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Théâtre

Paris
Théâtre Mogador
03/31/2004 -  et 1er avril 2004
Arnold Schönberg : Cinq pièces pour orchestre, opus 16
Kaija Saariaho : Graal théâtre
Béla Bartok : Concerto pour orchestre, sz. 116

John Storgards (violon)
Orchestre de Paris, Jukka-Pekka Saraste (direction)


Si on l’a entendu plus fréquemment avec l’Orchestre philharmonique de Radio France, où il faillit succéder à Marek Janowski, Jukka-Pekka Saraste retrouvait l’Orchestre de Paris dans un beau programme où une œuvre de sa compatriote Kaija Saariaho encadrait deux classiques de la musique du XXe siècle.


Dans les Cinq pièces opus 16 (1909) de Schönberg, le chef finlandais se place davantage dans le prolongement des Gurre-Lieder qu’en termes de musique pure: l’angoisse de Pressentiments ou la fébrilité de Péripétie annoncent déjà la Musique pour une scène de film, tandis que le lyrisme de Passé et la puissance expressive du Récitatif obligé sont particulièrement mis en valeur. Couleurs, la fameuse pièce centrale, bénéficie d’une telle finesse de timbres qu’on se croirait parfois dans le Lever du jour de Daphnis et Chloé.


Avant le concert, Kaija Saariaho, une Finlandaise… parisienne depuis plus de vingt ans, était venue présenter son Graal théâtre (1994), sous la forme d’une conversation à bâtons rompus avec Marc-André Dalbavie, compositeur en résidence à l’Orchestre de Paris. Dommage qu’un tel effort pédagogique n’ait réuni qu’une petite vingtaine de spectateurs, certes enthousiastes, car le compositeur a captivé son auditoire en se souvenant de sa formation auprès de Paavo Heininen, qui fut également le maître de deux autres grandes figures finnoises de la même génération, Magnus Lindberg et Jouni Kaipainen. Alors que l’on vient d’évoquer Couleurs de Schönberg, dont les talents de peintre étaient loin d’être anecdotiques, comme le démontra l’exposition qui lui fut consacrée à Paris il y a quelques années, il faut songer que Saariaho, poursuivant longtemps des études aux Beaux-Arts, a elle-même hésité assez longuement avant d’opter définitivement pour la musique.


Cela étant, elle dit avoir éprouvé le besoin de quitter son pays natal, qu’elle décrit comme celui des «rois de la musique», mais dont elle craint que «l’âge d’or» – celui d’un Etat qui a largement promu une pédagogie fondée sur l’expression plus que sur la théorie – ne s’achève. Si les liens avec les amis (Lindberg, Salonen, ...) étaient forts, notamment au travers du groupe «Ouvrez les oreilles», elle supporte alors difficilement une société dans laquelle elle ressent partout uniformité et consensus. Par habitude culturelle, elle se dirige donc d’abord vers l’Allemagne, à Fribourg, où elle travaille avec Brian Ferneyhough et Klaus Huber. Mais c’est la découverte de Paris qui sera décisive: si elle fait référence à l’école spectrale et, plus généralement, à une vie musicale autrement plus riche qu’à Fribourg, elle insiste sur l’importance du stage qu’elle a suivi à l’IRCAM, au cours duquel elle approfondit son analyse du son et s’exerce à conférer plus de rigueur à des idées qu’elle juge trop intuitives ou confuses.


Graal théâtre est né d’une suggestion de Simon Rattle à Gidon Kremer, dont la personnalité et le jeu finissent par convaincre Saariaho qu’elle peut se lancer dans le genre concertant, pourtant a priori si éloigné de son style volontiers intériorisé. C’est finalement la BBC qui lui passe commande, mais elle se souvient en même temps que le violoniste russe aurait voulu faire une carrière d’acteur. Comme elle souhaite éviter que la virtuosité ne devienne une fin en soi, elle trouve dans la lecture de Graal théâtre du poète Jacques Roubaud non seulement le moyen de concilier ses préoccupations et celles de son destinataire mais aussi, par son seul titre, la trame de la partition qu’elle est en train d’écrire.


«Chacun cherche son propre graal», tel est en effet le propos du premier mouvement, le plus développé (dix-huit minutes): le violon incarne ici celui qui se livre à cette quête, avec un orchestre qui soit prolonge sa partie, soit «peint le paysage» traversé par le soliste. Le maître mot est ici continuité, le compositeur marquant en même temps son goût pour la «fragilité» du violon, dont elle n’a pas souhaité amplifier la sonorité, contrairement à ce qu’elle a souvent fait dans le reste de son œuvre. Le «théâtre» est le domaine du second mouvement (onze minutes). Non que le premier, malgré son caractère fluide et son orchestration raffinée, ait été dépourvu d’aspérités, mais les ruptures, la confrontation avec un orchestre tempétueux et les exigences physiques, notamment dans deux brèves cadences, dominent désormais, avant que le climat du début ne finisse par l’emporter, la quête revenant, d’un point de vue musical, à son point de départ apaisé.


La recherche sur le son demeure importante tout au long des deux mouvements. Interrogée sur sa relation à la peinture, elle estime qu’à la différence, par exemple, des couleurs d’un Messiaen, elle précise qu’elle s’efforce de suggérer différents grains et intensités de lumière. Dans cet esprit, John Storgards joue, au cours de la conférence, un émouvant Nocturne pour violon seul qu’elle a composé exactement au même moment, lors de la disparition de Witold Lutoslawski (même si elle se dit avoir été plus impressionnée par sa personnalité que par sa musique), qui inspira par ailleurs à Lindberg un vaste in memoriam, Aura pour orchestre. Durant ces six minutes, la fragilité (des harmoniques) et le dessin mélodique (à l’image d’une «ligne de vie») annoncent bien ce que sera le premier mouvement de Graal théâtre.


Si ce concerto semble effectivement tout destiné au violon de Kremer, Storgards n’en offre pas moins une vision à la fois sensible et engagée, rendant aussi bien justice à la poésie du Delicato qu’à l’extraversion de l’Impetuoso. Ainsi que le lui recommanda Ferneyhough lorsqu’elle le rencontra à Fribourg, nul doute que Saariaho soit parvenue, dans cette partition d’allure à la fois expressionniste et rhapsodique, à «réconcilier son cœur et son esprit».


En seconde partie, le Concerto pour orchestre (1943) de Bartok donne le sentiment d’un échange a minima entre le chef et son orchestre: manque d’affinités ou simplement de temps de répétition? En tout cas, Saraste joue la sécurité par une direction d’une poigne vigoureuse, indéniablement efficace dans sa façon d’attirer l’oreille et de souligner les effets instrumentaux, certains contre-chants ainsi que les contrastes (premier thème de l’Allegro vivace, Giucco delle coppie, Intermezzo interrotto), mais moins convaincante ailleurs, faute de cohérence et de tension (Andante non troppo introductif, second thème de l’Allegro vivace). Plus dramatique et violente que poétique, l’Elegia, dans un tempo assez vif, réserve cependant de beaux moments de subtilité orchestrale, tandis que le Presto final aura rarement été aussi effréné et précipité, sorte de course à l’abîme spectaculaire et désordonnée. Point de graal, sans doute, mais toujours le théâtre, décidément. Cette conception brillante se défend toutefois sans trop de peine: non seulement elle assume parfaitement le caractère extérieur que l’on reproche précisément à cette œuvre emblématique de la période américaine du compositeur, mais elle est servie par un orchestre rutilant et d’une aisance confondante, au sein duquel on remarque notamment la magnifique prestation des cuivres.



Simon Corley

 

 

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