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Une Belle-Hélène de rêve! Paris Châtelet 12/07/2003 - et les 12, 14, 16, 19, 21, 23, 26, 28, 31 décembre et 2 et 4 janvier. Jacques Offenbach : La Belle-Hélène Dame Felicity Lott (Hélène), Yann Beuron (Pâris), Michel Sénéchal (Ménélas), Eric Huchet (Achille), Alain Gabriel (Ajax I), Laurent Alvaro (Ajax II), Aurelia Legay (Bacchis), Christophe Grapperon (Philocome)
Laurent Pelly (mise en scène et costumes), Chantal Thomas (décors), Joël Adam (lumières), Laura Scozzi (chorégraphie)
Orchestre et choeur des Musiciens du Louvre
Marc Minkowski (direction) C’est avec un immense plaisir que l’on retrouve pour la troisième fois cette production drôle, intelligente, fine et si magnifiquement interprétée de La Belle-Hélène. Laurent Pelly et Marc Minkowski refusent de tomber dans les deux excès pour présenter une opérette et ils tentent de trouver un juste milieu entre la surmodernisation et le purisme qui vise parfois l’oeuvre d’Offenbach. Pour mener à bien ce projet, le chef s’entoure d’une distribution quasi-idéale. Peut-on rêver une Hélène plus belle et plus déjantée, un Pâris plus charmeur, un Agamemnon plus souverain, un Ménélas plus ridicule mais aussi humain…
Laurent Pelly est parti de l’idée de représenter la reine en train de rêver. C’est pourquoi dans l’ouverture, on la voit se préparer à aller se coucher, elle prend un somnifère et se met au lit à côté de son vieux mari Ménélas qu’elle regarde avec beaucoup d’ennui. Après ce passage la musique se fait plus vive et Hélène rêve qu’elle est la plus belle femme du monde et qu’un berger viendra l’enlever sur sa galère en forme de lit. L’idée est particulièrement ingénieuse car elle fait référence au fameux duo “oui c’est un rêve” dans lequel Pâris séduit la reine alors que cette dernière croit vivre le songe demandé à Calchas. La mise en scène prend alors toute sa cohérence. L’élément récurrent est bien sûr le lit que l’on retrouve au premier et deuxième acte et qui se transforme en galère avec des rames au dernier acte. L’idée du rêve est alors entièrement justifiée quand Hélène jette les plumes d’un oreiller en s’envolant avec Pâris. Mille petits détails apportent une touche d’ironie à l’oeuvre ainsi lorsque Pâris et Hélène chantent leur duo “oui c’est un rêve”, un peu long il faut le reconnaître, les moutons (Laurent Pelly aime beaucoup les moutons entre ceux en tutus d’Aristée dans Orphée et ceux plus stylisés de la Folie dans Platée) de Pâris entrent en scène et se séduisent, dansent ensemble… Le temps semble passer plus vite même si les deux chanteurs sont excellents dans ce passage. Le souci du moindre détail se trouve aussi dans les coups de soleil des touristes qui sont sur la plage.
Les décors de Chantal Thomas sont très fouillés. Si la première partie du premier acte montre une chambre à coucher assez vide à part des tables de nuit et des lampes (avec lesquelles Philocome jouera pour symboliser l’apparition de la puissance divine), elle s’anime très vite à l’arrivée des rois et la scène s’éclaircit. Pour le second acte, Laurent Pelly installe des ruines avec des fresques en cours de restauration, des ouvriers qui dansent avec leurs brouettes, des archéologues… Enfin, pour le dernier acte, a priori le moins convaincant, la scène représente la fameux plage de Nauplie mais elle est remplie à l’excès de petits détails comme une boutique de souvenirs, une buvette à droite, des pancartes en grec qui effacent ces transats un peu conventionnels.
Dans le rôle-titre, Dame Felicity Lott reprend avec grand talent la chemise de nuit d’Hélène qu’elle avait prêté à Katarina Karneus il y a deux ans. Hélène n’est guère éloignée de la Maréchale de Strauss et Felicity Lott interprète de la même manière avec un petit peu de folie et de piquant en plus. La chanteuse s’amuse à chanter ce rôle, cela se sent, et une sorte de plaisir se transmet dans la salle. Maintenant elle a complètement intégré et la mise en scène et la musique et elle ne joue plus Hélène, elle est Hélène au point de rajouter d’infimes détails mais qui laissent penser qu’elle est réellement la reine antique. Vocalement elle est d’une intelligence assez rare et elle se prend au jeu notamment dans l’air du deuxième acte “on me nomme Hélène la blonde” où elle appui fortement les “c” de “cascader” et le “u” de “vertu”. Elle est également parfaite dans l’air ‘là, vrai je ne suis pas coupable” où elle enlaidit à l’excès les différents “ils se plaint pour un rêve”, insistant sur les “ain” et “ê”. Scéniquement elle est une Hélène prête à réagir dès qu’il est question de berger mais elle peut être aussi très subtile par quelques mouvements ou quelques regards. Son français est excellent, bien meilleur qu’il y a trois ans, et sa petite point d’accent est délicieuse.
