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Phœnix à La Maroquinerie Paris La Maroquinerie 12/21/2003 - Vincent Paulet : Quatuor n° 2 «En forme d’études»
Leos Janacek : Quatuor n° 1 «Sonate à Kreutzer»
Philippe Hersant : Im fremden Land
Svetlin Roussev, Bertrand Cervera (violon), Françoise Gnéri (alto), Sébastien van Kuijk (violoncelle), Jérôme Comte (clarinette), Bertrand Chamayou (piano)
Présidé par Thierry Escaich et doté d’un comité artistique réunissant Nicolas Bacri, Guillaume Connesson, Jean-Louis Florentz, Anthony Girard, Philippe Hersant, Marc Minkowski, Laurent Petitgirard et Pascal Zavaro, l’Ensemble Phœnix «regroupe des compositeurs, des interprètes et des personnalités de la vie musicale dont l’attachement au phrasé mélodique, à la force rythmique, à la beauté de langages harmoniques plus consonants, marque, sinon une esthétique commune, du moins une même volonté artistique, un même souci expressif». Il vise donc à rassembler sous un même chapeau tous ceux, se réclamant d’esthétiques au demeurant très diverses, qui veulent se démarquer, entre autres, du sérialisme, de l’école spectrale, de la musique concrète ou de l’électronique, et, surtout, faire revivre, en quelque sorte, la tonalité, tel, probablement, un phénix qui renaîtrait de ses cendres.
C’est évidemment son droit le plus strict, même si Schönberg avait déjà proclamé qu’il restait encore beaucoup de bonne musique à écrire en ut majeur (ce qu’il fit d’ailleurs lui-même) ou même s’il n’est pas prouvé que la tonalité était vraiment défunte. Mais pourquoi ne pas oser le dire franchement au lieu de s’abriter derrière de vaines circonlocutions qui, au passage, réveillent des combats d’arrière-garde, en semblant dénier aux autres écoles de pensée tout attachement à la qualité «mélodique», «rythmique» ou même «consonante»?
L’essentiel, cependant, c’est de faire de la «bonne» musique, en sachant d’ailleurs qu’il faut sans doute, en un sens, se fixer un niveau d’exigence supérieur lorsque l’on recourt aux commodités de la tonalité. La difficulté, avec la tonalité, c’est, au fond, la facilité. A moins que ce ne soit le contraire.
Sous l’étiquette «Le plaisir de la musique d’aujourd’hui», les (trois) journées annuelles (dix concerts de musique de chambre) de Phœnix organisées à La Maroquinerie – une cave qui, bien que située dans le XXe arrondissement, se présente sous une apparence plus germanopratine que bellevilloise – auraient permis, au-delà d’un seul concert, d’en juger de façon très complète si les conditions pour le moins spartiates de l’accueil, la sécheresse de l’acoustique, les craquements permanents du plancher et les conversations incessantes entre deux spectateurs assis non loin de la porte d’entrée n’étaient parvenus à décourager toute velléité de prolonger le séjour en ces lieux. Trop c’est trop. Dommage pour une initiative a priori sympathique, dont deux des atouts – une programmation centrée sur Janacek et un tarif unique, à tous les sens du terme, de 3 euros par concert – auraient pourtant dû permettre de faire l’impasse sur quelques imperfections.
Pour le sixième concert du festival, Vincent Paulet et Philippe Hersant étaient venus commenter eux-mêmes leurs créations, tandis que Jean-François Zygel, directeur artistique de Phœnix, introduisait, avec la manière flamboyante qu’on lui connaît, le Premier quatuor «Sonate à Kreutzer» (1923) de Janacek.
Chacun des brefs mouvements du Deuxième quatuor «En forme d’études» (1994) de Paulet (né en 1962) consiste en un travail sur une difficulté particulière: successivement les variations de tempo, les pizzicati, les (micro)intervalles, les harmoniques (Fragment onirique) et les modes de jeu avec l’archet, le dernier mouvement s’enchaînant sur un Epilogue. Selon le compositeur, qui s’abrite derrière un humour pince-sans-rire, «c’est (…) exactement la même chose que les Etudes symphoniques de Schumann, sauf que ce n’est pas en ut dièse mineur (quoique…), que ce n’est pas de la musique romantique (quoique…) et que ce n’est pas du piano». La volonté de passer en revue les techniques d’écriture du quatuor rappelle, par son côté systématique, la démarche de Dutilleux dans Ainsi la nuit ou de Carter dans son Cinquième quatuor. Tout aussi pudique et elliptique, la manière en est toutefois peut-être plus didactique. Force est de constater que l’ensemble formé de Svetlin Roussev, Bertrand Cervera, Françoise Gnéri et Sébastien van Kuijk n’est malheureusement pas aidé par l’absence totale de réverbération.
En revanche, ce manque d’onctuosité disconvient moins à l’acidité du langage de Janacek. Du coup, dans une mise en place tout à fait réussie, les interprètes font ressortir le côté âpre, expressionniste, tout en aspérités, de son Premier quatuor.
Comme pour apporter un démenti aux discours récurrents sur la place des uns et des autres dans les «institutions», Hersant sera la vedette de la prochaine édition du Festival Présences, organisé par Radio France à partir du 30 janvier, au cours duquel on pourra d’ailleurs entendre, outre Paulet, deux autres compositeurs joués au cours de ces journées Phœnix, Connesson et Zavaro. Rejoints par Jérôme Comte (clarinette) et Bertrand Chamayou (piano), les musiciens donnent l’une de ses partitions récentes, Im fremden Land (En terre étrangère, 2002), qui est, en fin de compte, son second sextuor, après celui qu’il avait écrit en 1994 pour une formation quasi identique (clarinette, basson, violon, alto, violoncelle et piano). Comme on le sait, l’univers du compositeur est truffé de références littéraires et de citations musicales, notamment germaniques: ici, non seulement le titre de l’œuvre et de ses cinq mouvements est en allemand, mais la «terre étrangère» est celle que chante Heinrich Isaac (vers 1450-1517) dans sa chanson Insprugk, ich muss dich lassen, sur laquelle Bach a ensuite fondé son choral O Welt, ich muss dich lassen et dont le thème est énoncé à plusieurs reprises dans cette pièce qui constitue, notamment dans son dernier volet, un in memoriam Olivier Greif (1950-2000).
Les cinq mouvements décrivent une forme en arche, d’une durée totale de vingt minutes et dans une esthétique composite qui n’est pas sans rappeler, de façon assez surprenante, les collages et l’expression extériorisée d’un Schnittke. C’est d’abord une Berceuse inquiète (mais on se souviendra que le dernier mouvement de la Toccata sinfonica de Bacri est intitulé Berceuse de la mort), interrompue par les interventions dramatiques de la clarinette et du piano. Suit une Danse macabre en forme de pandémonium, faisant alterner les graves furieux du piano et un passage plus ironique, qui cite la Méphisto polka de Liszt, également auteur d’une fameuse Totentanz. Andenken (En souvenir de…, qui est aussi le titre d’un poème de Hölderlin, comme le rappelle Hersant), morceau central de caractère élégiaque, laisse entrevoir ici ou là comme des réminiscences d’un autre temps. Phantasiestück (en référence, bien sûr, à Schumann), bref mouvement perpétuel virtuose, cède la place au Choral final, dédié à la mémoire d’Olivier Greif, juxtaposition de quatre éléments dont chacun conservera son autonomie: un carillon abyssal et apocalyptique du piano, une très courte mélodie sautillante du piano, comme une de ces bribes de discours dont use Janacek, les hurlements de la clarinette et le choral confié aux cordes.
Simon Corley
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