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Mare nostrum et unser Ludwig

Prades
Eglise de Villefranche de Conflent et Abbaye Saint-Michel de Cuxà
08/06/2004 -  

Eglise de Villefranche de Conflent, 18 heures
Claude Debussy : Syrinx (§) - Six épigraphes antiques (+)
Iannis Xenakis : Charisma (*)
Ayis Ioannides : Quatre interludes (création française) (#)
Charles Camilleri : Quatre chants grecs (création française) (&)
Serge Prokofiev : Ouverture sur des thèmes juifs, opus 34 (^)

Andras Adorjan (§ #) (flûte), Michel Lethiec (* # & ^) (clarinette), Eric Ruske (#) (cor), Gil Sharon (# ^), Amanda Favier (# ^) (violon), Vladimir Mendelssohn (# ^) (alto), Damien Ventula (* # ^) (violoncelle), Wolfgang Güttler (#) (contrebasse), Natsuko Inoue (+), Itamar Golan (+), Denis Weber (& ^) (piano)


Abbaye Saint-Michel de Cuxà, 21 heures
Ludwig van Beethoven : Sonate pour violon et piano n° 9 «A Kreutzer», opus 47 (+) - Quatuor n° 4, opus 18 n° 4 (*) - Quintette pour piano et vents, opus 16 (#) - Trio avec piano n° 5 «Des esprits», opus 70 n° 1 (&)
Alexeï Ogrintchouk (#) (hautbois), Michel Lethiec (#) (clarinette), Amaury Wallez (#) (basson), Eric Ruske (#) (cor), Gérard Poulet (+), Christian Altenburger (&) (violon), Arto Noras (&) (violoncelle), Itamar Golan (+ #), Lydia Wong (&) (piano), Quatuor Talich (*): Jan Talich, Petr Macecek (violon), Vladimir Bukac (alto), Petr Pause (violoncelle)


A la veille de la journée consacrée à l’Espagne et au Portugal, quatre pays méditerranéens (Chypre, France, Grèce et Malte) étaient à l’honneur en fin d’après-midi, tandis que la soirée était dédiée à un très copieux programme «tout Beethoven», bien typique du Festival Pablo Casals.


1. En Méditerranée


Au pied du Fort Liberia, construit par Vauban, dans l’enceinte du beau village de Villefranche de Conflent, point de départ du train jaune qui remonte la vallée de la Têt pour finir sa course dans cette Cerdagne chère à Déodat de Séverac, le succès était encore une fois au rendez-vous pour cette manifestation qui, comme toutes celles de 18 heures, mettent en valeur les églises et communes des environs de Prades.


Enjoué, jamais pédant, Michel Lethiec, directeur artistique du festival, présentait une heure de musique bigarrée et diverse, à l’image de ces rives septentrionales et orientales de la Méditerranée, mais avec une forte dominante grecque, dont témoignaient quatre des six œuvres sélectionnées pour l’occasion.


Envoûtante entrée en matière, les langoureuses courbes de Syrinx (1913) de Debussy semblent tomber de la voûte: en fait, c’est tapi derrière l’autel qu’Andras Adorjan fait résonner son suave instrument. Changement radical avec le bref et dense Charisma (1971) de Xenakis, rituel terrifiant entrecoupé de silences, où les sifflements de la clarinette dans le suraigu (Michel Lethiec) contrastent avec les raclements du violoncelle dans le grave (Damien Ventula): comme le rappelait le clarinettiste, Xenakis apportait ainsi, tel entre autres Messiaen, sa contribution au «tombeau» édifié à la mémoire du compositeur Jean-Pierre Guézec, disparu dans sa trente-septième année.


Curieusement, la musique chypriote était illustrée par une partition évoquant notre pays: Ayis Ioannides (né en 1943) dirigeait en effet la création française de ses Quatre interludes pour flûte, clarinette, cor et quintette à cordes (douze minutes), issus d’une musique de scène destinée à Crime et crime (1899) de Strindberg, une pièce dont l'action se situe à Paris. Le langage expressionniste s’inscrit dans la première moitié du siècle passé, en harmonie avec une intrigue d’une noirceur sans espoir, tout en s’autorisant quelques aperçus descriptifs (des oiseaux dans Aube sur le bois de Boulogne, une noyade dans la Seine qui rappelle très nettement celle de Wozzeck) et des incursions plus proches de Webern ou Scelsi (Paranoia, le dernier interlude).


Avec les Six épigraphes antiques (1914), c’était à nouveau Debussy et une Grèce idéalisée. Natsuko Inoue et Itamar Golan restituent avec grâce et finesse cette partition un peu injustement négligée par rapport à la Petite suite, mais ils ne sont pas toujours récompensés par une réverbération peu favorable à certaines subtilités du piano.


