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Sur la corde raide Paris Théâtre des Champs-Elysées 04/12/2005 - Johann Sebastian Bach : Suites pour violoncelle n° 2, BWV 1008, 4, BWV 1010, et 5, BWV 1011
Alexander Kniazev (violoncelle)
Après Daniel Barenboïm, la veille, dans le Premier livre du Clavier bien tempéré au Châtelet (voir ici), c’est Alexander Kniazev, pareillement précédé d’un enregistrement paru chez Warner (mais dont la promotion se fit toutefois plus discrète), qui se présentait à son tour en solo pour un récital entièrement consacré à Bach. S’il était moins ambitieux par la durée, le défi posé à l’interprète n’en demeurait pas moins impressionnant à bien des égards: face au public sur sa petite estrade, et non de profil comme un pianiste, sans la protection d’un grand Steinway et sans le filet de la partition, il se prêtait ainsi à un exercice qui tient, si l’on ose dire, de la corde raide. Et il lui fallait en outre capter l’attention de la salle – qui, compte tenu notamment de la première, le même soir à Bastille, de Tristan et Isolde par l’équipe Sellars/Viola/Salonen, était fort bien remplie – une heure et demie durant, avec son seul violoncelle, dans celles que l’on peut considérer comme les plus exigeantes des six Suites, à savoir les Deuxième, Quatrième et Cinquième.
Si le violoncelliste russe se montre indéniablement à la hauteur de la tâche, la manière dont il y parvient suscitera sans doute des appréciations contrastées. Mais cette technique au vibrato et au portamento opulents, ces phrasés au legato et au rubato généreux, ces effusions soudaines qui modifient brutalement la dynamique et ces tempi exceptionnellement retenus (la Cinquième suite dépasse sans peine la demi-heure) ne peuvent laisser indifférent. Même si elle ne convaincra évidemment pas les puristes, cette liberté renvoie davantage à la démesure baroque qu’à la retenue classique, avec sa façon de miser sur les extrêmes: ainsi, dans les trois Sarabandes, l’étirement du discours bien au-delà du raisonnable est amplifié par l’effet – un peu systématique, au demeurant – consistant à jouer la reprise piano, jusqu’à l’évanouissement dans la Cinquième suite. Cela étant, il assume pleinement les conséquences de son choix, réussissant le tour de force consistant à maintenir constamment la tension.
Cette subjectivité revendiquée ne saurait pourtant être assimilée à un manque de sincérité ou à un quelconque narcissisme. Car même si les graves ronflent de façon opulente, même si l’instrument révèle par ailleurs une belle finesse de sonorité (Bourrée I de la Quatrième suite, Gavotte II de la Cinquième suite), Kniazev privilégie trop l’élan, l’engagement, les à-coups et les grands gestes expressifs sur la précision, l’articulation, la clarté et même le beau son – avec des attaques qui raclent parfois violemment (Menuet II de la Deuxième suite) – pour qu’il puisse être suspecté de se soucier exclusivement de flatter son auditoire. Surtout, il ne dénature pas, à de rares exceptions près (Gigue de la Cinquième suite vraiment trop chargée d’intentions), ce qui constitue l’essentiel de cette musique, que ce soit sa noblesse, sa profondeur ou son caractère monumental et atemporel.
Accueilli par des hurlements hystériques de quelques spectateurs, Kniazev offre en bis le Prélude de la Première suite, plus dramatique que fluide, et la Bourrée I de la Troisième suite, où le jeu se fait plus décoratif.
Simon Corley
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