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Noir et blanc!

Paris
Opéra Bastille
03/08/2004 -  et 11, 14, 17, 20, 23, 26 et 30 mars, 11, 14, 17, 22, 25 et 28 juin et 1er et 6 juillet.
Giuseppe Verdi : Otello

Vladimir Galouzine (Otello), Barbara Frittoli (Desdémone), Jean-Philippe Lafont (Iago), Jonas Kaufmann (Cassio), Sergio Bertocchi (Roderigo), Elena Cassian (Emilia), Giovanni Battista Parodi (Lodovico), Christophe Fel (Montano), Rodrigo Garcia (un araldo)
Peter Bast (décors), Graciela Galan (costumes), Joël Houbeigt (éclairages), Andréi Serban (mise en scène)
Orchestre et Choeur de l’Opéra National de Paris
James Conlon (direction)

Depuis près de dix ans, l’un des plus fameux opéras de Verdi n’avait pas été monté sur la scène de l’Opéra de Paris et cette absence est aujourd’hui comblée grâce à cette nouvelle production qui est le fruit d’une alchimie parfaite entre une distribution qui ne mérite que des éloges et une mise en scène inventive et esthétiquement belle.



Andrei Serban part de l’idée que “la cause de la tragédie d’Otello est en lui-même” et que “Iago n’en est que le catalyseur”. En effet il insiste fortement sur le fait qu’Otello se ruine tout seul et que, dans un certain sens, il n’attendait que cette occasion pour se détruire et entraîner dans sa chute son épouse. Le metteur en scène montre constamment un Otello vacillant, au bord de l’évanouissement, du malaise cardiaque et qui ne sait à aucun moment contrôler la situation ni même l’affronter: lorsque Desdémone chante sa si magnifique complainte “a terra…” il est assis dans un fauteuil et lui tourne littéralement le dos, se voulant insensible au désespoir de la jeune femme. Andrei Serban fait preuve de beaucoup de simplicité et d’humilité face à l’oeuvre de Verdi. Il nous a habitué à des couleurs assez violentes, voire criardes, que ce soit dans ses productions lyriques (voir Les Indes Galantes) ou théâtrales mais ici il joue essentiellement sur le blanc, le rouge et le noir. Otello est souvent habillé de blanc sauf dans l’acte final où c’est Desdémone qui revêt ses habits blancs nuptiaux et Otello apparaît alors en noir ce qui est, visuellement, assez émouvant car la pureté de la jeune femme - et son innocence - est encore mieux mise en relief par rapport à la cruauté et la noirceur du héros. Toutefois on remarquera quelques naïvetés notamment lorsqu’Otello se transforme en sorte d’indien après s’être tracé des lignes sur le visage avec un maquillage blanc ou quand il se transperce à la fin de l’opéra avec la pointe de sa bannière. Enfin Andrei Serban n’hésite pas à revisiter le fameux meurtre de Desdémone par étouffement car, dans sa lecture, la jeune femme est tout d’abord poignardée par son mari et elle est “achevée” à coup d’oreillers, avec un jeu de scène qui a fait sourire plus d’un spectateur, il faut bien le reconnaître.
La scène n’est pas fixe et les panneaux blancs, simples, seulement stylisés, symbolisent le palais et diverses habitations et ils bougent en fonction du déroulement de l’action. Une grande importance est accordée aux rideaux et autres voiles qui distinguent les différents lieux scéniques et qui parfois isolent les personnages ou bien les séparent: lorsque Desdémone remercie le choeur des femmes venues lui rendre hommage au second acte, elle se trouve au fond de la scène, derrière le rideau, et Otello, déjà miné par la jalousie, est au bord de la scène et tous deux essaient de se tendre la main mais le rideau, représentation de leur future séparation, les en empêche. Les costumes de Graciela Galan sont absolument somptueux, autant la robe rouge de Desdémone que l’habit de cérémonie d’Otello. Un bien beau travail et qui ravit l’oeil! Les jeux de lumière de Joël Houbeigt sont particulièrement à propos dans la tempête où les éclairs se déchaînent et créent une atmosphère assez terrifiante.


Vladimir Galouzine est l’un des Otellos les plus recherchés actuellement et il promène ce personnage sur toutes les plus grandes scènes internationales. La partition ne semble plus vraiment contenir de secrets pour lui mais une certaine méforme l’empêche de donner le maximum de lui-même et il convient de faire abstraction de ses attaques un peu basses et qui ne sont pas toujours très propres. On le sent toujours un peu réservé et il a quelque mal à se plonger entièrement dans son personnage. On se prend alors à rêver d’un Placido Domingo qui éprouve peut-être plus de difficultés vocalement - encore que - mais qui sait dire dans un vrai cri de douleur le fameux “Il fazzoletto”. Ceci dit, il campe un Otello assez brillant et il a une voix adéquate pour ce type de rôle. Si le début de ses phrases sont assez incertains il trouve des accents magnifiques et émouvants dès qu’il a chanté quelques notes notamment dans le premier duo avec Desdémone.


Barbara Frittoli a déjà beaucoup chanté le rôle de Desdémone et on se souvient de l’ouverture de la saison 2001 de la Scala où elle affrontait le dernier Otello de Placido Domingo. Apparue également un peu fatiguée (des aigus pas toujours très stables), elle présente une très belle interprétation de ce rôle en tentant de donner l’image d’une Desdémone faible mais également déterminée à ne pas se laisser détruire entièrement par Otello: la voix rauque dont elle se sert pour affirmer à son mari son amour au moment de la cérémonie avec l’ambassadeur en est un exemple frappant. Elle évolue également avec grande élégance sur scène et elle est aidée en cela par les magnifiques costumes. La chanteuse privilégie les pianissimo et les aigus légers plutôt les notes en force: dans le quatuor du deuxième acte, elle se montre soumise à Otello également avec sa voix et elle termine ses phrases par des notes très pures et très nobles.