De même que Chypre renvoyait à la France, Malte menait à la Grèce, par le biais des Quatre chants grecs de Charles Camilleri (né en 1931), également donnés en création française. Autant l’on pouvait s’interroger, deux jours plus tôt, sur le choix de Rudolf Escher pour représenter les Pays-Bas (ou même d’Ysaÿe, mort il y a plus de soixante-dix ans, pour la Belgique), autant Camilleri s’imposait ici: non seulement il est sans doute le musicien le plus célèbre de son pays, mais son intérêt pour les traditions nationales de l’ensemble du pourtour méditerranéen était parfaitement en phase avec le propos de ce concert. Dans ces Chants grecs, d’un durée de sept minutes, tour à tour nostalgiques et dansants, le matériau populaire est peu transformé, à la manière des Danses grecques de Skalkottas, et Michel Lethiec, accompagné par Denis Weber, peut y faire la démonstration de son lyrisme et de son agilité.


En lieu et place des mélodies de Ravel sur des chants populaires grecs, initialement prévues, qui se seraient évidemment enchaînées le plus logiquement du monde, c’est l’Ouverture sur des thèmes juifs (1919) de Prokofiev qui concluait. On aurait également pu penser à Maurice Emmanuel, aujourd’hui bien oublié -né la même année que Debussy et mort un an après Ravel, spécialiste de métrique et de modes grecs - et rêver au complément idéal qu’eût constitué sa Suite sur des airs populaires grecs (1907) pour violon et piano.


Mais qu’importe, va pour Prokofiev et pour un coup de barre vers l’est du bassin méditerranéen, cette Ouverture résultant d’un commande d’un groupe instrumental qui recueillait des fonds pour l’édification d’un conservatoire à Jérusalem. Comme la dernière pièce de Camilleri suggérait déjà une Grèce plus proche des Balkans, et même de l’Europe centrale, la transition se fait sans peine avec ces mélodies d’inspiration klezmer, où l’enthousiasme du sextuor emmené par Lethiec bute parfois sur une réverbération un peu délicate dans les tutti.


2. Le bonheur, tout simplement


Après l’odyssée de l’après-midi, retour à des chemins moins aventureux, avec le traditionnel concert «tout Beethoven», formule tellement rabâchée, si emblématique du festival, que l’on était en droit de se demander ce que l’on pouvait encore en attendre.


Et ce fut le bonheur, tout simplement: deux heures de musique conduisant les spectateurs jusqu’à près de minuit - mais, bien qu’il ne leur ait été fait grâce d’aucune reprise, avec une qualité d’écoute suffisamment rare pour devoir être saluée - pour un tour d’horizon de treize ans de production beethovénienne allant du duo au quintette et exposant plusieurs facettes du génie du «grand sourd», souriant ou combattant, expansif ou méditatif.


D’emblée, la Neuvième sonate pour violon et piano «A Kreutzer» (1803) met la barre très haut: dès l’échange des premiers accords, on sait que les interprètes souligneront le caractère titanesque de cette sonate, sorte de pendant, pour le violon et le piano, de la Symphonie «Héroïque», tant par ses dimensions que par sa date de composition et son atmosphère. Dans les deux Presto, bondissant sur scène, Gérard Poulet jette toutes ses forces dans la bataille, livrant un corps à corps spectaculaire avec son violon, soutenu par le piano à la fois puissant et alerte d’Itamar Golan. Vivante et contrastée, leur lecture laisse la place, dans l’Andante à variations, au jeu fin et souple du violoniste français: cette sonorité si personnelle se conjugue avec une aisance technique jamais prise en défaut, jusque dans les aigus, particulièrement sollicités. Quel dommage que ce moment d’anthologie ait précédé d’un jour l’arrivée des micros de France Musiques!


Dans le Quatrième quatuor (1800), dernier achevé des six de l’opus 18, les Talich privilégient l’héritage de Haydn et de Mozart, avec un sens du tragique de facture plus classique que romantique, aux effets dramatiques très sûrs (reprise plus rapide du Menuet, précipitation du Prestissimo final). Tout au long des quatre mouvements, l’homogénéité du son et le soin apporté aussi bien à la conduite du discours qu’à la réalisation - légère, transparente, aux attaques d’une formidable précision - offrent une véritable leçon de style.


Si le Quintette pour piano et vents (1796) avoue une parenté avec le modèle mozartien - un Quintette de douze ans antérieur, écrit pour la même formation et dans la même tonalité - les musiciens ne se coulent pas dans le confort de ce calque, même dans l’Andante cantabile qui cite presque littéralement un air de Don Giovanni: menée par le piano volontiers concertant d’Itamar Golan, plus carré que moelleux, voire dur et brutal, leur approche traduit plutôt le volontarisme et l’esprit conquérant qui animent déjà le jeune Beethoven. Si les vents sont tous excellents, les interventions impeccables du corniste Eric Ruske s’imposent brillamment.


Dessert digne de ce festin pantagruélique, le Cinquième trio avec piano «Des esprits» (1809) associait le violon précis et rigoureux de Christian Altenburger, le violoncelle toujours aussi chaleureux et éloquent d’Arto Noras et le piano lisse et prosaïque de Lydia Wong. Sans la moindre concession à la facilité, notamment dans le fameux Largo assai ed espressivo central, ils rendent justice à l’inlassable élan des deux autres mouvements.



Simon Corley

 

 

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