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Noir et blanc

Normandie
Théâtre des Arts de Rouen
01/13/2004 -  et 16, 18*, 20, 23 et 25 janvier
Giuseppe Verdi : La Traviata
Mireille Delunsch (Violetta Valery), Valeriy Serkin (Alfredo Germont), Angelo Veccia (Giorgio Germont), Geneviève Kaemmerlen (Annina), Damiana Pinti (Flora Bervoix), Janne Sundqvist (Grenvil), Olivier Hernandez (Gaston), Enrico Marabelli (Douphol), Jozsef Dene (Obigny), Jean-Vital Petit (Giuseppe), Arnaud Richard (domestique), Jean-Marc Savigny (commissionaire)
Erich Wonder (décors), Andrea Schmidt-Futterer (costumes), Franz-Peter David (lumières), Anna Henkel-Donnersmark & Stefan Runge (conception images vidéo), Peter Mussbach (mise en scène)
Orchestre et Choeur (Accentus) de l’Opéra de Rouen
Oswald Sallaberger (direction)

“C’est l’histoire d’une femme en train de mourir. […] Le temps de la représentation, cette femme s’éteint sous nos yeux, quasiment en direct.” C’est une vision radicalement pessimiste et noire que Peter Mussbach a souhaité développer dans cette nouvelle mise en scène de La Traviata donnée à Rouen en coproduction avec le festival d’Aix-en-Provence. Et s’il semble être parvenu à ses fins, le spectateur, quant à lui, reste quelque peu perplexe devant une Violetta qui ne quitte jamais la scène, un Giorgio Germont qui tente presque de violer la jeune femme et devant quelques autres aberrations scéniques, malgré une Mireille Delunsch lumineuse et souveraine.



Peter Mussbach et son équipe jouent constamment sur le contraste entre le blanc et le noir. A l’exception de Violetta, tous les personnages, ainsi que le choeur, sont habillés en noir, costumes et robes de soirée pour les invités. Mireille Delunsch conserve la même robe blanche pendant toute la représentation, robe phosphorescente pourrait-on dire car elle scintille dans l’obscurité. Rendus totalement intemporels par leurs vêtements, les protagonistes évoluent sur scène comme des sortes de zombies et ce n’est qu’à de très rares moments que l’on peut sentir une émotion se dégager de leurs gestes et de leurs attitudes. Le côté assez hiératique des positions semble paralyser les chanteurs qui, certes, éprouvent des difficultés à donner une consistance à leur rôle, ce qui est plus que compréhensible dans un tel climat. Le metteur en scène place l’action de l’opéra de Verdi dans une voiture, apparemment, puisque de nombreux éléments y faisant référence parcourent la représentation. Et pourtant les premières images sont assez belles! pendant l’ouverture, Violetta s’avance lentement du fond de la scène auréolée par sa robe et sur un tissu qui entoure l’orchestre, des gouttes de pluie tombent doucement. Mais le début de la magie est irrémédiablement cassé quand un affreux essuie-glace commence à traverser la scène de long en large! et ce n’est plus alors qu’une succession de feux, de clignotants…et que d’une interminable course-poursuite dans un tunnel autoroutier! Très peu d’objets feront leur apparition sur scène et seule une chaise est apportée au deuxième acte lors de la rencontre entre Violetta et Germont. Dans le tableau suivant, les joueurs sont à une table de bistrot mais il n’y a ni lit, ni clochette pour appeler Annina…


