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Galanterie et profondeur

Montreal
Basilique Notre-Dame
06/29/2004 -  

Wolfgang Amadeus Mozart : Concerti pour piano nos 6 et 15, K. 238 et 415, en si bémol majeur
Franz Schubert :Symphonie no 8 en si mineur, D. 759, «Inachevée»



Orchestre symphonique de Montréal
Louis Lortie (direction et piano)



Poursuivant une intégrale des concertos pour piano de Mozart entreprise l’été dernier, et qui se terminera en 2006 pour le 250e anniversaire du divin Wolfgang, Louis Lortie revient à Montréal une fois de plus pour quelques semaines, continuant son périple avec six concertos en trois soirées, chacune complétée par une œuvre substantielle du répertoire. Jouant d’un superbe Fazioli dépêché de New York spécialement pour ces concerts, Lortie commande ici encore la plus grande admiration, tant par la fluidité et l’intelligence de son discours pianistique que par les résultats qu’il obtient comme chef, résultats surprenants, si j’ose dire, et ce sans la moindre connotation péjorative.


Le sixième concerto, sans constituer une réalisation capable de prétendre au rang des plus grands opus du salzbourgeois, prend sous les doigts de Lortie un aspect vivifiant et festif, l’interprète y accordant une juste touche d’effervescence juvénile sans jamais grossir les traits, tout en offrant une lecture contextuelle où l’atmosphère de galanterie et de préciosité dans ce qu’elle a de plus charmant est magnifiquement rendue. Le quinzième concerto appelle quant à lui au déploiement de moyens physiques et interprétatifs beaucoup plus élaborés, et Lortie y transcende pratiquement toutes les difficultés techniques, en continuant d’émerveiller par un jeu subtil et éclairé, démontrant un sens très raffiné des gradations de tension, aussi ténues soient-elles, à l’intérieur d’un même passage, portant chaque phrase à son paroxysme sans jamais s’éloigner d’une parfaite unité stylistique.


La véritable surprise vient du traitement qu’il réserve à la symphonie. Quelle belle, troublante réussite ! C’est un orchestre certes réduit mais remarquable de présence qui répond avec intensité à un chef à la gestique par moment un peu étroite, mais toujours, toujours pertinente. Lortie chef jouit manifestement d’une communication privilégiée avec ces musiciens, dirigeant tout de mémoire, sa vision se déployant comme une fresque modelée par l’omniprésence d’une souffrance et d’une inquiétude morale fortement intériorisées et mue par la respiration lourde et difficile de la Mort. Impressionnant.



Interview de Louis Lortie :


ConcertoNet : Puisque nous sommes en plein Festival Mozart, parlez-nous un peu de la genèse de cette idée d’une intégrale des concerti pour piano.


LL : Cela fait déjà plusieurs saisons que je me produis dans le cadre du Festival Mozart Plus de l’OSM, et à bien y penser j’ai donné la presque totalité de la littérature concertante des 18e et 19e siècles ici même, avec Charles Dutoit, depuis les débuts du Festival. C’est de lui qu’origine en réalité l’idée d’une intégrale. On en discutait depuis quelques années, ayant même vaguement esquissé le projet de donner les vingt-sept opus en une seule saison régulière (qui devait être celle du 25e anniversaire de son arrivée à Montréal), à Pierre-Mercure ! Personnellement, je trouvais que c’était beaucoup trop chargé, et suite à son départ de Montréal, j’ai finalement décidé d’échelonner cette entreprise sur quatre étés, y allant vraiment à mon rythme.


ConcertoNet : Comment vous accommodez-vous des défis acoustiques que représente un vaisseau comme la Basilique Notre-Dame ?


LL : À vrai dire j’aime quelque chose de relativement réverbéré pour Mozart. J’ai réalisé l’été dernier que le choix de l’instrument posait problème, le seul Steinway disponible à la Place des Arts étant très peu puissant. Avec le Fazioli dont je dispose cette année et, espérons-le, lors des prochaines éditions du Festival également, le son voyage bien et avec un minimum de distorsion. Évidemment, la Basilique sera toujours un peu trop grande. Dans un monde idéal, on installerait une immense conque à la moitié de ses dimensions !


ConcertoNet : Qu’est-ce qui vous guide dans le choix des cadences pour ces concertos ?


LL : Mon choix est toujours très simple : s’il existe une cadence écrite par Mozart, je la joue; je n’en connais pas de mauvaise ! S’il n’y en a pas, je joue alors mes propres cadences.


ConcertoNet : Êtes-vous personnellement responsable de l’élaboration des programmes que vous dirigez ?


