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Water music Paris Théâtre des Champs-Elysées 12/09/2004 - Tan Dun : Concerto pour percussion à eau et orchestre (création française)
Gustav Mahler : Das Lied von der Erde
Petra Lang (mezzo), Jon Villars (ténor), Christopher Lamb, Emmanuel Curt, Florent Jodelet (percussion)
Orchestre national de France, Kurt Masur (direction)
Alors que l’Orchestre de Paris revient tout juste d’une tournée dans l’Empire du milieu, l’Orchestre national de France proposait de son côté un programme où se succédaient la création française d’une œuvre écrite par un Chinois et un cycle de mélodies fondé sur des poèmes datant de la dynastie des Tang.
Comme Leo Brouwer le fit avec son élégie pour guitare Hika, Tan Dun a dédié son Concerto pour percussion à eau et orchestre (1999) à la mémoire de Toru Takemitsu – disparu en 1996 et lui-même auteur de nombreux hommages à de grands disparus (Debussy, Feldman, …) – avec lequel il partageait un intérêt pour la musique de film ainsi que le souci de rapprocher les cultures orientale et occidentale. Quant à l’eau, il suffit de rappeler son omniprésence dans le catalogue du compositeur japonais – pour s’en tenir aux seuls titres, I hear the water dreaming, Quotation of dream (Say sea, take me!), Between tides, Toward the sea, Rain coming, Rain dreaming, Rain spell, riverrun – pour comprendre que Tan Dun n’a évidemment pas retenu au hasard cette thématique. Le concerto ayant été commandé par l’Orchestre philharmonique de New York, dont Kurt Masur était alors le patron, ce fut donc celui-ci qui en dirigea la première, en compagnie de l’étonnant percussionniste qu’est Christopher Lamb, issu des rangs de cet orchestre.
En trois mouvements enchaînés d’une durée totale de vingt-huit minutes, la partition fait appel à un ensemble soliste indéniablement original, puisque comprenant principalement des bassins transparents remplis d’eau: deux au centre, confiés au seul Chrisopher Lamb, et deux latéraux, dévolus chacun à un musicien de l’orchestre (Emmanuel Curt et Florent Jodelet). Outre l’immersion d’instruments familiers (gongs, etc.), un attirail complet de tubes, bols, carafons et passoires leur permet de tirer de ces bassins toutes sortes de bruits pittoresques, restitués au moyen d’un mécanisme d’amplification.
Malheureusement, cet instrumentarium, au lieu de constituer simplement un moyen, devient une fin en soi, d’autant que la vision de l’activité inhabituelle déployée par les trois plongeurs est précédée par une introduction non moins spectaculaire, les lumières étant d’abord éteintes, tant sur scène que dans la salle, trois minutes durant, pendant que Lamb déambule au parterre en distillant ses premiers sons. Malgré un effectif assez fourni, l’orchestre est réduit à la portion congrue, mêlant dans un patchwork extraordinairement composite des bribes de styles antagonistes: musique traditionnelle, Penderecki de toutes les époques, rythmes répétitifs, ...
On avouera donc une certaine consternation à constater que le public du Théâtre des Champs-Elysées – qui a observé, dans un silence religieux et sans perdre un instant son calme ou son sérieux, trois musiciens jouer avec l’élément liquide et faire des glouglous comme des garnements se lavant les mains dans un lavabo – réserve un accueil favorable à ce happening zen, faussement provocateur, héritier bien affadi de la Parade satiste (ses «flaques sonores» et son «bouteillophone») ou des délires cagiens. Takemitsu méritait bien mieux que cette mascarade, car sous ses habits transparents, le roi est bel et bien nu, tant le propos semble ici, si l’on ose dire, délayé.
«L’Année de la Chine 2003-2004» aura décidément suscité des rapprochements avec Le Chant de la terre (1908) de Mahler: après l’Orchestre de Paris (voir ici), c’est donc l’Orchestre national qui le replaçait ainsi dans son contexte d’origine, bien que les poèmes chinois aient été fortement adaptés au fil des traductions, y compris par le compositeur lui-même. En même temps, l’Orchestre national, en choisissant cette «Symphonie pour ténor, alto (ou baryton) et orchestre», remédiait à un «oubli» de l’intégrale Mahler entreprise cette saison par l’Orchestre philharmonique de Radio France, qui s’en tient aux dix symphonies numérotées.
La distribution vocale n’était pas le moindre attrait de cette soirée. En effet, Jon Villars est sans doute l’un des rares ténors à disposer de la puissance et des aigus requis par cette partie réputée inchantable. Le récent Bacchus d’Ariane à Naxos s’en sort d’ailleurs bien, même si la tension presque permanente qui caractérise son émission est sans doute mieux adaptée à l’héroïsme de la Chanson à boire de la douleur de la terre. La mezzo Petra Lang, déjà apparue dans l’intégrale Mahler de l’Orchestre philharmonique (voir ici), confirme de belles qualités techniques, notamment une homogénéité du timbre sur l’ensemble de la tessiture, sous réserve d’un registre grave parfois voilé. Si son Adieu reste sobre, dans De la beauté, par ses mimiques et ses clins d’œil, voire par ses minauderies, elle renvoie de façon plus inattendue à l’univers du Knaben Wunderhorn.
Kurt Masur, dont une biographie vient de paraître chez Actes Sud et auquel France Musiques consacrera sa journée du 11 décembre, n’est sans doute pas spontanément associé au nom de Mahler: ni plus ni moins, cela dit, que son prédécesseur, Charles Dutoit, qui, lui aussi, s’était confronté à ce Chant de la terre voici près de cinq ans (voir ici). Toujours est-il que la battue toujours aussi imprévisible du chef allemand provoque un incident suffisamment rare pour devoir être signalé: Jon Villars ne sachant plus à quel saint se vouer au début de son deuxième lied (De la jeunesse), Masur est contraint d’arrêter tout et de faire reprendre depuis la première mesure.
Simon Corley
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