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Coexistence pacifique

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
04/28/2005 -  
Aaron Copland : El Salon México – Concerto pour clarinette, orchestre à cordes, harpe et piano
Aram Khatchaturian : Concerto pour piano
Dimitri Chostakovitch : Suites pour orchestre de jazz nos 1 et 2

Julian Bliss (clarinette), Vahan Mardirossian (piano)
Orchestre national de France, Yutaka Sado (direction)


L’Orchestre national de France proposait un long et passionnant programme comprenant des musiques écrites, pour l’essentiel, durant les années 1930 et originaires des Etats-Unis ainsi que de l’Union soviétique. Alors que les deux grandes puissances allaient, après 1945, s’engager, avec la guerre froide, dans un conflit politique et idéologique durable, ce concert relevait plutôt de la coexistence pacifique, suggérant des rapprochements entre les partitions de trois de leurs compositeurs nés au début du siècle: intégration d’apports extérieurs (folklore, jazz), primat de la mélodie et du rythme, souci de la couleur, dont témoignent notamment les instruments qui se succèdent sur scène (calebasse, flexatone, accordéon, banjo, guitare hawaïenne).


En digne disciple de Bernstein, Yutaka Sado se montre naturellement à son aise avec Copland, ouvrant la fête avec un El Salon Mexico (1936) plein de punch. Mais la première partie était essentiellement dévolue à une œuvre soviétique exactement contemporaine: plus rare mais aussi plus aventureux et plus décousu que son Concerto pour violon, le Concerto pour piano (1936) de Khatchaturian s’inscrit dans la descendance de Tchaïkovski, Rachmaninov ou Prokofiev, même si le compositeur y fait déjà un large usage de la tradition musicale arménienne. Natif d’Erevan et doté d’une technique impressionnante, Vahan Mardirossian est assurément l’un des mieux placés pour faire triompher l’indéniable sincérité d’un propos malheureusement entravé par une orchestration massive. Aux antipodes de cette fresque quasi épique, il offre en bis un sobre et délicat Prélude en si mineur (BWV 855a) de Bach, extrait du Klavierbüchlein für Wilhelm Friedemann Bach (1720) et arrangé par Alexandre Siloti.


Retour à Copland, en début de seconde partie, pour son non moins rare Concerto pour clarinette, orchestre à cordes, harpe et piano (1948): bien que la création en ait été assurée par Benny Goodman, il se réfère peu au jazz, mais se révèle curieusement proche, tant par son effectif que par son esprit léger et vif, du Duett-Concertino que Richard Strauss venait d’achever. Ces deux mouvements liés par une cadence soliste fournissent à Julian Bliss l’occasion rêvée de mettre en valeur un stupéfiant éventail de qualités: virtuosité sans faille, précision rythmique, superbe sonorité, mais aussi souplesse et sens poétique. Lorsque l’on sait que le Britannique n’est que dans sa seizième année, cela laisse rêveur...


Les deux Suites pour orchestre de jazz de Chostakovitch ont été ressuscitées il y a exactement quinze ans par Chailly et son Orchestre du Concertgebouw, signant un remarquable enregistrement paru chez Decca, dont les ventes avaient en outre été dopées, en France, par l’utilisation que faisait une publicité télévisée pour une compagnie d’assurances de la Valse 2 de la Seconde suite, ensuite récupérée par André Rieu et Stanley Kubrick: difficile de croire que ces Suites ont vu le jour, respectivement, l’année de l’assassinat de Kirov pour la Première (1934) et au moment de la troisième vague des «procès de Moscou» pour la Seconde (1938), car rien ne transparaît, bien au contraire, de ce climat de terreur dans ces séries de courtes pièces de caractère vif ou sentimental.


Avant que les autorités soviétiques ne manifestent une hostilité croissante à ce genre venu du monde occidental, Chostakovitch, quant à lui, s’était très tôt enthousiasmé pour le jazz. C’est moins par son style – rappelant toutefois, ici ou là, Kurt Weill – que par son effectif original – trois saxophones, deux trompettes, trombone, banjo, guitare hawaïenne, piano, percussion, violon et contrebasse – que la brève Première suite se rattache au jazz. Et la Seconde suite, qui fait appel à une formation symphonique beaucoup plus traditionnelle, quoique augmentée de quatre saxophones, guitare et accordéon, n’a plus rien à voir avec le jazz. Dans un parti pris surprenant, Sado bouleverse l’ordre dans lequel sont habituellement données les six pièces de danse qu’encadrent la Marche et le Finale, regroupant les trois danses rapides puis les trois valses.


Toujours aussi charismatique, le directeur musical de l’Orchestre Lamoureux s’amuse autant que les musiciens et le public grâce à cette parenthèse souriante ainsi ménagée dans le cycle «Dimitri Chostakovitch 1906-2006» entrepris par l’Orchestre national depuis la saison dernière. Même si la fameuse Valse 2 paraît un tantinet alanguie, il fait pétiller l’ensemble comme un concert du Nouvel An. Réunissant finalement Etats-Unis et Union soviétique, il dirige en bis l’adaptation que Chostakovitch, répondant à un défi lancé par le chef Nikolaï Malko, réalisa en... quarante minutes, et sous le titre inattendu de Tahiti Trot (1928), de Tea for two extrait de No, no, Nanette (1925) de Vincent Youmans.



Simon Corley

 

 

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