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La route de la Russie passe par Liège

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
03/05/2004 -  
Claude Debussy : Berceuse héroïque
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Concerto pour violon, opus 35
Dimitri Chostakovitch : Symphonie n° 11 « L’Année 1905 », opus 103

David Garrett (violon)
Orchestre philharmonique de Liège, Louis Langrée (direction)


Fondé en 1960, puis marqué par le long mandat de Pierre Bartholomée (1977-1999), l’Orchestre philharmonique de Liège et de la Communauté française de Belgique (Wallonie-Bruxelles) faisait, dans un Théâtre des Champs-Elysées point trop garni, sa première visite parisienne depuis près de sept ans. Entre temps, voici trois saisons, il a choisi pour directeur musical Louis Langrée, qui a poursuivi une politique discographique active, comprenant notamment une parution unanimement saluée, celle des deux Concertos pour piano de Liszt avec Claire-Marie Le Guay (voir ici), présente, par coïncidence, la veille à Mogador (voir ici).


Même si l’on ne lui demande pas de donner systématiquement la Symphonie en ré mineur de l’un des plus illustres Liégeois, César Franck, on pourra toutefois regretter que l’orchestre se soit déplacé avec un programme essentiellement… russe, sans la moindre partition, par exemple, de Lekeu ou Jongen, qu’il a pourtant enregistrés, et se soit contenté d’une brève allusion à sa patrie d’origine. Cela étant, la rare Berceuse héroïque (1914) de Debussy, composée en hommage à la résistance des Belges et de leur roi, Albert Ier, face à l’invasion allemande, qui cite donc par deux fois La Brabançonne, s’imposait tout particulièrement. En effet, comme le rappelle l’excellente notice introductive, Liège fut alors l’une des quatre villes à se voir décorer de l’ordre de la Légion d’honneur et, pour l’anecdote, elle se substitua aux deux capitales germaniques, le café viennois devenant «liégeois» tandis qu’à Paris, la rue de Berlin était débaptisée à son profit.


Parrainé par Ida Haendel et Itzhak Perlman, David Garrett s’est notamment fait connaître au disque dans le Concerto pour violon (1878) de Tchaïkovski (voir ici). Depuis cette gravure datant d’octobre 1997, le violoniste américain a indéniablement affiné sa conception: la technique reste solide, la sonorité plus fine que puissante, mais, même si les grandes effusions sur la corde de sol ou la tendance à attaquer la note par dessous dans un but expressif restent de mise, force est de constater qu’il a élagué de son discours une grande partie de la surcharge expressive qui plombait son disque. Si le caractère populaire de l’Allegro vivacissimo final est rendu de façon très colorée, l’ensemble manque toutefois encore un peu de personnalité, mais la Sarabande de la Deuxième partita de Bach, donnée en bis, confirme que la maturation de ce jeune artiste, qui n’est encore que dans sa vingt-quatrième année, est bien engagée.


Première Guerre mondiale avec Debussy, première révolution russe avec Chostakovitch, l’Histoire constituait décidément le fil rouge de ce concert. Dans sa Onzième symphonie «L’Année 1905», destinée au quarantième anniversaire de la révolution d’Octobre (1957), le compositeur russe salue sans doute également de façon implicite l’insurrection hongroise de 1956 et, au-delà, la lutte contre toutes les oppressions. Par un curieux retournement, après un chef belge (André Cluytens) et un orchestre français (le National) qui en réalisèrent le premier enregistrement, ce sont maintenant un orchestre belge avec son directeur musical français qui l’offrent au public parisien. Il est sans doute difficile de «rater» cette fresque historique, sorte de vaste poème symphonique (près d’une heure) d’un seul tenant, mais le défi instrumental n’en demeure pas moins important.


Assurant déjà un accompagnement vivant et soigné tout au long du Concerto de Tchaïkovski, la Philharmonie de Liège fait valoir une sonorité spécifique, caractérisée par des timbres (clarinettes, bassons, cors, trompettes) échappant aux lisses standards internationaux. Avec une battue claire et carrée, à mains nues, Langrée propose une vision précise et maîtrisée de cette symphonie, laissant s’exprimer un texte qui parle suffisamment de lui-même, sans donc en rajouter dans les deux Adagios, mais parfaitement cinglant et féroce dans les mouvements vifs.



Simon Corley

 

 

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