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Cage & Co

Paris
Musée d'Orsay
11/05/2004 -  
John Cage : Atlas eclipticalis – Song books : Solos for voice 3-92 (extraits n°s 47 et 75)
Morton Feldman : I met Heine on the rue Furstenberg
Earle Brown : Windsor jambs – Centering

Piia Komsi (soprano), Katalin Karolyi (mezzo), Jeanne-Marie Conquer (violon)
Ensemble Intercontemporain, François-Xavier Roth (direction)


En parallèle à l’exposition consacrée à Alfred Stieglitz, le Musée d’Orsay organise tout au long du mois de novembre, sous le titre «New York et l’art moderne», un cycle de six manifestations, fournissant l’occasion de retrouver Gottschalk, McDowell, Gershwin ou Copland, mais surtout de mieux faire connaissance notamment avec cette «Ecole de New York», à laquelle on associe généralement, aux côtés de peintres tels que Willem de Kooning, Franz Kline ou Mark Rothko, les noms de quatre personnalités, qui, à l’exception de Christian Wolff, étaient représentées au cours de deux concerts de l’Ensemble Intercontemporain dirigé par François-Xavier Roth.


De fait, le chiffre trois incite à transposer outre-Atlantique et après-guerre la trinité de la seconde «Ecole de Vienne», dans laquelle John Cage (1912-1992) tiendrait le rôle du fondateur (Schönberg), dont Earle Brown (1926-2002) ainsi que Morton Feldman (1926-1987) seraient les disciples (Berg et Webern).


Atlas eclipticalis (1961) de Cage ouvrait le second de ces concerts. Première partie d’une trilogie qui se poursuit avec Variations IV et 0’00’’, la partition, écrite à partir d’une carte du ciel où la brillance des étoiles se traduit dans la taille (c’est-à-dire en fin de compte la durée) des notes, laisse en outre une liberté considérable aux interprètes. L’ad libitum, plus que le hasard, règne en effet en maître, qu’il s’agisse de la possibilité de la jouer en tout ou partie (dix minutes, en l’espèce), du nombre des musiciens (pouvant aller de un à quatre-vingt-six – onze ici), de la détermination du «tempo» par le chef ou du recours à l’amplification de certains instruments. L’auditeur assiste à un jeu de furet musical, car les exécutants, placés tout autour de la salle, délivrent des bribes tellement brèves, l’un passant immédiatement le relais à l’autre, qu’à peine la source est-elle identifiée que c’en est déjà une autre qui intervient. Au centre, le chef décrit, bras tendus, de lents mouvements latéraux formant un cercle. A la fin, les pupitres s’éteignent l’un après l’autre, comme dans la Symphonie «Les Adieux», tandis que la lumière du projecteur qui éclairait le chef s’évanouit lentement. Généreux en silences, le discours mêle rarement plus de deux voix, favorisant une sorte de Klangfarbenmelodie éclatée. Mais n’avait-on pas dit qu’il fallait voir Cage dans le rôle de Schönberg?


Assise, la soprano finlandaise Piaa Komsi se mêle à un ensemble comprenant flûte/piccolo, clarinette/clarinette basse, violon, violoncelle, piano et percussion, pour I met Heine on the rue Furstenberg (1971) de Feldman. Exceptionnellement court (douze minutes) au regard des standards du compositeur, le morceau est censé relater une rencontre entre Chopin et le poète allemand, mais le texte ne comprend en réalité que des voyelles et des «R» soigneusement roulés, le tout dans un redoutable quasi a capella, entrecoupé de notes longues ou fragments isolés. Le résultat est radical, pour ne pas dire dépouillé et expérimental. Mais n’avait-on pas dit qu’il fallait voir Feldman dans le rôle de Webern?


C’est une formation comparable – mezzo (la Hongroise Katalin Karolyi) et sept instruments (les mêmes plus un alto) – que requiert Windsor jambs (1980) d’Earle Brown (1926-2002). Ici aussi, la voix, limitée à des onomatopées, se fond à l’effectif instrumental et la part laissée à l’indéterminé semble importante, le chef, comme dans bien d’autres créations de cette époque, indiquant ses choix par des chiffres de un à cinq qu’il réalise avec les doigts de la main. La ressemblance s’arrête cependant ici: plus développée (vingt minutes) et plus ludique, d’une écriture à la fois plus dense et plus moelleuse, la pièce sonne de façon presque sensuelle et opulente au regard de l’ascèse feldmanienne. S’il réserve toujours une place à l’aléatoire, Centering (1973), pour violon solo et ensemble (trois cordes, trois bois, trois cuivres et piano), s’inscrit également dans une démarche que l’on est tenté de qualifier de postromantique: autour du violon de Jeanne-Marie Conquer, superbe de précision et de générosité, ce mini-concerto (quinze minutes d’un seul tenant) revendique un caractère poétique relativement inattendu, où cadences virtuoses et grands gestes expressifs se succèdent. Mais n’avait-on pas dit qu’il fallait voir Brown dans le rôle de Berg?


Entre temps, Piaa Komsi avait triomphé dans deux extraits de Song books: Solos for voice 3-92 (1970) de Cage, un recueil de quatre-vingt-dix «solos» dont on n’est pas surpris d’apprendre que, sous le slogan «We connect Satie with Thoreau», il fut créé (au Théâtre de la Ville) notamment par Cathy Berberian. Passant en revue tous les états de la voix, du parlé au chant, des rires aux hurlements, il se rattache à la veine de la Sequenza III que lui avait destinée son époux Luciano Berio: dérision du grand air d’opéra (celui de la Reine de la nuit au second acte de La Flûte enchantée) pour la section 47 (trois minutes), mots énoncés dans diverses langues et servant de support à un propos en complet décalage pour la section 75 (sept minutes).


La fin de programme proposait une variante d’Atlas eclipticalis (dont deux des – nombreux – dédicataires ne furent autres que Feldman et Brown), car Cage a prévu qu’il peut également être joué en même temps que deux autres de ses propres pièces, Winter music ou, précisément, la section 47 des Song books. Fort logiquement, c’est la seconde solution qui a été retenue, la superposition du délire verbal de la soprano et des commentaires laconiques de «l’orchestre» se révélant tout à fait réjouissante.


Une soirée dont, par conséquent, le moindre des mérites n’aura pas été de montrer que l’avant-garde, aux Etats-Unis, était animée, dans les années 1950, par des préoccupations communes à celles de l’Europe, entretenant parfois avec elle des affinités intellectuelles, techniques et surtout musicales: ce n’est pas pour rien qu’on aura donc pu songer – au-delà de la référence volontairement paradoxale à l’Ecole de Vienne, tant il a toujours été facile de l’opposer extérieurement aux happenings de «Cage & Co» – entre autres à Berio, Boulez, Lutoslawski ou Stockhausen, quatre grandes figures d’une avant-garde européenne exactement contemporaine, tant pour la part dévolue à l’interprète ou la notion de work in progress que pour les recherches sur la spatialisation ou le traitement de la voix.



Simon Corley

 

 

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