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Du nectar pour Ambroise Toulouse Théâtre du Capitole 04/21/2000 - et 23, 25, 26, 28, 30 avril et 2 mai 2000 Ambroise Thomas : Hamlet Thomas Hampson/Ludovic Tézier (Hamlet), Nathalie Dessay/Patricia Petibon (Ophélie), Michelle de Young (Gertrude), José van Dam (Claudius), Marc Laho (Laërte)
Orchestre et Choeurs du Capitole, Michel Plasson (direction)
Nicolas Joël (mise en scène), Ezio Frigerio (décors), Franca Squarciapino (costumes), Vinicio Cheli (lumières)
Un plateau de rêve (Hampson et Tézier en alternance, le luxe!) et la même équipe que pour les très réussis Lucia et Walkyrie, voilà qui augurait pour le mieux de cette résurrection d'une oeuvre bien oubliée. Effectivement, le résultat visuel est splendide, avec de très beaux costumes, des éclairages très soignés quoi qu'assez sombres, des décors ingénieux et esthétiquement superbes. Le parti-pris de Nicolas Joël de transposer l'oeuvre vers les années trente - non pas tant par les costumes, en fait relativement intemporels, que par l'utilisation d'une esthétique très modern art- est une excellente idée qui évite tous les clichés médévialisants et recentre l'intérêt sur le conflit intérieur du jeune prince de Danemark. Les décors, de splendides colonnes noires immenses qui se déplacent au gré des nécessités dramatiques, donnent un nouvel espace à la scène réduite du Capitole et une très agréable illusion de changement continuel de perspective, impression accentuée par le jeu des éclairages.
On attendait beaucoup de la venue de Thomas Hampson après son sublime Voyage d'hiver, et l'on peut dire que le résultat n'a pas déçu les espérances. De fait, le baryton américain domine de très haut le plateau masculin, par la voix tout autant que par la taille. Dans une forme vocale insolente, il insuffle à son rôle une énergie virevoltante, qui peut même parfois tourner un rien au cabotinage. En pleine possession de ses moyens, Thomas Hampson s'amuse visiblement d'un rôle qu'il connaît à fond et qui, bien que délicat, ne paraît qui poser aucune difficulté technique. Mais aussi forte que soit l'impression laissée par ce remarquable artiste, la soirée a été dominée par la très émouvante Ophélie de Nathalie Dessay. Même si son rôle apparaît quelque peu réduit par rapport à celui du baryton, les accents poignants qu'elle tire de sa scène de la folie, sa voix d'une agilité inouïe et d'un timbre un peu vert très "jeune fille", comme son jeu habité, plein de grâce et de fragilité, dégagent une émotion bouleversante qui lui a valu une ovation triomphale. Parmi les autres rôles, mention spéciale pour la très honorable mère de Michelle de Young et le Laërte de Marc Laho. Petite déception par contre, pour le Claudius de José van Dam qui traverse le rôle avec indifférence et dont le métier ne peut cacher l'usure des moyens. Le reste est relativement convenable, mais peu marquant. La direction de Michel Plasson ne semble pas toujours aider les chanteurs par ses tempos fluctuants et souvent mous. Dommage, l'orchestre sonne bien, avec beaucoup de couleurs.
Ce bilan pourrait être extrêmement positif s'il n'y avait un point particulièrement gênant : l'oeuvre elle même. Il paraît extrêmement décevant d'avoir appliqué tant de talent à défendre une musique aussi anodine que celle d'Ambroise Thomas. Non qu'elle soit mal écrite ou mal sonnante, mais, et c'est bien pire, elle est totalement dénuée de la moindre personnalité. Patchwork de choses déjà entendues cent fois, mais ici comme vidées de toute originalité par une harmonie qui évite avec soin toute dissonance ou surprise. Coulent comme un torrent d'eau tiède des airs, duos et ensembles sans saillant, enchaînés avec un systématisme qui morcelle l'action et détruit tout drame, au fil d'un livret proche de l'ineptie. Bref, une oeuvre aussi vite oubliée qu'entendue. Cela n'enlève rien à la qualité de la soirée, mais quel formidable spectacle cela aurait été avec une oeuvre méritant autant d'efforts !
Laurent Marty
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