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Un superbe Werther! London Covent Garden 09/20/2004 - et les 24, 27, 29* septembre et les 2 et 5 octobre 2004. Jules Massenet : Werther Marcelo Alvarez (Werther), Ruxandra Donose (Charlotte), Ludovic Tézier (Albert), Sally Matthews (Sophie), Jonathan Veira (Le Bailli), Darren Jeffery (Johann), Gilles Ragon (Schmidt)
Charles Edwards (décors et lumières), Christian Gasc (costumes), Benoît Jacquot (mise en scène)
The Orchestra of the Royal Opera House
Antonio Pappano (direction)
La saison 2004-2005 du Covent Garden débute, entre autres, avec une nouvelle production de Werther qui réunit un nouveau venu à la mise en scène lyrique, en la personne de Benoît Jacquot, et une distribution éblouissante. Tous œuvrent pour rendre cet opéra émouvant, expressif et le pari est amplement gagné car l’intensité dramatique est soutenue pendant toute la représentation et le public est suspendu à l’évolution de chaque sentiment de Werther et il compatit sans réserves à la douleur de Charlotte.
La mise en scène de Benoît Jacquot est honnête, simple mais efficace et surtout elle ne nuit pas à l’oeuvre de Massenet, ce qu’il convient de souligner lorsque l’on compare avec les récentes productions de cette oeuvre ou d’autres. Les décors sont beaux, très stylisés et évocateurs. Le premier acte s’ouvre sur une place devant la maison du Bailli avec une lourde porte de bois et l’évolution de la journée n’est suggérée que par les lumières, tout étant amené par petites touches. Le second acte se déroule devant l’église et le temps a passé comme le soulignent les feuilles mortes à terre. Mais le plus beau décor est peut-être au troisième acte, dans la chambre de Charlotte qui compte un pianoforte avec des partitions, un petit bureau et qui est construit dans une couleur gris-perle, symbole de la désolation du personnage. Le dernier acte rappelle au spectateur, à travers une idée scénique astucieuse, que Benoît Jacquot est un cinéaste avant tout. Werther meurt dans une chambre de bonne complètement délabrée (fissures au mur, fenêtres voilées,etc…) mais qui se trouve d’abord au fond et qui s’avance peu à peu vers le devant de la scène pendant l’intermède instrumental, comme si une caméra faisait un zoom. Dramatiquement, l’effet est saisissant! Avec des moyens simples, le metteur en scène parvient à créer une ambiance tantôt joyeuse avec une Sophie qui apporte une grande gaieté avec chacune de ses apparitions car elle entre souvent sur scène avec des fleurs mais également sombre quand Charlotte est en prise avec ses tourments amoureux et qu’elle se décompose physiquement avant sa grande scène du troisième acte. Les costumes sont également très modestes mais beaux puisque Charlotte porte une robe écru dans un tissu magnifique et brodé et Werther ne se dépare pas de sa veste en velours bleu, harmonisée aux lumières.
Marcelo Alvarez est littéralement idéal dans le rôle de Werther. Il passe par tous les sentiments, l’ahurissement de l’amour en voyant Charlotte au premier acte puis celui de la colère quand il revient au troisième où il fixe pendant un bon moment la jeune femme avec une expression effrayante. Son chant est toujours d’une immense élégance et il use de ses mezza-voce si doux et si expressifs (par exemple sur “à la place connue”). Il faudrait détailler toutes les notes tellement il apporte un raffinement particulier à chaque mot, à chaque nuance. Il place des larmes dans sa voix dans le si émouvant “lorsque l’enfant revient du voyage” tout en séparant chaque mot par une respiration expressive et alourdie. Le fameux “Pourquoi me réveiller” est une merveille vocale, certes, avec les tenues sur le “réveiller” mais c’est surtout par l’engagement qu’il transmet que cet air est remarquable: Werther récite les vers d’Ossian mais surtout il souffre de son amour pour Charlotte et c’est ce qu’il essaie de lui dire. Mais s’il ne fallait retenir qu’un passage de sa prestation ce serait le dernier acte, où écroulé par terre, il distille sa mort, il la vit avec un volume de voix réduit sur des piani, mais toujours audible grâce à sa technique sans failles. On a pu déjà applaudir Marcelo Alvarez dans des rôles comme Des Grieux qui demandent beaucoup de retenue mais il parvient maintenant à allier subtilité de la voix et de l’expression et une rage à chanter qui lui permet de presque devenir fou quand Charlotte, au troisième acte, le renvoie.