LL : Oui, tout à fait. Je n’ai en soi aucune restriction, à part le fait que l’orchestre en lui-même est réduit de moitié pour les concertos. Cela me laisse tout de même une grande latitude quant au choix du répertoire, et comme on le verra dans le Schubert ce soir, le son orchestral peut tout de même prendre beaucoup d’ampleur, de largeur, dans le contexte acoustique qui nous occupe.


ConcertoNet : Sans nécessairement penser aux Barenboim et Eschenbach de ce monde, le nombre de pianistes qui dirigent des programmes orchestraux entiers est de plus en plus important. Souhaitez-vous accorder plus d’importance à la direction d’orchestre dans votre carrière ?


LL : À vrai dire je ne souhaite pas vraiment y accorder plus d’importance que maintenant. Vous mentionnez des pianistes qui sont littéralement happés par leur carrière de chef, et dont la contribution strictement pianistique est devenue beaucoup moins intéressante avec le temps. Ce qui est spécialement enthousiasmant dans le cas présent, c’est que je jouis d’une excellente relation avec les musiciens de l’OSM, et que nous disposons de beaucoup de temps de répétition pour travailler sur des détails d’intonation, de phrasé. Le manque de temps lorsqu’on répète avec un chef qui, souvent, met l’emphase sur les œuvres symphoniques, est une des raisons pour lesquelles de nombreux pianistes choisissent maintenant de diriger eux-mêmes du clavier. En même temps, plus on avance dans cette intégrale, plus l’acuité de notre compréhension mutuelle augmente, et c’est absolument fascinant. Je leur dis à la blague qu’arrivés au grand concerto en mi bémol, K. 595, nous n’aurons même pas besoin de répéter tant ils auront assimilé mes idées ! La vérité est qu’ils auraient à jouer Mozart avec un autre chef ou chef/soliste demain, et tout serait à recommencer…


ConcertoNet : Parlez-nous un peu de votre traitement du style mozartien.


LL : De nos jours, il y a une manière de jouer et d’écouter Mozart qui n’est pas la même qu’il y a 10 ou 20 ans. Les choses demeurent cependant complexes avec un orchestre comme celui-ci qui, même réduit, n’a rien d’un ensemble d’instruments d’époque. On peut insister sur certaines choses, mais il y a des limites. On peut vouloir inculquer quelques nouvelles idées, tout en comprenant qu’il s’agit d’un orchestre qui fait du répertoire standard. Il m’est arrivé à quelques occasions de demander des attaques plus mordantes, des enflées dynamiques plus soudaines : Richard Robert, violon-solo, qui est beaucoup plus âgé que moi, me regardait presque comme si je parlais cantonnais ! Je pense qu’il y a aussi une question culturelle, éducationnelle, générationnelle même, qui entre en ligne de compte. L’an dernier j’ai travaillé avec Jonathan Crow, qui trouvait mes suggestions plutôt amusantes…Il faut également être capable d’évoluer avec la mode. Il ne faut pas se leurrer et prétendre que dans trente ans, on écoutera Harnoncourt ou Gardiner comme on lirait une bible d’interprétation mozartienne ! Les standards changent. On écoute ni Schnabel, ni Walter de la même manière aujourd’hui qu’il y a cinquante ou soixante ans. Ce qui demeure fascinant dans tout ça, c’est que Mozart peut toujours être remis à l’horloge de notre temps, qui elle est en renouvellement infini et constant.


ConcertoNet : Vous ouvrez la porte…souhaiteriez-vous éventuellement, dans un monde idéal, revenir à l’usage exclusif du pianoforte pour la musique de Mozart ?


LL : À première vue, je serais très intéressé à tenter l’expérience. Je trouve ce son très attirant au départ, voire racoleur. Je rêve à la rigueur d’entendre les plus grands pianistes d’aujourd’hui jouer du pianoforte, ce qui ne m’a pas encore été donné. Lorsque j’écoute les interprètes actuels du pianoforte, le problème demeure continuellement le même : je suis séduit immédiatement par le son de l’instrument, mais repoussé par le jeu de l’interprète. Ce sont souvent des gens qui ne sont simplement pas des praticiens de l’instrument, avec toutes les conséquences négatives que cela implique. Ce sont souvent de grands érudits, leurs références musicologiques leur permettant de pondre des cadences du plus grand intérêt, contrairement à plusieurs grands pianistes dont les cadences sont malheureusement de véritables aberrations stylistiques. Il ne faut pas non plus oublier que l’utilisation du pianoforte en concert pose en elle-même des problèmes logistiques trop souvent insurmontables : il faut des musiciens, des instruments, des salles, des publics et des budgets adaptés aux proportions particulières d’un contexte de «retour aux sources»…


ConcertoNet : On connaît peu votre fréquentation du répertoire antérieur à la musique de Mozart. Qu’en est-il ?


