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Un duo de rêve!

Paris
Opéra Bastille
03/31/2004 -  et les 2, 7, 9*, 12, 15, 22 et 25 avril 2004
Giuseppe Verdi : La Traviata

Inva Mula (Violetta), Rolando Villazon (Alfredo), Roberto Frontali (Germont), Marie-Thérèse Keller (Flora), Martine Mahé (Annina), Jean-Luc Maurette (Gastone), Michael Druiett (Douphol), Sergei Stilmachenko (d’Obigny), Yuri Kissin (Grenvil), Pascal Meslé (Giuseppe), François Bidault (Domestique de Flora), Slawomir Szychowiak (commissionaire)
Ian MacNeil (décors), Clare Mitchell (costumes), Rick Fischer (lumières), Françoise Grès (mouvements chorégraphiques) Jonathan Miller (mise en scène)
Choeur et Orchestre de l’Opéra National de Paris
Jesus Lopez-Cobos (direction)

Pour cette nouvelle reprise de La Traviata, l’Opéra de Paris a fait appel aux grands spécialistes actuellement de ces rôles, à savoir au duo Inva Mula-Rolando Villazon qui avait déjà transporté le public des Chorégies d’Orange l’été dernier. C’est dans un cadre plus restreint et dans de meilleures conditions acoustiques que l’on peut entendre les immenses qualités vocales et musicales de ces deux chanteurs surtout qu’ils sont ici soutenus par une direction sans faille de Jesus Lopez-Cobos et qu’ils évoluent dans un décor, certes un peu idyllique voire paradisiaque, mais qui a au moins le grand avantage de ne pas gâcher la musique de Verdi.



La mise en scène est de facture classique, sobre mais rapidement ennuyeuse. Le premier acte s’ouvre sur le salon de Violetta, essentiellement composé de chaises et de fauteuils en fer forgé doré. Un immense escalier, également en fer forgé mais gris-vert, est peu à peu dévoilé et les invités de la jeune femme font leur entrée en passant par là. Mais le petit problème, c’est que dans la deuxième partie de l’acte II, on retrouve également le même décor, avec une table de jeux en plus, alors que l’action est censée se dérouler chez Flora. La scène à la campagne chez Violetta rassemble tous les topoi dignes d’un locus amoenus et, même s’il y a relativement peu d’accessoires sur le plateau, le metteur en scène a tenu à présenter les moindres détails comme un arrosoir, quelques fleurs et plantes, etc… Les personnages sont dans le jardin et on voit au loin une charmante maison à colombages et une toile peinte évoque la perspective du jardin avec, là aussi, des détails très suggestifs comme un paon, une terrasse… C’est très joli mais cela n’éclaire pas forcément l’oeuvre. Le troisième acte est situé dans une salle d’hôpital où Violetta agonise parmi d’autres malades et pendant le prélude, une femme morte est emmenée, préfiguration de ce qui va arriver à l’héroïne. Encore une fois, le fameux escalier est présent au fond de la scène, peut-être un souvenir de la vie passée et fastueuse de la Traviata… Malgré ces quelques réserves, quel soulagement de ne pas voir cette pauvre Violetta mourir sur une autoroute comme c’était le cas dans la récente production de Peter Mussbach vue à Rouen!
Les costumes de Clare Mitchell sont très beaux et fastueux. Violetta arbore une magnifique robe rouge à l’acte I pour ensuite revêtir une robe blanche, plus campagnarde, au second acte. Les autres personnages sont habillés avec des tenues de l’époque, smoking toutefois pour Alfredo au premier et deuxième acte (deuxième tableau). La direction scénique de Jonathan Miller - qui avait si bien réussi la production de La Bohème revue cet automne - est assez simple et bien vite l’ennui s’installe car les personnages ne sont pas vraiment caractérisés et ils sont assez mobiles et statiques, quand ils se ne retrouvent pas complètement perdus sur l’immense scène de la Bastille. Heureusement que la personnalité propre de chaque chanteur de ce soir dépasse cet inconvénient et que les merveilleux comédiens qu’ils sont transcendent l’oeuvre pour tenter de nous faire croire au désespoir de Violetta.


