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Lupu souverain Paris Théâtre du Châtelet 05/26/2005 - et 9 (Dublin), 12 (Cambridge), 15 (Bradford on Avon) décembre 2004, 18 mars 2005 (Rome) Ludwig van Beethoven : Variations en ut mineur, WoO 80 – Sonate n° 28, opus 101
Alban Berg : Sonate, opus 1
Franz Schubert : Sonate n° 20, D. 894
Radu Lupu (piano)
Radu Lupu, qui fêtera ses soixante ans le 30 novembre prochain, est un pianiste rare à tous les sens du terme: rare par ses apparitions en concert, rare surtout par la fascination qu’il exerce sur le public. Et il fallait donc se réjouir de pouvoir l’entendre dans le cadre de la saison de Piano ****, où, comme Stephen Kovacevich en mars dernier (voir ici), il organisait son récital autour de grandes sonates de Beethoven et de Schubert. Mais le rapprochement s’arrête là, car si ces deux artistes partagent évidemment un exceptionnel niveau d’exigence au service de la musique, il est en même temps difficile d’imaginer personnalités plus différentes.
Les Variations en ut mineur (1806) de Beethoven apparaissent peu souvent à l’affiche: imposant d’emblée une présence intimidante et une grande variété de jeu, Lupu rend justice à cette série de brefs épisodes très contrastés, situant l’œuvre à mi-chemin entre Haendel et Brahms. Bien que les attaques se fassent parfois un peu dures, sa technique, si formidable soit-elle, ne devient jamais objet de démonstration. Pour des raisons qui demeurent assez peu évidentes, la Sonate (1908) de Berg suit immédiatement, les spectateurs ayant été préalablement invités à ne pas applaudir entre les deux pièces. Bien plus dans la souplesse et la douceur que dans Beethoven, Lupu conjugue précision dans l’étagement des plans sonores et grands élans postromantiques.
Dans la Vingt-huitième sonate (1816) de Beethoven, il trace son chemin avec calme et fermeté; stylistiquement irréprochable, jamais anecdotique, il s’en tient, si l’on peut dire, à la musique pure, laissant peu de place à l’humour et à la légèreté, voire au charme. Mais cette netteté, cette droiture et cette concentration n’étouffent nullement l’expression, mettant au contraire en valeur la moindre inflexion du texte.
De la Vingtième sonate (1826) de Schubert (en sol majeur), Lupu a gravé pour Decca, voici plus de trente ans, un enregistrement qui est devenu une référence. Si la partition est parfois sous-titrée Fantaisie, rien de tel ici – sinon peut-être le souci d’enchaîner sans interruption les quatre mouvements dans un long voyage (quarante-trois minutes) – car Lupu privilégie la rigueur de la construction, la maîtrise des gradations et l’éloquence du propos, nullement incompatibles avec la subtilité des phrasés, la délicatesse des nuances, le refus du pathos et la fluidité du discours: une perfection fascinante par sa limpidité et son intériorité.
Les bis, extrêmement généreux, prolongent ce moment magique, d’abord avec Schubert – Adagio central des Cinq pièces pour piano (1816), parfois présentées sous le nom de Troisième sonate – puis, dans un changement radical de climat, avec deux pages de Debussy – D’un cahier d’esquisses (1903) étant suivi d’un extrait du Premier livre des Préludes, La Cathédrale engloutie (1910) – confondants de finesse, de velouté et de profondeur.
Simon Corley
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