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De tristes Noces! Paris Théâtre des Champs-Elysées 06/15/2004 - et les 17, 19, 21*, 23 et 25 juin 2004. Wolfgang Amadeus Mozart : Les Noces de Figaro Luca Pisaroni (Figaro), Rosemary Joshua (Susanna), Annette Dasch (La Comtesse Almaviva), Pietro Spagnoli (Le Comte Almaviva), Angelika Kirchschlager (Cherubino), Sophie Pondjiclis (Marcellina), Antonio Abete (Bartolo), Alessandro Svab (Antonio), Enrico Facini (Don Basilio), Paulette Courtin (Barbarina), Serge Goubioud (Don Curzio)
Hans Schavernoch (décors), Sylvie de Segonzac (costumes), Jean Kalman (lumières), Jean-Louis Martinoty (mise en scène)
René Jacobs (direction)
Depuis quelques années, le Théâtre des Champs-Elysées a le projet de monter les principaux opéras de Mozart et après un Cosi fan Tutte assez déconcertant, Jean-Louis Martinoty avait proposé en 2001 une mise en scène des Noces de Figaro intelligente, fine et, ce qui est assez rare de nos jours pour être souligné, belle et respectueuse de l’époque. Pour cette reprise, René Jacobs a choisi une distribution composée de jeunes chanteurs qui ne demandent qu’à faire leurs preuves et d’artistes déjà confirmés dans ces rôles, ce qui apporte une certaine fraîcheur à l’ensemble.
Les décors sont assez suggestifs et discrets. Le metteur en scène travaille beaucoup par petites touches et des tableaux du XVIIIème siècle apparaissent pour évoquer le jardin, au dernier acte, le désordre des meubles du jeune ménage au début de l’opéra, etc…La Comtesse possède un magnifique clavecin au deuxième acte. En revanche, la représentation du Christ crucifié dans la chambre de la Comtesse est un peu plus étonnante. Les costumes sont simples et montrent assez bien la différence entre les maîtres et les valets sans pour autant dispenser un luxe démesuré pour le Comte et la Comtesse. Les couleurs utilisées sont assez légères et douces, dans des tons pastels voire passés. Dans la plus pure tradition de l’époque…
Le grand triomphateur de la soirée est, sans conteste, Luca Pisaroni dans le rôle-titre. Enfin un Figaro qui peut largement se mesurer à son maître: excellente prononciation, jeu scénique maîtrisé… Il chante avec beaucoup d’aisance et avec une belle ligne de chant le “Se vuol ballare”, même si certains décalages avec l’orchestre sont remarquables. On avait déjà pu remarquer ce chanteur dans le rôle épisodique de Mélisso dans Alcina le mois dernier à Garnier, mais il réussit dans ce personnage plus lourd et plus long à montrer l’étendue de son talent. Un nom à retenir!
Rosemary Joshua est une charmante Suzanne, mais possède une forte personnalité, davantage que dans d’autres productions. La voix est belle, souple et affirmée et son “Deh vieni non tardar” est rempli de grâce et de douceur: dommage seulement que le diapason trop bas l’empêche de donner toutes les couleurs nécessaires au notes graves de la partition. Le duo avec le comte est très convaincant notamment quand elle se trompe sur les réponses et on sent la voix de la chanteuse se décomposer à chaque nouvelle question.
Véronique Gens, qui avait fait une si grande impression en 2001, laisse la place à une jeune soprano qui fait beaucoup parler d’elle ces derniers temps, Annette Dasch. Ses débuts étaient très attendus et elle a remporté un grand succès, malgré certaines réserves qu’il convient toutefois de souligner. La voix est puissante, souple mais parfois elle donne justement trop de volume alors qu’on souhaiterait plus de douceur et de douleur dans la Comtesse. La chanteuse dessine une femme encore très jeune et qui n’est pas assez rongée par la douleur. Pourquoi pas? Jean-Louis Martinoty prend le parti d’anticiper sur La Mère coupable en accentuant l’ambiguïté des rapports entre la Comtesse et Chérubin car ils sont très proches l’un de l’autre et se lancent des œillades assez enflammées: pendant que Suzanne l’habille, elle regarde avec une grande tendresse son habit de militaire. Mais son “Dove sono” manque quelque peu de magie et surtout elle se sert de conduits artificiels pour atteindre ses notes élevées.