LL : À vrai dire j’évite complètement tout ce pan du répertoire. Il m’arrive de faire des essais dans l’intimité de mon studio, mais je ne joue ni Bach, ni Scarlatti en concert. Je considère que le piano moderne ne convient pas nécessairement. Il est difficile aujourd’hui de trouver sa voix face à un Gould, un Richter, qui ont si fortement marqué ce répertoire. Les témoignages de la plupart de mes collègues ne me convainquent pas plus.


ConcertoNet : Comment vivez-vous au quotidien avec la multiplicité des perceptions culturelles, qui diffèrent d’un public à l’autre ?


LL : La réponse à cette question n’est pas aisée. Bien sûr il y a une part d’influence culturelle, voire sociologique, dans la relation qu’un musicien aura avec tel ou tel autre public. En même temps, il faut considérer ce phénomène comme une composante qui, en interagissant avec plusieurs autres éléments, fait que chaque prestation est différente et unique en elle-même. On doit évidemment vivre au jour le jour avec les contraintes physiques et techniques inhérentes à chaque nouvelle apparition sur scène : acoustique de la salle, condition et nature de piano, etc. J’ai des collègues qui ne souhaitent en rien modifier leur approche à l’instrument, sans égard à ces conditions. Ils font assurément fausse route. Il est nécessaire de s’adapter à l’environnement dans lequel on évolue, et qui change constamment. En outre, la connaissance ou la relation entretenue avec un public vient se greffer à cet état de choses.


ConcertoNet : On ne joue pas implicitement Mozart de la même manière à Berlin qu’à New York, par exemple…


LL : Effectivement pas. D’un pays à l’autre, d’une ville à l’autre, et même parfois d’une salle à l’autre, on rencontre des publics aux goûts différents, dont la culture et l’éducation modèlent leurs perceptions. Forcément, ceci a des répercutions variables sur l’interprète. Je ne voudrais pas affirmer cependant que l’intention interprétative est modifiée. Elle est plutôt teintée de l’intégration plus ou moins consciente d’un compendium de facteurs internes et externes.


ConcertoNet : Vous êtes spécialement impliqué face à la musique de notre temps, vous avez d’ailleurs participer, ou aller le faire prochainement, à la création d’œuvres de Thomas Adès et de Denys Bouliane. Quels défis la diffusion de la musique nouvelle rencontre-t-elle selon vous, par rapport à la défense des «classiques» ?


LL : Tout d’abord, je pense qu’il est primordial de faire une espèce de tri, de jeter un regard critique, même en tant qu’interprète, sur l’ensemble de la création actuelle. Personnellement, j’ai toujours préféré m’attacher à des compositeurs d’aujourd’hui dont les œuvres signifient quelque chose de vraiment particulier pour moi, dont le langage m’interpelle le plus, et privilégier en quelque sorte la qualité sur la quantité. C’est le cas pour Thomas Adès comme pour Denys Bouliane que vous avez mentionné. Il faut toutefois être réaliste : si l’on parle strictement en termes de musique concertante pour le piano, les nouveautés ne pleuvent tout de même pas ! Il existe un Concerto Conciso d’Adès qui est entré à mon répertoire, mais j’essaie toujours de le convaincre d’envisager une œuvre de grandes dimensions pour piano et orchestre !


ConcertoNet : C’est Nikolaus Harnoncourt qui écrit que, si la musique ancienne connait un tel regain d’intérêt actuellement, c’est avant tout parce que la musique actuelle est difficilement intelligible pour le public et les interprètes, et qu’il n’existe plus de véritable «vie créative» musicale fondamentalement rattachée à notre époque. Partagez-vous cet avis ?