Inva Mula confirme représentation après représentation qu’elle est une Violetta proche de l’idéal, faite de douleur et d’amour. La voix est ample, homogène sur toute la tessiture et elle accroche les aigus comme de véritables perles, à défaut de les tenir. La chanteuse parvient à nuancer sa voix pour incarner une jeune femme légère au premier acte mais qui est aussi déterminée à “gioir” de la vie comme en témoignent la magnifique précision de ses notes sur ce mot ainsi que sa fermeté et son engagement. Mais c’est surtout au dernier acte qu’Inva Mula se montre la plus convaincante et la scène de la lettre est une merveille vocale et expressive: elle lit d’une voix grave la lettre de G. Germont puis crie son “è tardi” avant d’enchaîner sur le fameux “Addio del passato” si difficile. Elle prouve que Violetta a déjà compris qu’elle ne survivrait pas à cette journée et que le temps lui manque dans la dernière phrase “tutto fini” qu’elle chante d’une voix très blanche, comme une morte, avec un magnifique si final tenu sur un piano. On croit déceler des larmes dans sa voix et l’approche de la mort quand elle dit “non posso” au moment où elle n’arrive à pas à s’habiller pour sortir. L’interprétation de l’artiste est faite de petites touches, de petits détails, qui, peu à peu, dessinent un personnage touchant et vulnérable. Inva Mula connaît bien ce rôle pour l’avoir chanté sur la plupart des grandes scènes internationales et il aura fallu attendre bien longtemps avant de pouvoir enfin l’entendre à Paris. C’est aujourd’hui chose faite et le public lui réserve un accueil triomphal, amplement mérité…
Après avoir fait de brillants débuts dans le rôle difficile d’Hoffmann au Covent Garden en janvier dernier, Rolando Villazon revient à Paris avec un de ses rôles fétiches qu’il a chanté sur de nombreuses scènes internationales dont au Met en début de saison. Comme cela avait été flagrant à Orange cet été, il est agréable de rencontrer un Alfredo qui ne soit ni mièvre, ni empoté et d’entendre un chanteur qui arrive à accorder une véritable personnalité à ce personnage qui est souvent tourné ridicule. Rolando Villazon fait d’Alfredo un jeune homme tourmenté à l’excès mais sincèrement épris de Violetta ce qui justifie entièrement sa colère au deuxième acte. Le duo de la fin de l’opéra est une véritable merveille et, en compagnie d’Inva Mula il parvient à rendre bouleversant le fameux “parigi, o caro” en tenant ses notes sur des pianissimo d’une grande beauté musicale. Que dire de cette voix d’exception si ce n’est qu’elle s’enrichit, se veloute au fil du temps? On a beaucoup cru reconnaître dans la voix de Rolando Villazon celle de son modèle Placido Domingo, certes c’est indéniable mais le jeune chanteur commence peu à peu à se forger une véritable identité vocale et cela est déjà très perceptible dans son disque. L’air du deuxième acte “de miei bollenti spiriti” est conduit avec beaucoup d’engagement et de puissance mais également de douceur dans “dell’amor” et c’est vrai que l’on commence à sentir le chanteur un peu à l’étroit dans ce type de répertoire sauf dans le “Violetta” final, véritable cri de douleur qui fait penser à son Hoffmann désespéré de l’acte d’Antonia. Très à l’aise scéniquement, le jeune ténor est quelqu’un qui se donne à fond, qui ne s’épargne pas pour servir et la musique et le personnage et c’est très rare de voir et d’entendre tant d’enthousiasme.
Roberto Frontali retrouve le rôle de Giorgio Germont pour la troisième fois dans cette production mais il se montre assez décevant. La voix est belle, brillante et son chant est précis mais il manque parfois d’émotion et on a entendu des pères plus affirmés notamment dans la longue confrontation avec Violetta au 2ème acte. Il reste assez froid pendant toute la représentation et ne semble céder à une certaine expressivité que dans la fin de l’oeuvre quand il se retrouve au chevet de la jeune femme. Ceci dit, il apporte de jolies couleurs à certaines de ses notes comme dans “no, non udrai rimproveri” où il laisse éclater sa douleur paternelle.
Les rôles secondaires sont bien tenus à commencer par Marie-Thérèse Keller qui campe une superbe Flora autant scéniquement que vocalement. Elle semble parfaitement à l’aise dans son salon et elle apporte une grande force aux menaces qu’elle profère au marquis. Martine Mahé est toujours excellente dans les rôles de suivante et la mise en scène présente Annina davantage comme une gouvernante. Le Dottor Grenvil est interprété par un Yuri Kissin très convaincant qui assombrit sa voix pour étoffer son rôle. Pascal Meslé, en Guiseppe, dévoile également un timbre assez agréable et qui demande à mûrir pour devenir un chanteur prometteur.
Le choeur, une fois de plus, n’est pas à la hauteur des exigences du chef et on ne relève plus les décalages entre l’orchestre et les choristes ainsi que les attaques manquées ou en retard. Il n’y a pas beaucoup de magie dans le chant des bohémiennes mais peut-être un peu plus dans celui des toréadors et principalement dans la reprise piano.


