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L’enchantement du Vendredi saint

Berlin
Schauspielhaus
03/24/2000 -  
J-S Bach : Passion selon Saint-Matthieu BWV 244
Steve Davislim (Évangeliste), Johannes Mannov (Jésus), Maria Cristina Kiehr (Soprano), Bernarda Fink (Alto), Werner Güra (Ténor), Jochen Kupfer (Baryton)
Akademie für alte Musik Berlin, RIAS-Kammerchor, René Jacobs (direction)

Autant le chanteur René Jacobs n’est pas toujours exempt de reproches (timbre un peu aigre, interprétations manquant parfois d’élégance si l’on compare à celles de Deller qui avait une voix semblable à la sienne), autant sa carrière de chef d’orchestre, commencée il y a un peu plus de vingt ans avec le Collegium Vocale, force de plus en plus l’admiration. Sans avoir l’aura médiatique d’un Christie ou d’un Minkowski, le musicien flamand poursuit depuis dix ans un travail patient et tout à fait remarquable avec l’Akademie für alte Musik Berlin, qui en fait aujourd’hui l’un des ensembles baroques les plus unis. Ainsi la décontraction est manifeste dans les rangs de l’orchestre avant d’entamer les quatres éprouvantes heures de la Matthäus- Passion, mais dès les premières mesures le son est là, plein, rond, et d’un volume tout à fait appréciable pour une formation sur instruments anciens. Peut-être pas pour nous jouer un jour Parsifal, mais l’impression générale qui se dégage de cet orchestre après ce concert de vendredi saint, un mois avant celui du calendrier, est bel et bien celle d’un enchantement.

Face à une partition passée depuis deux siècles à toutes les sauces interprétatives, Jacobs choisit l’option classique, avec un goût prononcé pour la couleur instrumentale, plus que pour la densité du son. Le dramatisme du sujet ne semble pas trop l’inspirer, et dans l’ensemble sa direction est plutôt verticale, avec chaque pupitre nettement différencié. Toutefois il ne perd pas de vue la rigueur implacable du contrepoint (notamment dans certaines parties chorales), dynamique qui le délivre de cette vision éthérée où se complaît trop facilement un Herreweghe par exemple. On pourrait souhaiter une lecture plus " chargée " en émotion (tout n’étant pas à jeter aux orties dans l’interprétation romantique de Bach, en particulier pour les Passions), mais ce choix assez analytique nous permet d’entendre d’excellents solistes d’orchestre, en particulier, à la basse continue, la violoncelliste K ristin von der Goltz et le gambiste Jan Freiheit.

Un autre ensemble avec lequel Jacobs travaille depuis un certain temps est le RIAS-Kammerchor, un des plus célèbres choeurs de chambre d’Allemagne, et qui ce soir-là ne fit pas déshonneur à sa réputation. On admire bien sûr la netteté des attaques, la sûreté rythmique, mais aussi avant tout un magnifique grain d’ensemble, marque d’une tradition d’ensemble vocal encore bien vivace de côté-ci du Rhin. Les chorals, tous si beaux, sont autant de moments de grâce qui s’enchaînent les uns à la suite des autres, jusqu’au bouleversant final Wir setzen uns mit Tränen nieder. Ce dernier est pris cependant, à notre goût, sur un tempo un brin trop allant.

Le plateau de chanteurs est un peu moins satisfaisant, en particulier le soprano (formé par Jacobs), à côté de la plaque rythmiquement, et aussi que lquefois à côté de la note. Le ténor et la basse chantent bien sagement, pommettes hautes, bouche en cul-de-poule et l’air inspiré, mais ne laisseront pas un souvenir tellement plus impérissable L’interêt se ravive nettement avec les interventions de Bernarda Fink, sensible musicienne et dont la voix (que nous suivons avec assiduité depuis que nous l’avons entendue dans Cruelle mère des amours, un de nos airs de chevet), est toujours aussi belle. Avec ses lunettes épaisses, son dos légèrement voûté et son nez fourré dans la partition, Steve Davislim donne une image pour le moins brouillonne de l’Évangeliste, d’autant plus qu’il adopte une scansion très rapide, presque nerveuse. Mais le timbre et la ligne ne défaillent jamais, et finalement cette interprétation séduit, par le contrepied qu’elle prend du clair didactisme trop naturellement associé à ce co mmentateur de l’action. Enfin la partie assez courte de Jésus est tenue par un chanteur absolument remarquable, Johannes Mannov, timbre rare de basse-baryton rappelant par son acidité celui de Max van Egmond, et dont chacune des entrées installe un grand calme saisissant, peut-être aussi par contraste avec les soubresauts de l’Évangeliste. Ses quelques phrases sont assurément l’un des sommets de la partition, en particulier la dernière, Eli, Eli, lama asabthani ! (qui rappelle bizzarement le Contessa perdono à la fin des Noces de Figaro), et Bach s’est montré particulièrement inspiré en donnant la parole au Christ, un des plus beaux " rôles " qui soient, Qui a dit que le récitatif était la plaie de la musique classique ?



Thomas Simon

 

 

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