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Joyce Dejanira Paris Palais Garnier 12/04/2004 - et 6, 8, 11, 14, 16, 19, 22, 27 décembre 2004 Georg Friedrich Haendel : Hercules Joyce DiDonato (Dejanira), William Shimell (Hercules), Malena Ernman (Lichas), Toby Spence (Hyllus), Indela Bohlin (Iole), Simon Kirkbride (Prêtre de Jupiter)
Orchestre et Chœur des Arts Florissants, William Christie (direction)
Luc Bondy (mise en scène)
Parmi les nombreux opéras de Haendel, Hercules (1745) concentre le drame comme rarement. C’est la jalousie qui tient ici le premier rôle au long d’une intrigue très linéaire, la jalousie qui naît (acte I), ronge (acte II) et culmine dans la folie (acte III). Au retour de ses douze travaux, Hercules ramène en effet parmi ses captifs une princesse « à la beauté fatale », Iole, dont son épouse, Déjanira, soupçonne qu’elle est son amante ; il faudra la mort du héros pour que, sombrant dans la folie, elle se rende compte de son erreur.
Figure centrale de l’opéra, le rôle de Déjanira nécessite des moyens vocaux et un investissement dramatique à la mesure des grandes héroïnes lyriques (Traviata, Isolde, Elektra …), pour notre plus grande satisfaction et la réussite de cette production (créée à Aix cet été), Joyce DiDonato se révèle parfaitement à la hauteur. Très convaincante dans les circonvolutions de l’écriture baroque, captivante dans la tragédie du doute affreux qui la ronge, la mezzo américaine signe ici une performance remarquable, on ne souhaite que la voir plus souvent à Paris ! Drame resserré sur six personnages, les autres rôles sont également parfaitement tenus, des deux séduisantes suédoises Ingela Bohlin (soprano, Iole) et Malena Ernman (mezzo, Lichas) à l’anglais Simon Kirkbride (baryton-basse, Prêtre de Jupiter), qui tous les trois font leurs débuts à l’Opéra de Paris ; et l’on retrouve avec plaisir les deux anglais William Shimell (baryton, Hercules) et Toby Spence (ténor, Hyllus).
Se maintenant décidément au sommet des chefs baroques, William Christie montre la part d’ombre que recèle cette partition et sait épouser les tourments de l’âme de l’héroïne, sa direction à la fois franche et subtile fait merveille pour nous plonger au cœur du drame et ne ménage aucun temps mort (même si, plus anecdotiquement, un entracte entre les deux premiers actes aurait été le bienvenu pour éviter deux heures et quart d’affilé, la résistance des mélomanes a ses limites !).
A la régie, Luc Bondy conduit, comme on l’apprécie chez lui, un théâtre limpide et subtil, évoquant sans jamais les exagérer les sentiments qui traversent les personnages et offrant des scènes de groupes où chaque personnage semble individualisé, ce qui dénote, il faut le signaler, un talent rare. Pourquoi alors avoir choisi un décor (de Richard Peduzzi) si laid (les murs gris d’un bunker), des costumes quelconques, des lumières constamment faiblardes comme s’il fallait mettre ce drame sous l’étouffoir ? Quoi qu’il en soit, pour Joyce DiDonato, pour William Christie, il ne faut pas manquer cet Hercules qui restera une expérience lyrique inoubliable.
Philippe Herlin
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