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Fenêtre sur cour

Paris
Palais Garnier
10/28/2004 -  et 31* octobre, 3, 6, 9, 12, 16 et 19 novembre 2004
Leos Janacek : Katia Kabanova

Angela Denoke (Katia), Christoph Homberger (Tichon), Jane Henschel (Kabanicha), David Kuebler (Boris), Roland Bracht (Dikoy), Toby Spence (Koudriach), Dagmar Peckova (Varvara), Ulrika Pecht (Glacha), Frédéric Caton (Kouliguine), Tracy Smith-Bessette (Fekloucha), Caroline Bibas (Une femme), Ulrich Voss (Un homme)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, Peter Burian (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Sylvain Cambreling (direction musicale)
Christoph Marthaler (mise en scène), Anna Viebrock (décors et costumes), Olaf Winter (lumières), Thomas Stache (chorégraphie), Stefanie Carp (dramaturgie)


Seize ans après la création française de la version originale, Katia Kabanova de Janacek revient, pour huit représentations, dans une production présentée dès 1998 au Festival de Salzbourg (voir ici), lorsque Gérard Mortier, nommé depuis à l’Opéra national de Paris, en était le directeur artistique, puis à la Monnaie de Bruxelles en 2001 (voir ici).


Inspirés par un voyage in situ à Brno, où l’opéra fut créé en 1921, le décor unique et les costumes d’Anna Viebrock transposent l’action un siècle après l’époque suggérée par le livret, dans un appartement ouvert sur la cour (et les nombreuses fenêtres) d’un immeuble délabré de ce que l’on appelait encore, dans les années 1960, un «pays de l’Est». Point de Volga à l’horizon, car l’action se trouve ainsi à la fois enfermée dans un espace clos et placée sous des regards inquisiteurs, ce qui traduit fidèlement l’esprit du drame. Au fond, une immense armoire ne permet pas seulement à ceux qui manifestent un penchant pour la boisson de trouver de quoi satisfaire leurs besoins, mais sert aussi aux entrées et aux sorties, tandis que la chambre de Kabanicha, sorte de seconde scène toujours active à l’arrière-plan, ressemble à un conservatoire du bric-à-brac kitsch tout droit sorti d’une pièce de Jérôme Deschamps. Les chorégraphies de Thomas Stache exigent en outre de Varvara et Koudriach, mais aussi de Kabanicha et Dikoy, des déhanchements très sixties, Koudriach et Kouliguine mimant par ailleurs Singing in the rain tandis que la pluie menace.


Christoph Marthaler opte résolument pour une veine grinçante et réaliste, voire crue et sordide. Si elle ne rechigne devant aucun détail concret – pourquoi pas, puisque Katia Kabanova a pu être qualifié de vériste – sa mise en scène pourra en même temps irriter par un symbolisme qui tient davantage du clin d’oeil appuyé: une fontaine centrale, qui, au demeurant, constitue la seule allusion au jardin et dont les jets d’eau fonctionnent par intermittence, au gré de la libido des personnages; tout au long des trois actes, qui sont enchaînés au moyen d’un bref choeur d’hommes chanté en coulisse, un vieil aveugle, cabas à la main, qui vide les verres, accompagne la musique d’un geste du bras, éclate d’un rire sardonique lorsque l’orage s’annonce et inspecte méthodiquement les huit poubelles orange pour en tirer entre autres un rat mort, qu’il écrase ensuite soigneusement du pied. Si le but est de signifier qu’il suffit d’un deus ex machina non-voyant pour révéler au grand jour les turpitudes bourgeoises dissimulées dans les ordures, c’est un peu léger et facile, même si cela n’entre pas nécessairement en contradiction avec ce qui sous-tend l’intrigue.


Le tableau final, où chacun, à l’exception de Katia, reste figé face au mur, dos au public, peut probablement se justifier, mais le parti pris général du metteur en scène suisse tend à simplifier la psychologie des différents caractères, qui en deviennent excessivement monolithiques. De ce fait, l’idéalisme de Katia, la fraîcheur de Varvara, l’ambivalence de Kabanicha, pour s’en tenir aux femmes, toutes ces nuances passées à un crible efficace mais radical, ne peuvent s’exprimer aisément, même par contraste, dans un univers plombé par un quotidien sinistre.


Le volet musical du spectacle paraît cependant beaucoup moins contestable, tant la distribution réunie ne souffre d’aucune faiblesse majeure, démontrant une aisance acquise, pour certains des artistes, depuis Bruxelles ou même Salzbourg. Elle est bien évidemment dominée par la Katia d’Angela Denoke: impeccable sur l’ensemble de sa tessiture, la soprano allemande possède une telle autorité que la fragilité de son rôle en est presque occultée et que le Boris de David Kuebler éprouve quelque peine à s’affirmer face à elle. Les deux autres ténors, qu’il s’agisse du Tichon puissant et torturé de Christoph Homberger ou du Koudriach clair et lyrique de Toby Spence, convainquent en revanche sans difficulté.


Pour Kabanicha et Dikoy, Marthaler a choisi la caricature, soulignant le grotesque et la perversité plus que la dureté ou la méchanceté: Jane Henschel, en rombière replète et lubrique qui se dandine, aussi bien que Roland Bracht, qui vient tout juste de s’illustrer en Frère Bernard dans Saint-François d’Assise, se conforment à cette option, mais la mezzo américaine tend à en tirer parti pour prendre quelques libertés avec les notes. La voix de Dagmar Peckova (Varvara) est techniquement irréprochable mais elle ne correspond pas nécessairement à la jeune fille délurée qu’elle est censée incarner. Témoin du soin porté jusqu’aux petits rôles, les brèves interventions de Kouliguine sont confiées à l’excellent Frédéric Caton.


Bastille pour Ariane à Naxos (voir ici), Garnier pour Katia Kabanova... tant mieux pour la superbe prestation des musiciens de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, qui n’en sonne que mieux, tour à tour pesant et transparent, et qui, une heure trois quarts durant, parvient à demeurer précis et mobile, sous la houlette éclairée et éclairante de l’un des sept «chefs permanents» de l’Opéra de Paris, Sylvain Cambreling, familier de longue date de l’œuvre de Janacek (voir par exemple ici) et directeur musical de cette production depuis sa création salzbourgeoise.



Simon Corley

 

 

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