Après avoir déjà chanté le rôle de Violetta à Bordeaux et à Tours, Mireille Delunsch retrouve ici un de ses personnages fétiches. Annoncée souffrante, elle reste prudente jusqu’au grand air du premier acte comme si elle craignait de ne pas pouvoir l’assurer jusqu’au bout mais, une fois ce passage franchi, elle se dépense sans compter. La chanteuse apporte à Violetta une fragilité, une douleur que malheureusement la mise en scène brise un peu en l’obligeant à surjouer la malade et la vacillante. Elle reste pratiquement tout le temps allongée à terre et quand elle parvient à se lever, un des personnages l’humilie à nouveau et la renvoie à sa position première. Même si, scéniquement, elle se donne au maximum pour adhérer à cette lecture morbide de La Traviata, elle exprime la plupart des sentiments de Violetta par l’intermédiaire de son instrument. Sa voix peut s’apparenter de plus en plus à des notes de cristal et principalement dans le premier duo avec Alfredo quand la chanteuse reprend sur les notes piquées “Solo amistade…”. Elle chante constamment Violetta comme une folle, une désespérée qui court irrémédiablement à la mort et ce dès sa première apparition. Dans les différents “Follie” et “gioir” qui ponctuent le “sempre libera” elle retrouve les accents de la la Folie de Platée et les applique ici pour provoquer davantage de compassion pour son personnage. Son interprétation est faite de petits détails qu’il est, bien évidemment, impossible de relever de manière exhaustive: quand, dans le duo avec Germont, elle commence le passage “dite alla giovine”, elle illumine particulièrement les “a” de “alla” et “bella”, apportant un peu d’espoir à cette situation. Elle assombrit aussi sa voix quand elle souhaite mettre en relief certains mots comme le “u” de “lui” dans “ah forse è lui” au premier acte. Enfin il est à noter que Mireille Delunsch a fait d’immenses progrès au niveau de la prononciation. On ne peut qu’espérer retrouver la musicienne dans une production plus classique de La Traviata, comme celle de Jean-Claude Auvray à Tours en 2002 où elle avait incarné une Violetta magnifique, plus vraie que nature et qui trouvait la force de mourir, de s’éteindre progressivement tout au long de la représentation…
Si dans l’ensemble le reste de la distribution est assez honnête, Valeriy Serkin est insupportable dans le rôle d’Alfredo. Il est indéniable que ce chanteur a des moyens vocaux évidents, une bonne projection, beaucoup de puissance (peut-être trop pour ce rôle) mais il a chanté faux pratiquement pendant toute la représentation, sauf dans les ensembles car il arrivait à se calquer avec les autres, enfin quand il ne part pas à contretemps. Il n’a guère développé son personnage et sa voix ne lui permet pas de traduire des sentiments car elle est assez banale et dépourvue de couleur: on avait l’impression qu’il chantait constamment la même note tellement elles se ressemblaient!
Angelo Veccia a remporté un grand succès dans le rôle de Giorgio Germont, succès amplement mérité. Après avoir commencé la représentation sagement, il explose littéralement dans son grand air “di Provenza il mar” auquel il apporte une émotion intéressante et surtout il dévoile un timbre chaleureux et une générosité dans son chant. La mise en scène ne le gâte pas non plus car il se voit obligé de prendre Violetta dans ses bras et de l’embrasser plus que comme sa fille, comme elle le lui demande. On souhaiterait réentendre ce chanteur dans de meilleures conditions car on sent percer derrière quelques notes un futur Philippe II ou des personnages avec des graves bien affermis. Dommage enfin que l'aria “No, non udrai rimproveri” ait été supprimée…
Parmi les rôles secondaires, on retiendra Geneviève Kaemmerlen, belle Annina qui pourrait supporter des rôles dramatiques plus importants et plus intéressants et Damiana Pinti qui donne une véritable personnalité à Flora, personnage parfois accessoire dans des productions plus classiques. Les interventions de Janne Sundqvist en Grenvil semblent assez prometteuses et on peut remarquer une voix stable notamment dans la tenue des notes sur “che poche ore”.

Oswald Sallaberger, chef permanent de l’opéra de Rouen, a de bonnes intentions mais aucune magie ne se dégage de sa direction. Il adopte un tempo peut-être un peu trop rapide notamment au début de l’ouverture et du prélude du troisième acte, détruisant la douceur des introductions. Le reste est assez bien mené mais on ne sait pas très bien quelle lecture il souhaite proposer de l’oeuvre de Verdi. Le choeur de l’opéra de Rouen est excellent et si l’on constate quelques décalages çà et là avec l’orchestre, on admirera l’ensemble qui a une belle couleur et le fameux échange entre les bohémiennes et les matadors qui est chanté avec légèreté et intelligence.



On sort de cette représentation avec un goût assez amer car si la prestation de Mireille Delunsch est digne de ses célèbres devancières et si elle apporte une originalité au personnage à savoir sa personnalité, sa fragilité, on se demande ce qu’elle fait assez mal entourée. Il est vrai aussi qu’une mise en scène aussi inexistante mais briseuse d’ambiance n’est pas pour aider des chanteurs qui, peut-être, trouveraient plus d’affinités avec leurs rôles s’ils n’évoluaient pas dans le cadre d’une voiture…Autant la mise en scène de Peter Mussbach fonctionnait parfaitement dans Perela, l’homme de fumée de Pascal Dusapin présenté l’année dernière à la Bastille parce qu’il s’agissait d’un opéra contemporain et d’une histoire fantastique, autant elle devrait montrer un peu plus de simplicité dans La Traviata : on souhaiterait ne pas voir un essuie-glace s’agiter à chaque changement de scène ou d’acte!




A noter:
reprise de cette production au Grand Théâtre du Luxembourg du 31 mars au 6 avril 2004 et au prochain festival d’Aix-en-Provence du 7 au 30 juillet sachant que, cet été, Mireille Delunsch alternera avec Anna Samuil et que Daniel Harding sera à la baguette.


Manon Ardouin

 

 

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