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Hommage à Marek Kopelent Paris Centre tchèque 05/27/2005 - André Jolivet : Incantations (extraits)
Maurice Ohana : Kypris
Marek Kopelent : Quatuor n° 3 – Cantus rogans – Toccata pour alto et piano
Miloslav Istvan : Quatuor n° 2
Felix Mendelssohn : Octuor, opus 20
Quatuor Wallinger: Pavel Wallinger, Jan Vasta (violon), Miroslav Kovar (alto), Jan Skdrlik (violoncelle) – Ensemble Calliopée: Cécile Daroux (flûte), Catherine Coquet (hautbois), Maud Lovett, Aurélie Debeule (violon), Karine Lethiec (alto), Véronique Marin (violoncelle), Jean-René Da Conceicao (contrebasse), Frédérique Lagarde (piano)
Dans le cadre d’un vaste ensemble de manifestations consacrées, tout au long de l’année, à la culture des années 1960, le Centre tchèque rendait hommage à Marek Kopelent. Né en 1932, membre du Groupe pragois de la nouvelle musique et directeur artistique de Musica viva pragensis (ensemble comparable au Domaine musical) à partir de 1965, il fut en effet l’une des figures emblématiques de cette période d’effervescence artistique. Mais avec la «normalisation» qui suivit l’intervention soviétique de 1968, il fut exclu de l’Union des compositeurs et fut contraint de renoncer aux fonctions qu’il exerçait aux éditions Supraphon, devant se contenter d’un poste de «répétiteur dans la classe de danse d’une école de musique populaire», jusqu’à la «Révolution de velours» où il devint brièvement conseiller de Vaclav Havel.
A défaut de quantité, c’est par la qualité que le public s’est illustré: outre Kopelent lui-même, personnalité à la fois modeste et attachante s’exprimant avec une aisance qui trahit ses études au lycée français de Prague, et Guy Erismann, présentant la soirée, on remarquait ainsi la présence de Christine Jolivet, Devy Erlih ou Noel Lee.
Deux compositeurs français étaient associés à cet hommage. D’abord André Jolivet – dont Kopelent dit avoir découvert les concertos pour trompette et pour flûte dès les années 1950 – avec trois de ses cinq Incantations (1936), données au début de chaque partie du concert par la flûtiste Cécile Daroux. Maurice Ohana, ensuite: Kopelent salue l’amoureux de la voix, rappelant qu’il avait écrit en 1996 ses Appels pour chœur et percussion afin de répondre à une commande de Musicatreize que son confrère français, décédé en 1992, n’avait pas eu le temps d’honorer. Puis les musiciens de l’Ensemble Calliopée interprètent Kypris (1985) d’Ohana: Jolivet n’aurait sans doute pas renié cette pièce de treize minutes pour hautbois, alto, contrebasse et piano, au caractère magique, fantastique et incantatoire, mais en même temps rugueuse et altière comme du Falla.
Trois œuvres de Kopelent étaient ensuite présentées. Se caractérisant par un discours figé et athématique, entrecoupé de nombreux silences, suggérant désolation et résignation, le Quatrième quatuor (1967) en évoquerait quasiment Feldman, n’était sa brièveté (huit minutes). Destiné à Jiri Barta, Cantus rogans (1990), beau récitatif pour violoncelle seul (six minutes) restitué avec expressivité par Véronique Marin, est fondé sur un matériel issu de son vaste oratorio consacré à Sainte Agnès, Lux mirandæ sanctitatis.
Enfin, Toccata (1978) relève presque du théâtre musical, opposant un clown (l’alto) et son contradicteur (le piano). Datant d’une période particulièrement sombre de la carrière du compositeur, cette confrontation assez développée (quatorze minutes), dans laquelle les musiciens se livrent à force mimiques et mouvements, peut s’analyser comme un refuge dans la dérision, en des temps difficiles, avec des bribes de citations déformées (Cinquième symphonie de Beethoven, Premier concerto pour piano de Tchaïkovski, Quatorzième sonate pour piano de Mozart), une expression délibérement outrée et versatile ainsi qu’une imitation des inflexions de la voix. Mais il est également tentant d’y voir une allégorie de la solitude de l’artiste (l’alto, provocateur et persifleur) face à une société qui n’offre que répression (violentes interruptions du piano) ou conformisme (un ut majeur au triomphalisme creux)... et qui n’en a pas moins le dernier mot: l’altiste (Karine Lethiec, faisant preuve de l’abattage requis) quitte lentement la scène tandis que le piano (Frédéric Lagarde) se lève et salue.
Toutes choses égales par ailleurs, Miloslav Istvan (1928-1990) fut à Brno ce que Kopelent fut à Prague: un important animateur de la vie musicale, membre du Groupe créatif «A» (1963) mais aussi de l’Equipe de composition de Brno, attachée à à la composition (électro-acoustique) collective. Son Second quatuor (1986), bien que créé près de soixante ans après la mort de Janacek, semble peiner à se détacher de la puissante emprise de l’illustre Morave, que l’on identifie immédiatement dans le recours à de courtes cellules à peine développées. Istvan, qui s’est intéressé aux traditions populaires des Balkans, de l’Asie et de l’Afrique, paraît en outre influencé par l’Ecole de Vienne (tendance Berg), le minimalisme américain ou les juxtapositions rhytmiques d’un Ligeti, le tout produisant, treize minutes durant, une surprenante et rafaîchissante hybridation.
Le Quatuor Wallinger, excellent dans les partitions de Kopelent et Istvan, était rejoint par quatre membres de Calliopée pour jouer l’Octuor (1825) de Mendelssohn: malgré quelques imprécisions et déséquilibres, cette ensemble ad hoc rend justice à l’essentiel, c’est-à-dire à la célébration du plaisir de se retrouver dans une formation doublement paritaire d’hommes tchèques et de femmes françaises et, du même coup, au débordement juvénile des mouvements extrêmes, quoique peut-être au détriment de la poésie dans les mouvements centraux.
Simon Corley
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