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Genève accueille De la maison des morts de Janacek

Geneva
Grand Théâtre
11/04/2004 -  et les 6, 8, 10, 12 & 14 novembre
Leos Janaek : De la maison des morts
Peter Mikulas (Goriantchikov), Stephanie Novacek (Alieïa), Stefan Margita (Filka Morosov/Louka Kouzmitch), Ulfried Haselsteiner (le Grand Prisonnier/Tchérévine), Philippe Duminy (le Petit Prisonnier), Alexandre Vassiliev (le Commandant), Bernard van der Meersch (le Vieux Prisonnier), Gordon Gietz (Skouratov), Wolfgng Barta (Tchekounov), Guy Bonfiglio (le Prisonnier ivre), Phillip Casperd (le Prisonnier cuisinier), Harry Draganov (le Prisonnier forgeron), Aleksandar Chaveev (le Pope), Bisser Terziski (le Jeune prisonnier), Magali Duceau (Une prostituée), Ales Jenis (le Prisionnier/don Juan), Alexandre Krawetz (Chapkine/Kedril), Pavlo Hunka (Chichkov), Slobodan Stankovic (Une voix), Lyonel Grelaz (Une voix). Orchestre de la Suisse Romande, Chœur du Grand-Théâtre, Chœur Orpheus de Sofia, dir. Jiri Belohlavek.
Mise en scène et décors : Pierre Strosser. Costumes : Patrice Cauchetier. Lumières : Joël Hourbeigt.

Le quotidien du bagne, fait de corvées et de coups de verges, voilà la substance des Souvenirs de la maison des morts de Dostoievski, qui lui-même y passa quatre ans pour avoir lu des auteurs aussi suspects que Schiller ou George Sand. Un livre sans action, sinon lorsque les prisonniers racontent ce qui les a conduits là, où tout est vu à travers le héros narrateur, Goriantchikov, à la fois observateur et acteur d’un enfer dont, au siècle suivant, on fera le goulag. Transformer un tel livre en un opéra d’une heure et demie relevait de la gageure ; Janacek y réussit pourtant, composant lui-même le livret, essentiellement à partir du texte russe, s’attachant à quelques personnages qui, outre Goriantchikov, deviendront les rôles principaux de l’opéra. Pas vraiment innocents, évidemment, pas vraiment mauvais non plus, encore moins monstrueux, à commencer par ce tout jeune Alieia, auquel Goriantchikov apprend à lire et à écrire – un rôle travesti pour rendre le personnage plus crédible, le seul d’importance confié à une femme dans cet opéra d’hommes. Le choix de Janacek illustre son refus de désespérer de la nature humaine ; le frontispice de la partition nous dit d’ailleurs qu’il y a « dans chaque créature, une étincelle divine ». Et l’opéra ne se situe pas seulement entre l’arrivée et la libération de Goriantchikov, mais entre la capture et la libération d’un aigle blessé qui, son aile guérie, reprend son essor.
C’est le chant du cygne de Janacek, qui, emporté par une pneumonie, n’acheva pas le dernier acte de son chef-d’oeuvre. Des amis bien intentionnés, du coup, infligèrent à la partition de ces terribles « révisions » dont elle ne sortit pas plus indemne que le Boris Godounov de Moussorgski. Il fallut attendre les années 80 pour qu’on revienne à l’original, découvert par les discophiles à travers l’enregistrement de Charles Mackerras (Decca). On s’aperçut alors à quel point la musique, lissée et épaissie par les révisions, pouvait être âpre, rude, résonner du cliquetis des chaînes et des gifles du fouet, s’écarteler entre les registres extrêmes des instruments pour dire à la fois la souffrance et le néant, exploser en fanfares grotesques, mais aussi s’attendrir dans l’évocation d’une humanité encore capable d’affection ou de pitié.
Plus proche peut-être de Dostoievski que de Janacek, Pierre Strosser propose une vision très sombre de ce huis clos concentrationnaire avant l’heure. Un huis clos aggravé par le décor unique, à la fois chambrée, réfectoire, atelier, espace noir qu’il ouvre, comme souvent, en hauteur et en profondeur pour mieux le refermer, avec une accumulation d’objets - lampes tombant des cintres, lits et tables sur le plateau – formant autant d’obstacles à l’intimité. La libération de l’aigle et de Goriantchikov paraît le laisser sceptique ; rien d’ailleurs ne débouche sur l’extérieur, comme si ce bagne goulag restait à jamais le destin de ceux qu’on y envoie. Au deuxième acte, la représentation - bel exemple de théâtre dans le théâtre – du Jeu de Kedril et de don Juan et de la Belle Meunière, qui devrait avoir valeur de catharsis, relève plutôt du grotesque triste. La force du spectacle tient aussi au refus de l’expressionnisme misérabiliste – qu’évitent tout autant les costumes sobres de Patrice Cauchetier - dans la mise en scène des destins individuels, ce qui les rend d’autant plus émouvants ; finalement, au plus profond de sa folie, de sa souffrance, de son humiliation, l’homme n’abdique pas sa dignité.
Jiri Belohlavek, qui avait, la saison dernière, offert une très belle Katia Kabanova aux Genevois, est fidèle à lui-même. Intense et tendue, sa direction épouse parfaitement les audaces rugueuses de la partition et n’a visiblement aucun mal à tirer de l’orchestre ces sonorités si caractéristiques de Janacek. La distribution est d’une parfaite homogénéité, tous réussissant, parfois en quelques mesures, à faire vivre leur personnage, en parfaite complicité avec le metteur en scène. C’est justement l’écueil de ce genre d’opéra, d’où l’action et les airs sont bannis. Aussi saluera-t-on d’abord ceux qui ont joué ces anonymes, comme le Vieux prisonnier de Bernard van der Meersch. On n’oubliera pas pour autant Peter Mikulas, tout en nuances dans son rôle de patricien égaré dans le bagne, ni Stefan Margita, magnifique Filka Morosov, ni Gordon Gietz, enfermé dans la folie de Skouratov, ni Pavlo Hunka, impressionnant de violence et de tendresse frustrée en Chichkov, ce frère slave de Wozzeck, qui rend la fin du troisième acte particulièrement poignante, ni enfin le touchant mais jamais mièvre Alieïa de Stephanie Novacek. On dira aussi, une fois de plus, la qualité du chœur, si important ici.
Jamais encore représenté à Genève, De la maison des morts vient d’entrer par la grande porte au répertoire du Grand Théâtre.



Didier van Moere

 

 

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