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Prima la musica

Paris
Théâtre de la Ville
10/27/2004 -  et 6, 7, 9, 10, 12 (Nantes), 16, 17 (Angers), 28* (Paris) octobre, 5 novembre (Caen) 2004 et 28 janvier 2005 (Lausanne)
Suzanne Giraud : Le Vase de parfums

Sandrine Sutter (La femme libre/Marie), Jean-Paul Bonnevalle (L’ange/L’esprit), Sébastien Lagrave (L’homme du siècle/L’esprit), Mary Saint-Palais (La mourante/Marthe), Stephan Imboden (Le mendiant/L’esprit)
A sei voci, Bernard Fabre Garrus (direction), Ensemble orchestral contemporain, Daniel Kawka (direction musicale)
Olivier Py (mise en scène et lumières), Pierre-André Weitz (décors et costumes)


Le retour en grâce de l’opéra, genre accablé de tant de maux et de sarcasmes qu’on pouvait le croire moribond, ne pouvait laisser indifférent Suzanne Giraud: indépendamment des succès rencontrés dans ce domaine par d’autres compositeurs français nés dans les années 1950 (Manoury, Fénelon, Dusapin), au-delà d’une vaste culture qui lui permet de se confronter aisément à un tel projet multidisciplinaire et en faisant abstraction d’une première tentative dix ans plus tôt (un Œdipe resté inédit), il suffit de se souvenir que les partitions vocales (notamment Petrarca, To one in Paradise ou Le Bel été) constituent, depuis plus de vingt ans, une part importante de sa production.


Fascinée par Marie-Madeleine, «treizième apôtre» porteuse d’un message d’amour dans cette nuit du Vendredi saint «où la foi n’est plus», c’est vers Olivier Py qu’elle s’est tournée pour l’élaboration du livret. Créé à Nantes le 6 octobre dernier, puis présenté à Angers et Paris avant de partir pour Caen et Lausanne, Le Vase de parfums est donc fondé sur un sujet d’inspiration religieuse, mais sa richesse suggère en même temps plusieurs autres dimensions, historique, politique, sociale ou, bien sûr, philosophique.


Cela étant, au moment où les représentations de Saint-François d’Assise s’achèvent à l’Opéra Bastille, certains traits communs avec ces «scènes franciscaines» de Messiaen, qui, hormis une certaine austérité, relèvent pourtant d’une esthétique très différente, n’en frappent pas moins: un mendiant qui rappelle le lépreux, un ange aux ailes tout juste esquissées, mais tout aussi musicien, que ce soit dans son souci de préserver la «mesure», en empruntant au besoin sa baguette au chef, ou dans les riches ornementations qui lui sont confiées. Au surplus, la dramaturgie est suffisamment réduite et statique pour que l’on puisse parler, dans les deux cas, d’oratorio autant que d’opéra, surtout dans les décors et costumes à la fois dépouillés et réalistes de Pierre-André Weitz. Les lumières, réglées par Py, alternent sans cesse obscurité et aveuglement, ces fluctuations permettant cependant de faire vibrer la sombre palissade en fond de plateau comme une gigantesque fresque de Soulages.


La référence à l’oratorio est d’ailleurs musicalement explicite, car l’effectif est celui du Messie de Haendel (cinq solistes et vingt musiciens, parfois amenés eux-mêmes à chanter), même si les douze cordes jouent chacune leur propre partie. L’orchestre est installé en hauteur, sur trois niveaux, tandis que le chef se retrouve seul sur le côté gauche de la scène, certains instrumentistes étant placés, au début et à la fin de l’œuvre, à divers points de la salle: dans l’Intrada, le public est ainsi entouré d’un merveilleux chaos de sons venu de tous les côtés, tandis que l’épilogue se conclut par un échange de plus en raréfié entre les deux hautbois et les deux trompettes piccolo.


Le soin extrême que Suzanne Giraud porte en permanence au respect du texte rend non seulement le surtitrage superfétatoire, mais finit sans doute par se retourner contre le spectacle. En effet, on ne perd pas une miette d’un style dont la sincérité ne peut certainement pas être mise en doute – et qui a d’ailleurs ses partisans, à commencer, c’est heureux, par le compositeur – mais qui n’en demeure pas moins à prendre ou à laisser, selon qu’on admire ou qu’on abhorre une écriture de type claudélien, dans lequel le sublime et le profond côtoient dangereusement l’artificiel, l’hermétisme, l’ampoulé, le péremptoire, le truisme et, fâcheusement, le comique involontaire. En outre, certains choix de la mise en scène, que l’on doit aussi à Olivier Py, surprennent: l’Esprit, dont le rôle est dévolu aux trois chanteurs masculins, apparaît ainsi sous la forme de personnages à la Arsène Lupin, portant loup clair et chapeau claque.


Ceux qui se montreraient rétifs peuvent toutefois se consoler en se disant, après tout, «Prima la musica» et que ce Vase de parfums ne serait pas le premier opéra (français) au livret contesté: il suffit en effet de penser à Pelléas et Mélisande ou, à nouveau, à Saint-François d’Assise. Au demeurant, le respect du texte se concilie avec la nature éminemment lyrique de Suzanne Giraud, et ce dès la première intervention de la femme libre (Marie). Durant ces douze brèves scènes (quatre-vingt-quinze minutes), elle déploie une grande variété de moyens expressifs, du raffinement au grotesque, de la noirceur à l’apaisement, dans un langage qui, bien loin de faire table rase, a assimilé les acquis du XXe siècle aussi bien que les apports de la Renaissance.


Saluée par une salle comble, la troupe réunie autour de l’Ensemble orchestral contemporain méticuleusement dirigé par Daniel Kawka n’appelle que des éloges. La mezzo Sandrine Sutter maîtrise sans peine le rôle écrasant de Marie-Madeleine, qui culmine dans un périlleux monologue (neuvième scène) où l’accompagnement est réduit au violoncelle solo et à la percussion. Jean-Paul Bonnevalle (contre-ténor) s’impose pareillement dans le rôle finement ciselé de l’Ange, tandis que Sébastien Lagrave (ténor) rend justice au tempérament plus théâtral, presque méphistophélique, de l’Homme du siècle. Enfin, la soprano Mary Saint-Palais (Marthe) et la basse Stephan Imboden (Le mendiant) se sortent aussi bien que possible de parties qui sollicitent fortement les extrêmes de leur tessiture.



Simon Corley

 

 

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