LL : À priori, non. Il est vrai d’une part qu’à notre époque on s’enthousiasme, à raison, pour les idées de retour plus ou moins conditionné à un certain idéal lié à la Renaissance ou à l’Âge des Lumières : ce peut être vers les valeurs, le mode de vie de cette époque tels qu’on se les figure. D’autre part, je ne serais pas prêt à affirmer qu’un équilibre s’établit à la base par manque ou surplus de telle ou telle chose, Harnoncourt lui-même, il faut bien le dire, ne participant pas concrètement à la mouvance de la création contemporaine. Par contre il y a bel et bien un problème de diffusion, j’ajouterais même d’assimilation, de part et d’autre de la rampe. Les impératifs de planification internationale, à plus forte raison s’il s’agit de grands orchestres, sont souvent très mal adaptés aux nécessités artistiques découlant de la création d’une nouvelle œuvre, même sous la direction du compositeur. Pour revenir à un exemple récent, je devais jouer le Concerto Conciso d’Adès lors de mon dernier passage à Montréal au printemps. L’œuvre est brève comme son titre l’indique, mais d’une très grande complexité mathématique, avec des superpositions polymétriques hallucinantes intervenant dès les premières mesures. Il nous aurait fallu au bas mot une répétition supplémentaire entièrement consacrée à ce morceau pour en faire quelque chose de bien, ce qui dans ce cas comme dans plusieurs autres n’était absolument pas envisageable. Nous avons simplement laissé tomber. Ce genre de situation témoigne certes de façon éloquente de la difficulté, pour les interprètes, d’atteindre le but. Il faudrait aussi repenser la manière dont on souhaite amener le public à s’épanouir dans l’appréciation de la musique nouvelle.


ConcertoNet : Pouvez-vous nous en dire plus sur l’œuvre de Bouliane qui sera créée à l’OSM en novembre ?


LL : Le style de Bouliane est intrinsèquement plus accessible que celui d’Adès. Je ne peux pas vous en dire beaucoup sur l’œuvre elle-même, puisque je n’ai pas encore reçu la partition, et je gagerais que tout n’est pas encore tout à fait en place ! Il s’agit d’un triple concerto pour violon, violoncelle et piano en quatre mouvements, et d’une durée d’environ vingt-cinq minutes.


ConcertoNet : Aimeriez-vous, en terminant, mentionner certains projets futurs ?


LL : D’un point de vue global, j’ai connu ces derniers temps ce que je pourrais qualifier de «période Schumann extensive»… J’ai commencé à étudier les Sonates de Schubert, ce qui ressemble à une primeur ! Peut-être envisagerai-je une intégrale, il est trop tôt pour le dire. Bien qu’elles ne soient pas toutes du même niveau d’inspiration, je dois admettre que je n’en ai rencontré aucune qui ne me plaise beaucoup, ce qui augure plutôt bien. Je suis également très attiré par les grands cycles de lieder avec piano de Schumann et Schubert. Ici comme ailleurs, il s’agira simplement de trouver le ou la partenaire d’exception !


ConcertoNet : Vous avez été porté, dans les années 80 et 90, par l’explosion du marché du disque compact. Vous avez maintenant une vaste discographie à votre actif. À une époque où l’industrie du disque classique telle qu’on la connaissait est pratiquement disparue, comment envisagez-vous l’avenir pour les jeunes interprètes, d’une part, et les répercussions d’une telle situation sur l’industrie de la musique vivante, i.e. du concert, d’autre part ?


LL : Tout d’abord je crois qu’on se trouve simplement à un seuil, un plateau, un entre-deux. Le CD prend de l’âge, est victime de sa propre stagnation, les discothèques sont pleines…On ne peut prédire avec certitude ce qui le remplacera, mais à mon avis l’avenir se situera du côté du Web, ce qui risque d’impliquer une refonte majeure du rôle joué par les sociétés qui enregistrent la musique et par celles qui la distribuent. Dans l’absolu, il faudrait être en mesure de revenir à un certain état de fait qui prédominait encore il n’y a pas si longtemps, et où la possibilité d’enregistrer librement, quand on veut, ce qu’on veut, avec qui on veut, et le nombre de fois qu’on veut à la limite (j’exagère un peu, mais bon), était bel et bien réelle. De nos jours, même une Bartoli ou un Andsnes sont forcés de planifier des années à l’avance leur répertoire de studio, et le nombre d’enregistrement qui leur est consenti demeure limité.


ConcertoNet : Seriez-vous prêt à établir un parallèle clair entre la morosité du disque et la fréquentation des salles de concert ?


LL : Non, pas en ce qui me concerne du moins. Il y a assurément une relation entre les deux, mais pour tout dire je n’ai pas le sentiment de m’être produit devant des salles moins bien remplies ces dernières années. Ce qu’il faut souligner, c’est la déresponsabilisation croissante de certaines maisons et de certains distributeurs. Les disques sont de moins en moins disponibles à l’achat au sortir des salles, on organise pratiquement plus de séances de signatures…Je pense que les artistes doivent aussi se rapprocher de leur public dans cette optique là. Je le fais le plus souvent possible, mais en général je m’occupe de tout, j’amène moi-même mes disques…Il va falloir que quelqu’un prenne l’initiative de «remettre les pieds sur le terrain».





Renaud Loranger

 

 

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