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Bach intemporel

Strasbourg
Palais de la Musique et des Congrès
03/25/2005 -  
Johann Sebastian Bach : Matthäus-Passion, BWV 244
Werner Güra (ténor, Evangéliste), Miah Persson (soprano), Urszula Kryger (alto), Steve Davislim (ténor), Jochen Kupfer (baryton), Detlef Roth (baryton)
Chœur de l’Eglise Saint-Guillaume, Chœur de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, Orchestre philharmonique de Strasbourg, Armin Jordan (direction)


Pas de Vendredi Saint à Strasbourg sans une Passion de Bach (alternativement selon saint Jean ou selon saint Matthieu) chantée par le Chœur de Saint-Guillaume : des concerts issus d’une longue tradition, qui remplissent sans aucun problème la nef de l’Eglise Saint-Guillaume, et font appel, outre les membres amateurs du chœur, à des solistes locaux et aux bonnes volontés instrumentales d’un petit orchestre réuni pour la circonstance. Des exécutions toujours au moins décentes, sous la direction d’Erwin List, chef attitré de l’ensemble, et qui tirent évidemment parti du cadre enchanteur d’un intérieur d’église protestante peu modifié depuis le XVIIIe siècle, lieu idéal pour y interpréter la musique religieuse de Bach dans un environnement paroissial remarquablement évocateur de ce que devait être la Thomaskirche de Leipzig à l’époque du compositeur.


A l’occasion du cent cinquantième anniversaire de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, cette tradition s’est trouvée bousculée, le Chœur de Saint-Guillaume ayant été invité cette année à se joindre au Chœur de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg nouvellement créé, en vue de deux exécutions pascales exceptionnelles de la Passion selon saint Matthieu au Palais de la Musique et des Congrès. Atmosphère de concert plus anonyme, dans une vaste salle moderne, mais environnement évidemment plus stimulant que d’habitude, sous la baguette d’un chef renommé, avec le concours de solistes internationaux. Belle occasion aussi pour Catherine Bolzinger, chef attitré du tout jeune chœur d’amateurs de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, d’amener toutes ces bonnes volontés vocales à un niveau d’exigence supérieur à leur routine ou à leur inexpérience habituelles...


A l’écoute, et en dépit d’un très appréciable travail de fond, il est évident que les problèmes d’intonation restent nombreux et les départs parfois hasardeux (Armin Jordan perd rarement de vue l’impressionnante assemblée de près de cent choristes massée derrière l’orchestre, mais ne peut la solliciter aussi constamment du geste que ses chefs habituels...). Mais ces imprécisions résiduelles sont largement relativisées, par une vraie ferveur collective. Et l’impact des chorals les plus solennels est indéniable. L’acoustique précise d’une vraie salle de concert «pardonne» évidemment moins que la réverbération d’église à laquelle au moins la moitié de l’effectif est habituée, mais c’était-là un risque à courir, ne serait-ce que pour prouver que les enjeux d’une Passion selon saint Matthieu réussie ne se résument pas à la seule minutie de son exécution. Et globalement, on peut considérer que ce pari a été très largement gagné.


Au fil des dernières décennies, le disque nous a trop habitués en effet à la perfection et à la transparence de petits ensembles choraux et orchestraux, dans cette musique de Bach qui pourtant s’accommodait tout aussi bien naguère des grandes masses réunies par un Mengelberg ou un Karajan. Le résultat ne saurait être comparable, mais pourquoi bouder aujourd’hui une Passion encore traitée comme un vrai monument ? À condition toutefois de réussir à tenir la distance, ce qu’Armin Jordan parvient à accomplir grâce à des tempi souvent relativement allants et au concours d’excellents premiers pupitres instrumentaux (tout l’orchestre d’ailleurs, opportunément réparti en deux phalanges symétriques, se révèle remarquablement attentif et concerné). Au cours de la seconde partie, malheureusement, les solistes vocaux finissent par accuser une certaine fatigue, les timbres devenant plus ternes et les arias moins investis, mais ce sont-là des contingences du direct dont on ne saurait leur tenir rigueur.


Des solistes d’ailleurs davantage rompus aux exigences stylistiques de l’école baroque que formés à l’endurance d’un chant direct et sans apprêt, ceci expliquant sans doute cela... Seuls l’Evangéliste exemplaire de Werner Güra et le Christ peu rayonnant physiquement mais doté d’une belle voix chaleureuse de Jochen Kupfer sont à leur meilleur de bout en bout. Steve Davislim apparaît plus affecté dans les airs de ténor, Detlef Roth cumule vaillamment les multiples interventions de tous les comparses du drame et une longue succession d’airs dont le dernier, et sans doute le plus beau, le trouve malheureusement à court de couleurs. Même problème pour Urszula Kryger, fort belle voix de mezzo mais dont le "Ach Golgatha" manque d’impact. Quant à Miah Persson, son joli timbre de soprano ne s’épanouit pas toujours avec toute l’aisance requise.


Une direction plus attentive à une mise en valeur du détail au détriment de la ligne générale aurait permis de masquer plus facilement ces insuffisances mineures. Mais Armin Jordan se soucie justement fort peu de détails, misant tout sur l’agogique d’ensemble et l’investissement collectif, et sans doute avec raison. Ici chacun s’essaye à jouer le jeu sans artifice, et avec beaucoup de mérite. Le résultat : une vraie et copieuse Passion selon saint Matthieu, ni maniériste, ni doloriste, ni allégée, mais indéniablement sincère, dont on sort certes fatigué mais ému.



Laurent Barthel

 

 

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