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Un enlèvement haut en couleurs!

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Théâtre des Arts de Rouen
03/09/2004 -  et les 11, 14*, 16, 19, 21 et 23 mars 2004.
Wolfgang Amadeus Mozart : Die Entführung aus dem Serail

Madeline Bender (Constance), Magali Léger (Blonde), Matthias Klink (Belmonte), Loïc Felix (Pedrillo), Wojtek Smilek (Osmin), Shahrokh Moshkin Ghalam (Selim)
Miquel Barcelo (décors), Macha Makeïeff (costumes), Dominique Bruguière (lumières)
Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff (mise en scène)
Orchestre et choeur de l’Opéra de Rouen
Marc Minkowski (direction)

Présentée l’été dernier au Festspielhaus de Baden-Baden et au festival d’Aix-en-Provence, cette nouvelle production de Die Entführung aus dem Serail marquait le retour de Macha Makeïeff et de Jérôme Deschamps à la mise en scène lyrique et celui de Marc Minkowski dans une oeuvre de Mozart. Chanteurs, acteurs, metteurs en scène et chef travaillent en harmonie complète pour proposer un opéra drôle, joyeux et d’une grande qualité artistique.



La mise en scène est de facture très classique et place l’action, comme il se doit, dans une ambiance orientale comme le suggèrent les détails vestimentaires, les acteurs-musiciens présents sur scène qui jouent de la musique de ces pays-là. Le décor est unique et est essentiellement composé d’une tour qui sert de “prison” et de maison pour les deux femmes. De la fumée s’échappe parfois de cette sorte de donjon, par exemple lorsque Pedrillo chante sa magnifique sérénade à l’acte III. Une toile, remplacée par d’autres au cours de l’opéra, est tendue au fond de la scène et des représentations des personnages, légèrement caricaturés, y sont peintes. La mise en scène est très inventive et permet au spectateur de sourire à de nombreuses reprises. Pendant le deuxième air de Blonde “Welche Wonne”, des esclaves turcs en prière jouent avec leurs babouches comme des marionnettes et elles “dansent” en rapport avec la musique: certes c’est très facile à faire mais il fallait y penser et surtout le réaliser avec tant de finesse et de simplicité pour que cela rende la scène si charmante. Les metteurs en scène ont convoqué les acteurs qui font parti de la troupe pour grossir le corps des choristes et pour aussi mêler d’autres personnages, anonymes ceux-là, à l’action. On trouve les serviteurs du Pacha mais qui deviennent parfois des espions et qui se transforment avec vérité en “dindon” ou autre pour fuir plus facilement. La scène est constamment occupée par des personnages secondaires mais qui “meublent” un décor assez simple, voire schématique, sans que cela n’ait rien de péjoratif. Les costumes sont également modestes et si Constance et Belmonte sont habillés plus noblement, ceux de Pedrillo et de Blonde n’en sont pas moins simples. La seule fantaisie réside dans la robe de Constance dont elle peut retirer le manteau et qui lui donne pour l’acte II, une allure plus orientale.


