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Goethe et Schumann : sommets escarpés

Baden-Baden
Festspielhaus
06/20/2004 -  
Robert Schumann : Scènes du Faust de Goethe
Matthias Goerne (Faust, Docteur Marianus), Christiane Oelze (Marguerite, Una poenitentium), Frode Olsen (Mephistopheles, Böser Geist), David Kuebler (Ariel, Pater Ecstaticus), Susan Davis-Holmes, Ofelia Sala, Hannah Minutillo, Susanne Schaeffer, Andreas Karasiak et Markus Brück (soli), Maîtrise de Calw, Chœurs de la Philharmonie Slovaque de Bratislava, Orchestre Symphonique du Südwestfunk de Baden-Baden et Freiburg, Sylvain Cambreling (direction).

On ne joue pas assez les Scènes de Faust de Schumann, le plus méconnu des chefs d’œuvre de la musique chorale au 19e siècle. Cela dit, l’accès à ces fragments parmi les moins immédiatement dramatiques du Faust de Goethe, n’est pas aisé, même pour un public averti. Schumann n’accorde que peu de place aux péripéties largement exploitées par Berlioz et Gounod (une brève rencontre entre Faust et Marguerite, suivie de la scène de l’Eglise, lui suffisent pour s’estimer quitte avec l’anecdote), au profit de monologues et d’ensembles choraux à caractère plus littéraire et philosophique, certes d’un statisme peu gênant dans ce contexte d’oratorio, mais qui obligent quand même l’auditeur à une concentration méritoire. On notera que le Festspielhaus de Baden-Baden ne s’est guère vidé en cours de route, mais malheureusement aussi qu’il était remarquablement dégarni au départ : manque de curiosité ou simple méfiance du public à l’égard d’une œuvre réputée difficile ? À l’issue d’un tel concert, on reste malheureusement convaincu qu’il est impossible de débarrasser ces Scènes de Faust de leur statut de jardin secret pour happy few, ce qui n’était sans doute pas le but recherché, mais n’est pas non plus un constat d’échec.


À l’évidence aussi, même pour une phalange aguerrie, l’écriture orchestrale de Schumann pose des problèmes insolubles. Sylvain Cambreling a beau dépenser beaucoup d’énergie à faire jouer ses musiciens à la limite inférieure de leur potentiel sonore, la charge en décibels qui émane des voix intermédiaires finit par noyer les lignes dans une sorte d’empâtement d’une couleur indéfinissable, préjudiciable autant à la perception de la polyphonie chorale qu’à l’intelligibilité des parties solistes. De surcroît l’effort de concentration demandé aux premiers pupitres finit par leur arracher des sonorités moyennement réussies, à la limite de l’accident. Prestation inconfortable comme on n’en vit que rarement à Baden-Baden, mais qui comporte aussi ses grands moments, parmi lesquels la conclusion de la seconde partie, l’un des plus beaux et difficiles passages de toute la musique orchestrale de Schumann, et que les musiciens parviennent à restituer sans accroc, au profit d’un surcroît d’effort certes perceptible mais qui force l’admiration.


On doit au Chœur de la Philharmonie Slovaque de Bratislava les passages les plus stables de la soirée. À quelques rarissimes failles des sopranos (déstabilisées il est vrai par quelques lignes difficiles à soutenir) voilà un ensemble d’un professionnalisme à toute épreuve. En revanche, on reste plus sceptique devant une distribution infaillible « sur le papier » mais en réalité bien peu adéquate. Christiane Oelze et Mathias Goerne comptent aujourd’hui parmi les meilleurs interprètes du Lied allemand, mais ni l’un ni l’autre ne parviennent à se faire entendre dans un contexte de concert réel, dans une grande salle, devant un effectif instrumental et choral important. Problème d’orchestration et d’équilibre des masses sonores, peut-être, mais aussi vraies carences techniques. On a pu se familiariser au disque avec la jolie voix de Christiane Oelze, remarquablement riche en couleurs (un bel outil expressif pour Hugo Wolf par exemple), mais qui, perçue de loin, se réduit à un filet sonore que seule une série d’artifices parvient à timbrer. Et le cas de Mathias Goerne est encore plus frustrant. Le timbre est merveilleux, avec des graves qui évoquent constamment le regretté Hans Hotter et un registre aigu d’une limpidité à couper le souffle (les strophes du Docteur Marianus, moment d’élévation inoubliable, certainement le sommet de la soirée), mais ce chant émis au prix d’un effort constamment patent reste souvent à la limite de l’audible. À trop vouloir placer sa voix dans les résonateurs (tension révélée par le peu de naturel d’une attitude constamment recroquevillée, le torse « en dedans ») Goerne en oublie de projeter ce qu’il chante vers la salle. On aura rarement vu baryton d’envergure se soucier aussi peu d’ouvrir la bouche, absence de profération qui ne peut que s’avérer préjudiciable à la suite de sa carrière (on annonce même Matthias Goerne dans une reprise du Lear d’Aribert Reimann, exploit inimaginable en l’état actuel d’une technique à ce point artificielle, à soumettre d’urgence au diagnostic d’un bon professeur). Beaucoup moins de problèmes chez David Kuebler, Ariel un peu grêle mais dont l’aigu métallique de se fait entendre sans obstacle, et même chez Frode Olsen, émission caverneuse et parfois instable de méchant d’opéra, mais dont le Mephistophélès ne s’embarrasse d’aucun scrupule vocal et s’impose sans discussion possible. En définitive, ce sont ici les seconds plans, jeunes interprètes bien choisis, souvent brillants, qui délivrent le chant le plus évident, à commencer par les excellents Andreas Karasiak et Markus Brück.


Réussite mitigée donc, à la mesure des difficultés d’une œuvre qui ne se livre pas facilement, mais dont les beautés ont su récompenser un public finalement chaleureux. Une expérience à confronter avec l’exécution programmée à Strasbourg la saison prochaine, dans un contexte radicalement différent.



Laurent Barthel

 

 

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