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Bonheur complet Paris Cité de la musique 11/20/2004 - Richard Wagner : Lohengrin (Prélude du premier acte)
Arnold Schönberg : Lied der Waldtaube (extrait des «Gurre-Lieder») – Concerto pour violon, opus 36 – Verklärte Nacht, opus 4
Alban Berg : Trois extraits de «Wozzeck»
Yvonne Naef (mezzo), Christian Tetzlaff (violon)
Orchestre de la Tonhalle de Zurich, Michael Gielen (direction)
La suite du cycle «Richard Strauss. L’Ecole de Vienne» que propose actuellement la Cité de la musique était principalement et fort logiquement dédiée à deux des trois représentants de la «trinité viennoise». Elle permettait en même temps d’entendre à Paris Michael Gielen, un chef particulièrement à l’aise dans ce répertoire, auquel on a peut-être même eu excessivement tendance à le réduire, et l’Orchestre de la Tonhalle de Zurich, une formation dont il se dit grand bien depuis qu’en 1995, David Zinman en a pris les rênes. La qualité des interprètes et du programme, au demeurant copieux, avait nourri l’affluence des grands jours et attiré des spectateurs de marque, à commencer par Pierre Boulez. De fait, tous les ingrédients d’un concert d’exception étaient ainsi réunis. Et il le fut.
Dès le Prélude du premier acte de Lohengrin (1850), il est manifeste que l’on n’a pas éprouvé une telle satisfaction depuis belle lurette dans la capitale – premiers violons impeccables, sonorité dense et moelleuse sans être épaisse ou plantureuse – mais Gielen ne se contente pas de cet hédonisme et, analytique sans être froid, conduit de main de maître, et sans traîner, l’arche dessinée la musique.
Yvonne Naef donnait ensuite Le Chant du ramier extrait des Gurre-Lieder (1911) de Schönberg, la réduction pour petit ensemble effectuée par le compositeur lui-même en 1922 étant ici renforcée côté cordes. Comme en juin dernier avec l’Ensemble Intercontemporain (voir ici), elle s’impose sans peine, tant par son expression que par sa technique ou par sa diction.
Etrangement, on retrouvait la mezzo suisse dans un emploi de soprano dramatique, au fil des Trois extraits de Wozzeck (1923), sorte de suite que Berg a tirée de son opéra afin d’en faciliter la diffusion, deux ans après son achèvement et avant même sa création intégrale, un peu à la manière de la Lulu-Symphonie. On comprend toutefois que cette dernière se soit davantage imposée au répertoire: la marche militaire et la berceuse de Marie (acte I), Marie lisant la Bible (acte III) puis la fin de l’opéra après la mort de Wozzeck (scène avec le Docteur et le Capitaine, grand interlude orchestral, scène finale avec les enfants), tout cela constitue un ensemble disparate, dramatiquement incompréhensible et peu convaincant, d’autant que la soliste, après deux scènes où elle incarne Marie, chante, dans le troisième, le rôle des enfants… Offrant un timbre puissant et somptueux, elle suggère une vision très opératique, presque vériste, d’un personnage d’ordinaire moins opulent.
Entre temps, Christian Tetzlaff s’était livré à une époustouflante démonstration dans le Concerto pour violon (1936) de Schönberg, dédié au grand absent de la soirée, Anton Webern: familier de l’œuvre (voir par exemple ici) et bien qu’ayant la partition sous les yeux, il opte pour une approche physique, romantique et virtuose, comme s’il se trouvait face à Tzigane de Ravel. A ses côtés, Gielen prodigue un accompagnement à la fois crépitant, incandescent et éloquent, d’une éblouissante clarté. En bis, le violoniste dispose d’encore suffisamment d’énergie pour offrir l’Allemande de la Deuxième partita de Bach.
Dans des tempi globalement retenus (trente-deux minutes), qu’il gère toutefois de façon souple et contrastée, Gielen privilégie l’aspect narratif de la La Nuit transfigurée (1899) de Schönberg. Tenant fermement la ligne, il ne se laisse pas griser par ce formidable orchestre – contrebasses d’une superbe profondeur, plaisir manifeste de jouer – qui, au moment des saluts, prend en outre la peine – chose trop rare sous nos latitudes – de se tourner complètement afin de faire face au public.
Simon Corley
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