La distribution, si elle n’a rien d’exceptionnel, est très honnête mais il convient toutefois de saluer particulièrement les performances de Magali Léger et de Wojtek Smilek.
La jeune soprano française prouve, une fois de plus, qu’elle possède tous les atouts pour mener une grande carrière internationale et elle sait mettre en valeur sa voix et son personnage sans pour autant recourir à des effets faciles ou démesurés comme d’autres sopranos coloratures. Elle compose une charmante Blonde, capable de douceur dans le quatuor du troisième acte, mais également résolue à rester fidèle à Pedrillo et à exaspérer au maximum Osmin. Elle déploie un timbre agréable et un instrument agile qui font merveille dans “Durch Zärtlichkeit”. Les scènes avec Osmin sont excellentes et autant scéniquement que vocalement, les deux chanteurs les interprètent magnifiquement. Pendant le premier air de Blonde, Osmin se fait hypnotiser par la jeune fille et elle en fait ce qu’elle veut. Dans le duo suivant, elle tente de le dompter comme un lion et d’ailleurs il se réfugie dans sa cage à reculons tel un fauve.
Wojtek Smilek est un Osmin assez hors du commun car on a plutôt l’habitude de voir un gardien ventru, un peu pataud. Ici il n’en est rien et le chanteur donne une certaine noblesse au personnage. La voix se prête admirablement à son jeu et elle se montre très malléable. Wojtek Smilek apporte, par petites touches, un véritable humour à Osmin notamment dans son premier air un peu langoureux “Wer ein Liebchen…”, dans lequel il traîne sur les “trallalera”… ou bien alors il les chante très vite en parallèle avec un jeu de scène qui le montre en train de se brûler dans un bain de pieds. Tout cela est réglé parfaitement et paraît naturel. Le chanteur parvient également à ne pas ridiculiser ce personnage même lorsque Blonde essaie de se moquer de lui et il ne se départ à aucun moment de son élégance première.
Madeline Bender, qui fut une si sensible Eurydice dans Orphée et Eurydice de Glück pour la réouverture du Châtelet, déçoit beaucoup. Le rôle ne semble guère lui convenir vocalement car elle est constamment à la limite de ses moyens et les aigus sont criés, voire faux. La justesse ne semble pas aussi être au rendez-vous notamment dans le début de “Traurigkeit”. Le medium, en revanche, est superbe et d’une grande élégance ce qui est particulièrement remarquable dans la phrase “”Lass dich bewegen, verchone mich!” du “Martern aller Arten”. La chanteuse campe une Constance très amoureuse de Belmonte mais non insensible aux charmes du Pacha: elle prouve toutefois sa détermination à rester fidèle à son fiancé avec des accents rugissants dans la dernière partie de “Martern”, “Zuletzt befreit mich…”. Une fois ces quelques réserves émises, il reste une musicienne assez exceptionnelle et qui ne demande qu’à s’épanouir mais dans des partitions plus conformes à ses grandes qualités.
Matthias Klink est un Belmonte très convaincant mais assez inégal. Il commence un peu timidement la représentation pour ensuite s’épanouir dès son deuxième air. Dans “Hier soll ich dich denn sehen”, il parvient à garder avec beaucoup d’élégance et de maîtrise vocale les notes longues sur “bringe mich”. Il a le physique du rôle et d’ailleurs les chanteurs assument parfaitement leurs différences sociales ne serait-ce qu’à travers leurs tailles: les deux héros nobles sont grands et semblent protéger leurs serviteurs qui, eux, sont plus petits. Matthias Klink trouve des tons doux pour le “O wie ängstlich” de l’air “Konstanze…” qu’il chante assez lentement pour mettre davantage en relief la suite de la phrase.
Passé le timbre un peu fluet et métallique de Loïc Felix en Pedrillo, on trouve un musicien sensible à son personnage et qui, là aussi, tente de se démarquer de l’image d’un benêt qui colle souvent à ce rôle. Il chante sa sérénade avec beaucoup d’engagement et une voix sur le fil, en faisant ressortir les mots du texte et en leur donnant un sens. Cette petite parenthèse dans l’action est absolument délicieuse et, ici, Marc Minkowski détache tous les pizzicatos des violons avec tact et rend cette page irrésistible, presque comme certains airs de Haendel.
Le danseur et acteur iranien Shahrokh Moshkin Ghalam est un pacha plus que crédible et qui sait montrer une certaine grandeur et une douceur. Il mêle au texte allemand des poèmes persans mais avec beaucoup de goût sans tomber dans l’excès de trop orientaliser l’oeuvre de Mozart, comme cela avait pu être le cas à Salzbourg il y a quelques années. Il ne fait pas de ce personnage un despote assoiffé de sang mais plutôt un homme qui a un lourd passé et l’une des dernières phrases qu’il prononce, dans laquelle il explique qu’il ne veut pas être aussi sanguinaire que le père de Belmonte, se trouve justifiée par l’ensemble de son jeu et de son interprétation.

Depuis quelques années, Marc Minkowski explore le répertoire mozartien avec un certain succès que ne viendra pas démentir cette représentation. Après avoir débuté avec cet opéra au festival de Salzbourg en 1997; le chef français reprend la partition et développe les idées qui étaient en germe à l’époque. Il insuffle une énergie à l’oeuvre et ce dès le début de l’ouverture qu’il dirige dans un tempo très rapide. Il ne laisse aucune baisse de tension s’installer et se montre très inspiré pour transmettre une vie à cette oeuvre notamment à travers le pupitre excellent des flûtes et des vents en général: il place quelques retenues avant les notes des vents dans l’introduction instrumentale du “Marten” qui sont de toute beauté. Marc Minkowski semble prendre également beaucoup de plaisir à accompagner Osmin dans sa colère finale “Ha, wie will ich triumphieren” et tous deux se lancent dans un air déchaîné. On reconnaît également la patte du chef dans les reprises en mezza-voce des airs, notamment ceux de Belmonte. L’orchestre de l’Opéra de Rouen sonne magnifiquement et trouve des couleurs subtiles. Marc Minkowski retrouvera Mozart, en dépit d’une mise en scène hideuse, dans la nouvelle production de Die Zauberflöte à la Bastille la saison prochaine.



Ce singspiel de Mozart apporte en soi beaucoup de fraîcheur et de gaieté mais interprété par de tels musiciens et lu avec autant de sensibilité théâtrale, il n’en devient que plus fameux. Toutes ces qualités réunies permettent de redécouvrir une oeuvre assez peu jouée car jugée moins intéressante que les autres opéras de Mozart mais qui contient, quand même, parmi les plus beaux airs du compositeur…



A noter:
- Reprise de ce spectacle au prochain festival d’Aix-en-Provence du 22 au 31 juillet 2004.


Manon Ardouin

 

 

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