Jean-Philippe Lafont est un Iago assez inattendu et remarquable. Son personnage est assez proche de Scarpia et il sait distiller tranquillement le venin pour toucher au plus près le coeur d’Otello. Andrei Serban prend le parti d’en faire véritablement le maître du jeu qui tire les ficelles de l’action et des attitudes des personnages et, en l’absence du Maure, Iago boit l’eau d’Otello et s’assoit dans son fauteuil. Mais encore plus clairement, à la fin de la confrontation entre l’ambassadeur, Otello et Desdémone, le héros est complètement abattu, à terre, et Iago lui passe une corde rouge autour du cou pour véritablement le dompter tandis qu’au loin on entend “Viva Otello”. Le conseiller d’Otello est presque constamment sur scène et il épie les duos entre son maître et Desdémone, pour bien souligner qu’il est le responsable de la situation. Il joue également avec un crâne - que l’on pourrait penser sorti d’une autre pièce de Shakespeare - ce qui donne une dimension assez morbide à la scène. De nombreux détails sont importants dans cette mise en scène pour Iago comme sa main gauche qui est gantée alors que la droite ne l’est pas, comme s’il cherchait à cacher une mauvaise blessure et un lourd passé. Après avoir déjà interprété brillamment ce rôle à Toulouse et à Orange, le baryton français continue avec bonheur l’exploration de ce rôle et sa conception est assez éloignée de celle de ses collègues. Habituellement on voit des Iago cyniques mais Jean-Philippe Lafont tente d’humaniser un peu cette figure de méchant et surtout de le rendre faillible. Une telle présence scénique confond d’admiration car on n’a pratiquement jamais l’impression qu’il joue un personnage mais qu’il est le personnage à un moment précis. La voix est en excellente forme, superbe, puissante et ronde et surtout excessivement malléable ce qui permet à l’interprète de la moduler pour lui donner des couleurs vives ou tranchantes. Dans la sorte d’hymne à la boisson du premier acte qu’il chante avec Cassio, il différencie les divers “bevi” jusqu’à même utiliser une voix assez nasillarde pour les derniers. Mais il trouve des accents majestueux dans le fameux “Credo” où il apparaît dans toute la cruauté du personnage, prêt à tout détruire pour assouvir sa vengeance. Une interprétation qui ne peut que forcer l’admiration et qui hisse ce chanteur parmi les meilleurs Iago connus.


Elena Cassian parvient, malgré un rôle court, à se faire remarquer et il serait heureux de la réentendre dans une oeuvre mettant davantage en lumière la beauté et la profondeur de sa voie. Elle est une Emilia plus que convaincante et elle se montre très attachée à sa maîtresse jusqu’à la mort puisqu’elle tombe sous les coups de Iago.
Jonas Kaufmann se montre excellent dans le rôle de Cassio et il déploie une voix ample, stable et belle. Il est à l’aise autant scéniquement que vocalement et il apporte une grande fraîcheur à ce personnage et parvient à en faire un être sympathique et pas seulement le jeune homme ivre comme c’est souvent le cas.
Les rôles secondaires sont parfaitement tenus à commencer par Montano chanté par un Christophe Fel dont la stabilité et l’assurance de la voix ne sont plus à prouver. Sergio Bertocchi est également un intéressant Roderigo et il soutient parfaitement son jeu dans le conflit qui l’oppose à Cassio.


Pour sa dernière production à la tête de l’orchestre de l’Opéra de Paris, James Conlon donne le meilleur de lui-même. Il insuffle une véritable énergie à la partition dès les premières notes et à part quelques petites baisses de tension perceptibles ça-et-là, il donne de très belles couleurs à la musique de Verdi et de belles nuances Dans le duo entre Otello et Desdémone au troisième acte, le Maure lui dit qu’il la prend pour la courtisane-épouse d’Otello et à ce moment une montée reprend le thème enjôleur de ce passage mais qui est brisée par la colère du héros: ici le chef ralentit le tempo ce qui permet de montrer davantage la folie d’Otello qui casse non seulement la musique mais aussi sa vie et celle de Desdémone.



Cette nouvelle production parisienne redonne ses lettres de noblesse à une oeuvre majeure du répertoire italien et qui malheureusement a été assez malmenée ces derniers années par des metteurs en scène prêts à chercher à innover à outrance et qui finalement livraient un spectacle assez laid comme cela a pu être le cas à Lyon l’année dernière. Ici on perçoit dans sa vérité le drame et c’est en grande partie dû à des chanteurs-acteurs qui n’hésitent pas à transcender leurs propres limites non pas en jouant les personnages mais en étant Iago, Desdémone ou Otello.




A noter:
- reprise de cette production en juin-juillet 2004, la distribution restera inchangée sauf pour Desdémone qui sera chantée par Cristina Gallardo-Domas et Emilia par Nona Javakhidze.
- reprise également la saison prochaine en février-mars 2005: Vladimir Galouzine réendossera le costume d’Otello mais dans les rôles principaux on pourra entendre Carlos Alvarez en Iago et Soile Isokoski en Desdémone tandis que Valery Gergiev fera ses débuts dans la fosse de l’Opéra-Bastille.



Manon Ardouin

 

 

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