La direction de Jesus Lopez-Cobos, une fois de plus, n’appelle que des éloges tant elle est subtile, intelligente et soignée et surtout au service de Verdi. Le début est particulièrement travaillé et surtout les cinq-six premières mesures car il adopte un tempo lent en retenant les notes. Il fait ensuite rentrer progressivement les instruments sans aucune brusquerie et le drame s’installe alors tout naturellement. Le chef montre aussi très nettement les deux faces du personnage de Violetta dans la suite de l’ouverture car il amplifie avec élégance le legato de la mélodie tout en accentuant le rythme répétitif à la basse. De manière générale, il dirige assez vite et parfois on aimerait que la musique ait un peu plus de temps pour se développer notamment dans la deuxième partie de l’air de Violetta au premier acte “Ah, fors’è”. Jesus Lopez-Cobos donne une interprétation très méticuleuse de cette oeuvre, parfois très sombre comme dans le passage instrumental où le père lit la lettre de Violetta au deuxième acte, et chaque note semble avoir été étudiée avec soin pour lui donner une couleur et un sens.



Une bien belle distribution pour cette Traviata et surtout un chef et des chanteurs qui tentent d’apporter leur touche personnelle et originale à une des oeuvres les plus jouées. On pouvait penser qu’après certaines grandes Violetta comme Maria Callas ou Teresa Stratas, le rôle n’avait plus de secrets mais Inva Mula (ou Mireille Delunsch dans d’autres murs) est là pour prouver que Violetta est une femme fragile et complexe. Il en est de même pour Alfredo qui a été interprété par les plus fameux ténors mais là aussi Rolando Villazon donne un autre relief au personnage, ô combien passionnant. Certes il reste la déception que l’on ressent face à une mise en scène un peu désuète mais pourquoi pas? puisque, dans peu de temps, une production de ce type redeviendra originale par rapport aux grandes réflexions dramaturgiques de nos metteurs en scène contemporains…




A noter:
- Inva Mula et Rolando Villazon se retrouveront pour deux concerts d’airs d’opéras, le 9 juillet 2004 à Antibes dans le cadre du festival “Musiques au coeur” et le 12 juillet au festival de Lacoste.
- Rolando Villazon vient de sortir son premier récital chez Virgin Classics (un second volume est en préparation) où il interprète les grands airs italiens pour ténor tirés de Rigoletto, La Traviata ou Tosca… mais aussi d’oeuvres moins connues comme Nerone de Mascagni. Superbe!


Manon Ardouin

 

 

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