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Hommage au passé

Paris
Maison de Radio France
02/01/2004 -  
Philippe Hersant : Trio pour piano, violon et violoncelle (création française) – Ephémères (création)
Albert Schnelzer : Danses prédatrices (création)

Alice Ader (piano), Christophe Poiget (violon), Isabelle Veyrier (violoncelle)


«Chacune de mes œuvres (ou presque) est un hommage au passé; je n’arrive à travailler qu’à travers le filtre du souvenir.» Dans un entretien accordé à Christian Wasselin et placé en exergue au programme de Présences 2004, Philippe Hersant annonce clairement la couleur.


Quoi de plus tentant, dès lors, que de dénoncer une esthétique passéiste et de penser qu’il n’est pas raisonnable d’essayer de mettre du vieux vin dans de nouvelles outres? Mais la diversité esthétique du paysage musical contemporain, dont un festival tel que Présences se doit d’effectuer un relevé aussi objectif que possible, permet à chacun de se faire sa propre idée et, surtout, d’y trouver son compte, en dépassant les querelles de chapelle, dont on a trop souffert depuis 1945, d’excommunications en contre-réformes. «Progressistes», «conservateurs», et après? Il faut de tout pour faire un monde et il y a un temps pour tout: l’essentiel est que chacun puisse s’exprimer selon sa sensibilité et que soit offerte au public la possibilité de faire un choix, selon les goûts ou le moment, dans l’extraordinaire foisonnement qui marque la période actuelle.


Cela étant, les trois partitions présentées en cette fin d’après-midi trouvaient leur inspiration dans le passé, qu’il s’agisse de leurs références ou de leur langage, l’ombre de quelques-uns des grands trios avec piano du siècle dernier (Chostakovitch, Martinu) planant sur la première partie de ce concert.


Le Trio de Hersant, ici en création française, bien qu’il soit daté de 1998 et qu’il ait déjà fait l’objet d’un enregistrement (MFA/Radio France), est sous-titré Variations sur la «Sonnerie de Sainte-Geneviève-du-Mont», une pièce (1723) de Marin Marais destinée à une formation équivalente (violon, viole de gambe et clavecin). Il n’est donc pas étonnant que les carillons du piano, procédant souvent par puissants et sonores accords consonants, y tiennent une place centrale. Durant ces vingt minutes d’esprit rhapsodique, les tempi, les styles et les climats contrastés (tragique, grandiose, légendaire, populaire, désolé, méditatif, ...) se succèdent, comme si l’on passait d’une section à l’autre après que les éléments constitutifs de la section précédente aient été usés jusqu’à la corde (Boulez, à propos de Janacek, parlait ainsi de «citron qu’il presse pour en tirer tout le jus»). La qualité d’écriture n’en demeure pas moins toujours remarquable et les dédicataires – Alice Ader, Christophe Poiget et Isabelle Veyrier – lui rendent pleinement justice.


Venait ensuite une création mondiale, moins développée (douze minutes) mais également d’un seul tenant: dans ses Danses prédatrices (2003), Albert Schnelzer (né en 1972) fait alterner, selon un schéma vif/lent répété par deux fois, frénésie primitive et lambeaux de discours. A l’appui de son œuvre, le compositeur suédois estime que «l’histoire de la musique se résume à deux activités fondamentales: la musique et le chant». Soit, mais d’autres compositeurs ont sans doute mieux su exploiter ce retour aux origines de la musique, à commencer par Jolivet (qui est d’ailleurs sans doute celui qui a compté le plus dans la formation de Hersant). Car si Schnelzer ajoute qu’il a «travaillé de manière intensive à développer des éléments quelque peu négligés» (selon lui, la pulsation et le mètre, ce qui reste à prouver), son traitement du rythme, d’un effet certes fort divertissant et superficiel, semble en être resté à Stravinski, Bartok ou Martinu. «Pour moi, accroître la complexité par la combinaison d’éléments simples a toujours été l’une des démarches les plus intéressantes»: si les «éléments simples» sont bien là, force est cependant de constater qu’un langage dont les avancées les plus notables consistent en des clusters dans le grave du clavier ou dans le jeu sur les cordes du piano frappées avec le plat de la main est bien loin de réaliser quoi que ce soit de complexe ou, encore moins, d’original.


En seconde partie, Alice Ader présentait pour la première fois en public l’intégrale des Ephémères de Hersant. Né d’une brève commande illustrant un haïku et augmenté, entre 1999 et 2004, au gré d’une sorte de «journal de voyage» – la présentation de huit extraits dans le cadre de l’émission «Alla breve» sur France Musiques (2001), les intermèdes pour le documentaire Etre et avoir (2002) – le cycle compte finalement vingt-quatre miniatures de trente secondes à quatre minutes, dont certaines enchaînées, pour un total de quarante minutes. Parmi elles, huit étaient données en création française et cinq en création mondiale.


On pourra bien entendu relever d’autant plus facilement les influences (la grande tradition du piano français, Debussy et Messiaen peut-être davantage que Ravel ou Jolivet) et les citations (un Prélude de Debussy, une chanson de la Renaissance espagnole, la musique traditionnelle japonaise – gagaku – et un hymne de Gurdjieff) que Hersant et sa musique les revendiquent expressément. Ephémères suggère naturellement la brièveté de la forme, même si l’on se doute que le compositeur français n’aborde pas la concision dans la même optique que Webern. En effet, plutôt que de tenter de faire tenir tout un univers en un précipité de quelques notes, il déroule des processus pianistiques ordonnés et somptueux, tant par la couleur que par le rythme, qu’il se plaît souvent à interrompre subitement, comme si c’est simplement un instant parmi d’autres qu’il venait de saisir et dont l’avant ou l’après ne seraient pas essentiellement différents. La maîtrise des ressources de l’instrument force l’admiration, avec une manière à la fois délicate, poétique et indéniablement traditionnelle d’évoquer, voire de décrire (Vent d’automne, Ouragan).


Mais ces Ephémères s’achèvent avec La Lande (titre du dernier haïku du poète Bashô), une pièce qui énonce le thème de Insprugk, ich muss dich lassen de Heinrich Isaac. C’est sur cette même chanson, qui est aussi la mélodie du choral de Bach O monde, je dois te quitter, qu’était construit le dernier mouvement de Im fremden Land (2003) pour sextuor (voir ici). Ces deux conclusions graves et véhémentes sont musicalement très proches, et ce de façon délibérée, puisqu’elles sont dédiées, l’une comme l’autre, à la mémoire d’Olivier Greif. L’on ne peut donc s’empêcher de voir dans cette dernière pièce du recueil une réflexion sur le caractère ... éphémère de la vie, qui justifierait l’hédonisme un rien mélancolique des vingt-trois précédentes.



Simon Corley

 

 

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