Si Ruxandra Donose reste timide au début de la représentation, elle retrouve tout son sens dramatique et tragique à partir de sa grande scène du troisième acte. Cette partie est très difficile pour une mezzo car très tendue et la chanteuse reste seule en scène pendant longtemps. Elle fait passer son personnage par tous les sentiments possibles, que ce soit le bonheur de revoir Werther, l’attente de son retour et la douleur lorsqu’elle s’épanche dans les bras d’une Sophie un peu étonnée, déplacement scénique préparé par un “ah” sonore, transformé en véritable cri de douleur. Elle forme avec Marcelo Alvarez un couple particulièrement émouvant dans le dernier acte où elle lui avoue franchement son amour et leurs deux voix s’unissent dans des méandres d’expressivité.
Ludovic Tézier fait des débuts très remarqués au Covent Garden et son succès est amplement justifié. Il compose un Albert intelligent, sensible aux difficultés amoureuses de son ami, mais il sait également se montrer particulièrement méchant et autoritaire envers Charlotte lorsqu’il lui ordonne de porter à Werther les pistolets. Scéniquement il joue de son élégance naturelle, rehaussée par son superbe habit rouge, et il semble véritablement habiter la scène à chacune de ses entrées. La voix est belle, puissante et souple pour nuancer son phrasé notamment lorsqu’il lit la lettre de Werther au troisième acte.
Sally Matthews soutient honnêtement sa partie dans Sophie mais si sa voix paraît contenir toutes les notes de la partition, son émission est assez assombrie et semble un peu engorgée. Elle apporte une fraîcheur à cette histoire si noire grâce à des mouvements scéniques joyeux et à un enthousiasme réel.
Les rôles plus secondaires sont également bien tenus notamment le Bailli de Jonathan Veira qui impose sa grande voix puissante. Les deux compagnons de beuverie sont ridicules à souhait et Gilles Ragon, pour une fois, n’en fait pas trop et se sert des mots pour donner un sens à sa musique comme au début du deuxième acte.
L’orchestre du Covent Garden est dirigé avec maestria par son directeur musical Antonio Pappano, même si sa lecture ne peut totalement rivaliser avec celle de Michel Plasson. Il ne ménage pas ses musiciens quand il les lance dans un tempo assez rapide pendant l’intermède entre le troisième et le quatrième acte. La grande qualité du chef est de réussir à créer une atmosphère pendant toute la représentation et à ne pas laisser une quelconque routine s’installer: tout est minutieusement préparé mais il parvient à faire de la musique, de l’art notamment avec des phrases superbement liées, ou bien par des emphases lyriques notamment au début de l’acte III avec les si belles descentes tragiques.
Une superbe production qui mériterait d’être reprise et par une aussi magnifique distribution qui tire des larmes non seulement à Charlotte mais aussi aux spectateurs du Covent Garden. Rares sont les représentations maintenant qui parviennent à un tel niveau dramatique qui fait que l’on peut parfaitement percevoir l’évolution des personnages, de l’intrigue et que l’on vit en même temps que les protagonistes leurs affres, leurs peurs et leurs joies. Longue vie à cet exemplaire travail!
A noter:
- Marcelo Alvarez reprendra le rôle-titre de Werther au Staatsoper de Wien du 13 février au 6 mars 2005 et les 25 et 29 juin 2005 et il vient de sortir un nouveau disque The Tenor’s passion, magnifique et intéressant pour découvrir l’évolution de sa voix et de son répertoire puisqu’il y aborde Don José, Cavaradossi… chez Sony.
- Antonio Pappano a enregistré Werther avec R. Alagna, A. Georghiu, T. Hampson… chez Emi. Manon Ardouin
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