extraordinaire sensibilité, pour un résultat très différent des lectures plus analytiques cultivées par Michael Gielen ou plus dynamiques recherchées par Sylvain Cambreling.
Zender s’implique surtout dans une extraordinaire recherche de couleurs, le timbre de l’orchestre se modifiant en temps réel avec une merveilleuse plasticité. Les mouvements de la Symphonie Ecossaise s’illuminent ici comme des ciels de Caspar Friedrich, mais sans que la précision instrumentale habituelle de l’orchestre s’en trouve pour autant prise en défaut. Des moments uniques, tant la symbiose entre un chef et un ensemble tous deux très particuliers crée une atmosphère sans doute impossible à reproduire ailleurs, même dans les hauts lieux de prestige orchestral patiné par les ans que restent aujourd’hui Vienne, Dresde ou Amsterdam. Non content de se hisser ici au plus niveau, Baden-Baden y parvient avec ses propres moyens locaux, ce qui mérite d’être souligné. Inutile de s’appesantir par ailleurs sur le jeu miraculeux d’Alfred Brendel, dont tout le monde connaît la transparence et le calibrage infinitésimal. A noter quand même une approche redevenue plus évidente, d’un Mozart concertant abondamment trituré il y a deux ou trois ans, dans le sillage des enregistrements avec Charles Mackerras, et que Brendel restitue à nouveau maintenant avec un naturel beaucoup plus convaincant. En bis : un 3e Impromptu Op. 90 de Schubert d’une ondoyante sérénité, hors du temps.


Pianiste moins âgé, mais parvenu quand même à l’orée de la cinquantaine, Kristian Zimerman se pose beaucoup de questions, cherche beaucoup, peut-être trop. Dans la seconde partie de son récital, tout entier dévolu à Chopin, ce n’est plus la virtuosité basale, à grand renfort de traits et d’octaves, qui l’intéresse vraiment. De là peut-être l’impression d’un certain bâclage, ou du moins d’une relative indifférence à la finition de traits vite expédiés pour passer aux moments les plus intéressants. Les notes se télescopent, le piano gémit (il se désaccorde de surcroît très vite), et on se surprend à s’ennuyer un peu. Mais dès qu’il s’agit de traquer l’émotion, d’affiner le galbe d’une mélodie jusqu’à fragilité la plus bouleversante, un autre pianiste semble se réveiller, et qui emmène très loin, vers un ailleurs dont on éprouve beaucoup de difficultés à revenir (la partie médiane de la marche funèbre de la 2e Sonate : seul Ivo Pogorelich, entendu en 1999 dans la même salle, allait encore plus avant dans cette tentative de dissolution dans l’infini). En première partie : une délicieuse et toute simple Sonate K. 330 de Mozart, et de curieuses Valses nobles et sentimentales, tantôt brutalisées (jouées très vite et très fort, avec pas mal de notes à côté…), tantôt d’une subtilité debussyste qui force l’auditeur à tendre l’oreille, à l’écoute des sortilèges d’un monde sonore insoupçonné. Très belle ovation finale en tout cas, après un turbulent 2e Scherzo de Chopin généreusement accordé en bis.


On a gardé pour la fin les savoureuses Saisons de Haydn dirigées par René Jacobs, musicien dont on apprécie toujours aussi peu les interprétations mozartiennes (exagérément fluctuantes dans le tempo et dans l’expression d’une italianité théâtrale devenant presque caricaturale) mais qui détient décidément le secret d’un Haydn délicieux, terrien, optimiste, roboratif comme un dimanche à la campagne. Les Saisons, chef d’œuvre avec lequel on s’est familiarisé naguère dans des interprétations grandioses mais souvent alourdies par trop de glaise collée sous les sabots, étincellent et pétillent ici comme on ne les avait jamais entendues, fourmillant des détails d’une nature constamment changeante et d’une vie campagnarde croquée comme une succession de tableautins de genre.
Le Chœur de chambre RIAS de Berlin se révèle conforme à sa flatteuse réputation, et l’Orchestre Baroque de Freiburg, que l’on pouvait craindre trop petit et confidentiel, se révèle de bout en bout passionnant (parfois un peu à court de souffle dans les passages où Haydn élargit brutalement le champ, mais sans que cela tourne jamais au réel déficit). Merveilleux solistes aussi, d’une spontanéité toujours en situation : le Simon de Rudolf Rosen et le Lukas de Topi Lehtipuu rivalisent de naturel, sans jamais amenuiser des moyens vocaux conséquents. Remplaçant au pied levé Rachel Harnisch, l’excellente Camilla Nylund déploie tout son art de grand soprano lyrique de belle prestance, mais semble un peu tombée d’une autre planète : une Maréchale en promenade chez les paysans de Greuze, en quelque sorte.
Une soirée pleinement convaincante, en tout cas, et surtout qui se révèle à la hauteur de l’enregistrement discographique récemment paru (Harmonia Mundi), ce qui en matière d’interprétations baroques est malheureusement trop rare (de beaux disques, quand les micros sont placés là où il faut et les prises multipliées autant qu’il le faut, mais souvent un grand fouillis inaudible en concert, surtout dès que la salle est d'une certaine taille).
La rumeur annonce René Jacobs comme le maître d’œuvre d’un Don Giovanni programmé à Baden-Baden et Innsbruck en 2006 : espérons qu’il parvienne entre temps à hisser son Mozart au même niveau.



festspielhaus.de


Laurent Barthel

 

 

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