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N’est pas Horowitz qui veut Paris Théâtre Mogador 06/02/2004 - et 3 juin 2004 Arnold Schönberg : La Nuit transfigurée, opus 4
Albert Roussel : Bacchus et Ariane (Seconde suite), opus 43
Ludwig van Beethoven : Concerto pour piano n° 4, opus 58
Lang Lang (piano)
Orchestre de Paris, Christoph Eschenbach (direction)
Pour la venue du pianiste chinois Lang Lang, présenté comme un jeune prodige alors qu’il est déjà dans sa vingt-deuxième année, l’Orchestre de Paris avait composé un programme au déroulement inhabituel, reportant l’inévitable concerto en seconde partie et associant trois œuvres appartenant à des esthétiques très différentes.
S’inscrivant dans une saison dont l’un des fils rouges est le postromantisme, La Nuit transfigurée (1899) de Schönberg prend, sous la direction de Christoph Eschenbach, un tour résolument rhapsodique et dramatique, plus raffiné que subtil, aux contours soigneusement dessinés, où chaque note et chaque phrasé, très travaillés, paraissent chargés d’intentions. Dans cette lecture lente (plus de trente-quatre minutes) et cultivant les extrêmes – entre langueur et violence – les soixante cordes réagissent au doigt et à l’œil, suscitant de somptueux embrasements sonores.
De la nuit évoquée par le poème de Dehmel au sommeil d’Ariane, l’enchaînement avec le début de la Seconde suite de Bacchus et Ariane (1930) de Roussel se justifiait pleinement. Chère au cœur de Charles Münch, le fondateur de l’Orchestre de Paris, lequel l’a notamment enregistrée avec Serge Baudo, cette musique sied admirablement aux timbres et à la virtuosité de cette formation, particulièrement de ses bois et de ses cors. Elle convient également à merveille au mélange de rudesse et de passion qu’y met Eschenbach, sans jamais céder à la tentation de lâcher les rênes dans les paroxysmes dionysiaques.
Très attendu après une première prestation parisienne voici plus de trois ans (voir ici), Lang Lang avait choisi le Quatrième concerto pour piano (1806) de Beethoven. Si les poses (les trente bonnes secondes d’immobilisme ostensiblement inspiré avant de se lancer dans le premier accord de l’Allegro moderato initial, la façon de battre la mesure d’une main pendant que l’autre parcourt le clavier) et la succession de mines tour à tour émerveillées ou sur le point de défaillir peuvent irriter, là n’est évidemment pas l’essentiel. Les moyens techniques ne sont pas non plus en cause, et le pianiste se sert de son insolente facilité pour obtenir une lisibilité et une limpidité frappantes. Il parvient en outre à suggérer des atmosphères aussi fugaces que saisissantes, mais la principale réserve tient à la difficulté de trouver, dans son approche, une cohérence autre que celle dictée par un narcissisme envahissant.
Trop souvent prédomine en effet l’impression que davantage qu’une conception prédéterminée, ce sont les satisfactions de l’instant présent – certes brillamment servi par l’alternance du jeu perlé et du sautillement des notes détachées – qui motivent Lang Lang. Car il ne se contente pas de jouer la partition: non seulement il s’en joue, tant son aisance est grande, mais il joue avec la partition – soulignant ici ou là tel ou tel détail – et il joue, tout court, avec ce caractère scherzando qu’il imprime à la plupart de ses interventions. Plus logique dans les concertos de Mendelssohn, ce parti pris revient hélas, dans des partitions moins univoques, tel ce concerto de Beethoven, à en escamoter de nombreux aspects. L’Andante con moto, tout particulièrement, souffre ainsi d’une pauvreté de moyens expressifs, trop souvent restreints à des phrasés dont le sommet d’intensité est précédé d’un léger temps de retard. L’accompagnement puissant et spectaculaire d’Eschenbach, qui n’a pas ménagé son soutien au soliste depuis quelques années, offre un cadre adapté à sa prestation.
Remerciant un public visiblement ravi, Lang Lang donne d’abord le Troisième nocturne (1850) de Liszt, plus connu sous le nom de Rêve d’amour, d’une subjectivité permanente, mais dont le son se révèle trop souvent clinquant, métallique et dépourvu de basses. Impossible, bien entendu, de nier ensuite l’effet spectaculaire de Soirée de Vienne d’Alfred Grünfeld (d’après des valses de Johann Strauss notamment extraites de La Chauve-souris), mais au-delà d’une hésitation entre raideur métronomique et libre déploiement d’une excentricité qui semble tout droit sortie des cartoons, il y manque le chic et la grâce qui font tout le prix de ces paraphrases pyrotechniques. N’est pas Horowitz qui veut, même si, bien sûr, il ne faut pas désespérer de la maturation future de cet artiste.
Simon Corley
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