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Un Des Grieux privé de sa Manon…

Paris
Opéra Bastille
04/13/2004 -  et les 18, 20, 24, 27 et 30 avril 2004.
Jules Massenet : Manon
William Orlandi (décors et costumes), Joël Hourbeigt (lumières), Ana Yepes (chorégraphie) Gilbert Deflo (mise en scène)
Alexia Cousin (Manon), Roberto Alagna (Des Grieux), Franck Ferrari (Lescaut), Michel Sénéchal (Guillot de Morfontaine), Alain Vernhes (Comte Des Grieux), Christian Tréguier (De Brétigny), Christophe Fel (l’hôtelier), Valérie Condoluci (Poussette), Louise Callinan (Javotte), Isabelle Cals (Rosette), David Bizic & Jean-Loup Pagesy (deux gardes).
Choeur et orchestre de l’Opéra National de Paris
Gary Bertini (direction)

Après un duo enflammé qui réunissait Renée Fleming et Marcelo Alvarez en 2001, ce sont cette fois à deux chanteurs français, l’un confirmé dans le répertoire français et l’autre en passe de le devenir, du moins le croyait-on, que l’opéra Manon de Jules Massenet, oeuvre exigeante, est confié. Si la mise en scène est toujours aussi remarquable, le duo amoureux est assez inégal et assez peu d’émotion se dégage de cette représentation.



La mise en scène de Gilbert Deflo est d’une grande somptuosité. Il utilise les possibilités scéniques offertes par le plateau de la Bastille et notamment la scène tournante puisque les décors sont assez mobiles et les pans des murs s’écartent pour, par exemple, laisser entrer la diligence au premier acte. L’opéra s’ouvre sur les trois coquettes qui sont à table en compagnie de Guillot de Morfontaine et de De Brétigny: une fois leur scène terminée, les personnages disparaissent dans les coulisses, emportés par le mouvement du plateau. De même, et c’est particulièrement subtil et éclairant pour l’oeuvre, quand toutes les élégantes passent au Cours-la-Reine, elles sont immobiles et traversent la scène sur cette portion de la scène et sont davantage mises en vitrine, tandis que le choeur les admire, enfermé à l’intérieur. Les décors sont assez épurés et Saint-Sulpice est simplement représenté par deux colonnades de style et quelques bancs d’église sur lesquels Manon tente de prier puis de charmer Des Grieux. Mais le dernier acte est vide tout accessoire, rendant le final encore plus bouleversant. Les costumes de William Orlandi sont absolument magnifiques et surtout ceux de Manon à commencer par sa robe rouge éclatante au troisième acte et sa robe bleue à l’hôtel de Transylvanie.
Le ballet d’opéra est également très réussi et la chorégraphie de Ana Yepes est, comme toujours, admirable et elle essaie de reproduire les danses de l’époque: les danseurs vêtus de costumes or et rouge sont d’une grande élégance.


