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Falstaff résiste aux années cinquante

Strasbourg
Opéra National du Rhin
12/10/2004 -  et les 12*, 18, 21, 23, 28 décembre à Strasbourg, les 7 et 9 janvier à Mulhouse (La Filature)
Giuseppe Verdi : Falstaff
Alan Opie (Falstaff), Tommi Hakala (Ford), Ismael Jordi (Fenton), Ricardo Cassinelli (Dr Caius), Rodolphe Briand (Bardolfo), Antoine Garcin (Pistola), Nuccia Focile (Mrs. Alice Ford), Laura Giordano (Nannetta), Mariana Pentcheva (Mrs. Quickly), Isabelle Cals (Mrs. Meg Page), Chœurs de l’Opéra National du Rhin, Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Carlo Rizzi (direction musicale), Giorgio Barberio Corsetti (mise en scène).

Falstaff et les joyeux bourgeois de Windsor dépouillés de toute référence visuelle au théâtre élisabéthain : une mise à plat qui n’a plus rien d’exceptionnel, ni même de novateur. La transposition résolument contemporaine vue à l’Opéra de Lyon il y a déjà 20 ans, ou la farce en kilts et tenues loufoques réglée par Eike Grams à Munich ont prouvé que la plupart des ressorts comiques shakespeariens continuent à fonctionner même dans un environnement modernisé.

Reste à prouver que le premier mobile de ce genre de transplantation n’est pas simplement la peur du ridicule (le maniement du costume pseudo- renaissance et du colombage en carton-pâte pouvant s’avérer délicat), le recours à une imagerie plus proche de notre quotidien moderne apparaissant dès lors comme une solution de facilité. Or rien dans le travail réalisé à Strasbourg par Giorgio Barberio Corsetti et Cristian Taraborrelli ne nous démontre le contraire. Les costumes années cinquante (complets-veston et robes évasées) ne sont ni laids ni particulièrement avantageux (voire fatals aux tailles féminines un peu généreuses), et leur uniformité rend les différences d’âge et de statut social peu lisibles. Quant aux décors, ils rappellent fâcheusement ces plateaux interchangeables et sans charme sur lesquels on tournait les représentations d’« Au théâtre ce soir », au temps du défunt ORTF. Le déficit visuel s’aggrave encore au dernier tableau, tristounet au possible, avec son unique arbre mort, ses grosses têtes de carnaval statiques et ses deux malheureux acrobates-papillons suspendus, qui s’efforcent de créer une ambiance de féerie à eux seuls, et n’y parviennent évidemment pas.

Fort heureusement l’écriture de Falstaff est tellement preste et brillante que la comédie peut s’y suffire à elle-même, y compris dans un cadre un peu déprimant. Et la mise en scène de Corsetti, conventionnelle mais efficace, sait mettre en valeur les situations comiques, voire approfondir les caractérisations sans lourdeur, en restant constamment compatible avec le rythme musical de la pièce. Quelques projections vidéo, limitées la plupart du temps à des ciels nuageux, ont le mérite d’une certaine discrétion, et apportent parfois un petit supplément d’âme à l’action, ce qui est toujours bon à prendre dans ce spectacle un peu neutre.


Musicalement, en revanche, l’Opéra du Rhin ne nous avait pas convié à pareille fête depuis longtemps. L’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, très motivé par la baguette vive et précise de Carlo Rizzi, accomplit un quasi sans-faute instrumental, dans une partition qui convient idéalement, il est vrai, à une phalange toujours plus à l’aise dans le brillant que dans la demi-teinte. Même les cors où les cordes aigues sont ici d’une remarquable tenue, annonciatrice de progrès que l’on espère durables. Quant au plateau, il n’est pas en reste, y compris dans les ensembles de solistes, d’une belle homogénéité en dépit de la disparité des timbres en présence.

Quelques prises de rôle notables : le Fenton d’Ismael Jordi, voix déjà un peu trop corsée pour le rôle mais jolie maîtrise du souffle, et surtout l’Alice Ford de Nuccia Focile, qui a longtemps chanté Nannetta et aborde à présent un emploi plus lourd, sans toutefois convaincre d’emblée. Le timbre est encore un peu mince, pour un emploi dans lequel on est habitué à des tempéraments lyriques plus amples, et l’ascendant scénique du rôle s’en ressent. Alice est traditionnellement la grande meneuse dans Falstaff, véritable « rôle en or » dont on ne perçoit pas assez l’omniprésence, en dépit de la couleur rouge vif d’une robe délibérément voyante. Le chant est très travaillé, voire impeccable, mais les moyens n’y sont pas, encore trop proches de ceux de Laura Giordano, Nannetta charmante en dépit d’un aigu trop tendu voire instable, surtout dans un air de la Reine des Fées qui manque d’envol. Petits déséquilibres, qui cependant ne perturbent guère l’efficacité d’un ensemble très bien choisi, y compris le Falstaff d’Alan Opie, vieux routier qui a probablement connu des jours plus irradiants mais garde une articulation et une prestance enviables. Enfin quelques voix attirent impérieusement l’attention, tout en s’intégrant bien : le Ford très bien projeté du Finlandais Tommi Hakala, et surtout la Mrs Quickly de Marina Pentcheva, magnifique timbre sombre et souffle interminable, véritable régal dont chaque intervention se savoure comme un grand cru corsé.


En définitive une vraie grande soirée d’opéra, que l’on apprécie avec l’ouïe constamment en éveil, plaisir musical qui fait totalement oublier le relatif manque d’ambition du propos scénique.

L’essentiel est donc sauf. Et on en redemande.



Laurent Barthel

 

 

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