Pietro Spagnoli est un Comte de grande classe, surtout revêtu de sa belle veste rouge. La voix est assurée et d’une élégance propre au rôle.
Angelika Kirchschlager présente - enfin - son Cherubino à Paris et elle dessine un personnage juvénile mais intelligent, un peu moins fade que ce que l’on voit en général. Habituée aux rôles en pantalon, elle parvient à exprimer les affres d’un jeune garçon qui est perdu face aux tourments amoureux et qui ne sait que faire. Évidemment elle adjoint à une maîtrise parfaite de ses déplacements scéniques, un art vocal consommé et le premier air est véritablement distillé et les silences avant la fin, sont remplis de sens: les mots “colore” sont magnifiques. Malheureusement les nombreuses cadences rajoutées choquent un peu dans un premier temps car l’air semble moins coller au personnage.
Marcellina est interprétée par une Sophie Pondjiclis surprenante car elle montre un instrument et une musicalité très intéressants. Elle est très sensible aux mots et propose une femme jalouse et déterminée dans le duo avec Suzanne au premier acte, mais aussi tendre dans son air rajouté au quatrième acte et en même temps .
Antonio Abete est un habitué de l’esthétique de René Jacobs avec lequel il a déjà chanté Pallante dans Agrippina au début de la saison. Il campe un Bartholo un peu bonhomme, honnête et se sort très bien de son air du premier acte.
Les seconds rôles sont également bien tenus à commencer par Serge Goubioud qui a une voix idéale pour le rôle de Don Curzio, affinée et aiguisée. Il est excellent scéniquement avec sa perruque et son attirail de notaire qu’il transporte tout le temps avec lui. Enrico Facini est un Don Basilio convaincant aussi même si sa voix est peut-être un peu trop puissante pour le rôle. Alessandro Svab reprend Antonio avec une bonhomie parfaitement adaptée. Paulette Courtin est une honnête Barberine et on sent derrière certaines notes, une réserve intéressante et d’autres rôles lui permettront sûrement d’exploiter ses qualités.
Pour la seconde fois, René Jacobs propose une version allégée et baroque des Noces. Sa direction est énergique, c’est le moins que l’on puisse dire, un peu trop d’ailleurs car le tempo adopté est parfois trop rapide et il ne laisse pas suffisamment de temps à la musique de Mozart pour se développer. L’ouverture est menée très vite, ce qui donne une certaine dynamique et une tension mais qui ne tiennent pas le temps de toute l’oeuvre. Le chef a souhaité se rapprocher le plus possible de ce qu’il pense être l’esthétique de Mozart et il emploie un pianoforte un peu trop présent. Il rajoute de multiples cadences, parfois assez drôles comme le rappel de quelques notes caractéristiques pour l’entrée d’un personnage, mais souvent elles alourdissent l’ensemble. Il a ajouté également des cors qui sonnent trop forts.
Cette reprise se justifie largement pour entendre le Cherubino d’Angelika Kirchschlager et pour découvrir Luca Pisaroni mais le reste de la distribution, bonne, mais assez neutre, ne permet pas de porter cette oeuvre à son plus haut niveau. Le débat reste ouvert quant à savoir s’il vaut mieux revenir aux sources de Mozart ou s’il faut continuer à jouer sur un orchestre fourni et au diapason habituel.
A noter:
- Une nouvelle intégrale des Noces de Figaro vient de sortir avec V. Gens, P. Ciofi, S. Keenlyside, A. Kirchschlager, L. Regazzo… sous la direction de René Jacobs, chez Harmonia Mundi. Manon Ardouin
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