La prise de rôle d’Alexia Cousin en Manon était plus qu’attendue mais malheureusement les espoirs placés en elle n’ont guère été confirmés. L’interprétation est complètement décousue et on ne sait, à la fin de la représentation, si Manon est seulement une jeune fille volage qui ne désire que combler ses caprices ou si c’est une grande amoureuse qui meurt dans les bras du seul homme qui l’aime vraiment. Pourtant son entrée en scène est très intéressante car elle arrive toute frêle, maladroite et un peu gauche et elle semble avoir beaucoup de mal à porter sa valise. Mais ensuite la chanteuse a tendance à en faire beaucoup trop et à surjouer la coquette au troisième acte. Ce n’est qu’au moment de mourir qu’elle tente d’approcher le personnage et d’en proposer une vision assez sombre et touchante notamment dans la phrase “Oui, de honte sur moi”. Vocalement, sa prestation est très décevante car Alexia Cousin chante beaucoup trop fort, voire faux, et elle peine à nuancer sa voix. Si le medium est chaleureux, fourni et beau, ses aigus sont détimbrés et ils sont entachés d’un vibrato très désagréable. Elle semble également esquiver les difficultés de la partition car elle ne tient pas les notes sur “étourdie” dans son premier air et le passage si brillant du grand air au Cours-la-Reine est dépourvu des contre-notes qui, en général, déclenchent l’enthousiasme du public: l’à-coup sur “je marche” est vraiment d’assez mauvais goût. Quant à comprendre ce qu’elle dit… Ceci dit, elle réserve quelques jolis moments et elle est excellente de finesse et de légèreté dans la voix dans le passage “à nous les amours et les roses”. Espérons que les représentations suivantes lui permettront d’affiner son jeu et canaliser son instrument pour proposer un portrait intéressant et quelque peu stable de Manon…
Roberto Alagna a, quant à lui, remporté un immense succès même s’il commence assez timidement la représentation. Mais rien que pour l’émotion qui transparaît à travers son chant au dernier acte, il méritait amplement son ovation finale. Des Grieux ne semble plus un rôle vraiment adapté à ses immenses moyens vocaux et il perd un peu de sa crédibilité car il éprouve des difficultés à se forger l’allure d’un jeune homme naïf. Mais Roberto Alagna ne serait pas Roberto Alagna sans sa parfaite diction, son phrasé élégant et son engagement vocal. S’il distille chaque mot dans l’air “en fermant les yeux”, il se montre bien plus expressif dans l’air de Saint-Sulpice, même si sa voix est parfois un petit peu monotone: on croirait entendre Cavaradossi en train de peindre dans son église… Le ténor ne se montre pas avare de notes tenues notamment dans le final et dans l’air de Saint-Sulpice et il maîtrise parfaitement sa voix pour réduire progressivement le volume du son et laisser mourir la note dans un decrescendo. On peut regretter toutefois qu’il n’y ait guère de cohésion entre les deux rôles principaux: ils ne semblent guère se parler et chacun chante sa partie sans vraiment se préoccuper de l’autre, Roberto Alagna ne regardant même pas sa partenaire et ne cessant de chanter face au public. Du bien beau chant mais pas un Des Grieux authentique!
Après avoir beaucoup chanté le rôle de De Brétigny, Franck Ferrari monte en grade et aborde celui de Lescaut. Il apporte la chaleur de son timbre, la douceur de sa diction et son talent scénique à ce personnage assez ingrat, sorte d’autorité parentale qui ne retient guère Manon dans sa chute. Le chanteur parvient à imposer silence à la jeune fille avec un “ne bronchez pas” particulièrement sonnant et souverain mais sait aussi se laisser aller au plaisir avec son air “O Rosalinde” très émouvant et conduit avec subtilité et élégance. Il pique aussi très bien sa crise contre Des Grieux au deuxième acte avec des “retenez-moi” très véhéments.
Michel Sénéchal reprend son inusable Guillot de Morfontaine avec toujours autant de succès et même si la voix n’est pas constamment au rendez-vous, il parvient à rendre son personnage irrésistible grâce à un jeu scénique si naturel. Vieux beau très pomponné, mouches à l’appui, il tente de séduire Manon avec des manières de vieux renard habitué au monde galant, par exemple, quand il lui explique comment utiliser la voiture qu’il mettra à sa disposition, mais il sait aussi se montrer intraitable au quatrième acte et imposer sa supériorité. Ces dernières années, le chanteur a modifié sa façon de placer sa voix et il privilégie la puissance et la brillance mais, malheureusement, on perd une grande partie du texte: ses appels à l’hôtelier, au début de l’opéra, sont d’une grande clarté vocale. Enfin il montre toute l’étendue du talent qu’il a eu et qu’il a encore dans l’humour et la rouerie qu’il met dans la petite phrase qu’il adresse à De Brétigny au troisième acte “dig et dig et don!”.
A peine sorti des représentations de L’Heure espagnole, Alain Vernhes réendosse le costume du Comte des Grieux et s’y montre toujours excellent. Il ne campe pas un père inexorable et sévère mais un certain respect se dégage de son incarnation comme dans l’air à Saint-Sulpice “épouse quelque brave fille”. Le chanteur sait aussi trouver des accents tendres et humains pour parler à Manon quand elle l’interroge sur son fils, notamment dans “on oublie”. Alain Vernhes se montre aussi un excellent diseur dans le début de sa scène avec De Brétigny. Du grand art!
Christian Tréguier est très bon dans le rôle de De Brétigny et il dévoile un timbre agréable, nuancé et coloré. Scéniquement il se montre un peu plus effacé surtout dans la confrontation avec le père de Des Grieux mais il tient sa partie sans s’économiser dans la scène introductive dans l’auberge d’Amiens.
Les rôles plus secondaires sont tenus à la perfection et Christophe Fel compose un excellent hôtelier, débordé à souhait par les demandes pressantes de ses clients. Il montre un grain de voix intéressant et un certain humour quand il annonce à ses invités le repas qu’il leur a préparé. Les trois coquettes sont toujours charmantes dans leurs robes orange, jaune et bleu et Valérie Condoluci ensoleille ses notes sur “Oh douce providence”.


La direction de Gary Bertini est honnête mais ne sert guère Massenet. Autant cette oeuvre prenait des reliefs magnifiques et émouvants quand elle était interprétée par Jesus Lopez-Cobos en 2001, autant ici les longueurs se font davantage sentir. Le chef adopte un tempo assez rapide et l’orchestre a du mal à suivre ce qui rend l’ensemble assez étrange et surtout brouillon. On ne peut toutefois reprocher à Gary Bertini un enthousiasme certain pour cette oeuvre! Est-il encore nécessaire de dire que les choeurs sont en décalage avec l’orchestre et qu’ils manquent leurs attaques?…



Cette reprise ne peut faire oublier les magnifiques représentations de 2001 et si Roberto Alagna reste un Des Grieux expressif et touchant, Alexia Cousin semble s’être fourvoyée trop tôt dans le rôle de Manon. Heureusement que le reste de la distribution est homogène et solide et que la mise en scène est toujours aussi belle car l’ennui s’installerait vite. Triste Manon




A noter:
- L’Opéra de Paris a édité un DVD réalisé au cours des représentations de 2001 avec Renée Fleming, Marcelo Alvarez, Jean-Luc Chaignaud sous la baguette de Jésus Lopez-Cobos.
- La représentation du 18 avril sera assurée par Rolando Villazon dans le rôle de Des Grieux.
- Alain Vernhes retrouvera, en juin 2004, le rôle du comte Des Grieux au Grand Théâtre de Genève en compagnie, cette fois, de Natalie Dessay et de Inva Mula.
- Roberto Alagna a enregistré le rôle de Des Grieux sous la direction d’Antonio Pappano avec Angela Georghiu chez Emi.


Manon Ardouin

 

 

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