Yann Beuron reprend, en alternance avec Bernard Richter, le rôle de Pâris qui lui va si bien. Quelle élégance dans sa voix et dans sa prestation scénique. Quand le public français l’a découvert dans la deuxième moitié des années 90 et plus principalement dans Orphée aux Enfers à Lyon, on pouvait s’inquiéter sur sa présence scénique. Mais il s’est très bien adapté à la scène, sa tendance à la gaucherie est aujourd’hui totalement écartée et il devient un acteur très intéressant. Quant à sa voix, elle est toujours aussi charmeuse et il donne une classe, à ce personnage, parfois un peu réduit à l’idée de beau berger. Son air introductif “Au mont Ida” rappelle son appartenance au monde baroque de Minkowski et la dernière reprise est chantée en mezza-voce et très lentement. Rarement donnée car assez tendue et difficile, l’ariette “je la vois, elle dort” retrouve ici toutes ses lettres de noblesse et est un passage magnifique, dans un tempo assez lent. Le chanteur peut alors montrer toute l’étendue de son talent et sa diction toujours aussi impeccable. Mais c’est dans son arrivée en grand augure qu’il est le plus remarquable avec sa tyrolienne aux aigus brillants et parfaits. Un grand Pâris, plus prince que berger…
Michel Sénéchal renfile aussi sa chemise de nuit et ses pantoufles et propose un roi Ménélas aussi frais qu’il y a deux ans. La voix n’a certes plus vingt ans mais elle est encore d’une puissance assez incroyable. Il joue parfaitement son rôle de mari ridicule et son talent dans les dialogues rachètent tous les petits problèmes vocaux et une diction qui commence à devenir assez approximative. La mise en scène joue aussi du fait qu’il est plus âgé que tous les autres chanteurs et c’est pourquoi ils ont pris le parti d’en faire un vieux mari et de justifier, en un certain sens et à travers quelques œillades désespérées d’une Hélène encore jeune, le futur adultère. Mais quel bonheur de voir un chanteur qui après tant d’années de carrière semble toujours aussi enthousiaste!
Laurent Naouri reprend avec toujours autant de talent le drap de bain d’Agamemnon. Son entrée avec les autres rois est peut-être la plus réussie car il s’impose dès le début avec sa voix puissante, son jeu engagé et exemplaire et sa capacité à détacher tous les mots et à les faire vivre. Un grand roi! avec François Le Roux et Michel Sénéchal, ils forment un trio endiablé dans l’acte III, passage peut-être le plus extraordinaire de la représentation car il n’y a aucune baisse de tension pendant plus de cinq minutes.
Stéphanie d’Oustrac a fait de gros progrès ces derniers temps et elle confirme les espoirs placés en elle. Elle campe un Oreste assez vulgaire mais qui connaît ses limites et surtout elle enlève admirablement les deux airs. Sa diction est parfaite et les “A Leucade” sont bien vifs et expressifs. Même si sa performance ne peut faire oublier celle de Dominique Visse à Aix en 1999, elle tient parfaitement sa place parmi les grands interprètes d’Oreste.
François Le Roux est toujours aussi impayable dans le rôle de Calchas. Il se montre un devin consciencieux de son “travail” et espère toujours faire des sacrifices. Mais on sent que Calchas n’est pas un personnage aussi sérieux qu’Agamemnon et souvent il dérape quelques instants: dans le trio du troisième acte Ménélas-Agamemnon-Calchas, ces deux derniers expliquent au mari quelles sont les nouvelles danses à la mode et seul Calchas, sous l’oeil étonné du roi des rois, esquisse quelques pas de “danse excentrique”. Vocalement on retrouve l’ancien Pelleas, le nouveau Golaud dans la scène de l’oracle. Une petite mise en scène est dessinée puisque François Le Roux monte sur une table de chevet et prononce l’oracle sur un crescendo digne de Wagner “les dieux décrètent”. Le chanteur semble plus à l’aise cette année que lors des autres représentations et il se montre un acteur exceptionnel surtout lorsqu’il écoute de la musique et danse en même temps pendant que Pâris chante son air d’arrivée au troisième acte.
Les rôles plus secondaires sont parfaitement tenus à commencer par le toujours désopilant Achille d’Eric Huchet qui se prend deux coups d’oreillers d’Agamemnon pour le faire taire et qui ne cesse de se faire photographier par les touristes son fameux talon. Les deux Ajax (Alain Gabriel et Laurent Alvaro) sont également très drôles avec leurs coussins et leurs oreillers, en guise de costumes. Aurelia Legay est une Bacchis parfaite, pleine d’allant et qui parvient à se transformer en femme de ménage vulgaire, certes, mais encore supportable. Là aussi son personnage est fouillé car elle tente d’essayer les robes de la reine mais forcément elles sont trop étroites pour elle et elle traîne ses chaussons avec beaucoup de bruit et peu d’élégance.
A noter la participation de Christophe Grapperon dans le rôle parlé de Philocome, ridicule et idiot à souhait. En tant que chef du choeur des Musiciens du Louvre, il mérite également sa part de lauriers car les choristes sont d’une précision à faire frémir certains choeurs lyriques et surtout ils donnent un sens à chaque mot et ne se limitent pas à chanter leur partie. Dans le choeur “dansons, aimons” de l’acte III, ils proposent même des notes assez laides pour les mots “chaste Minerve” pour bien marquer le contraste entre le dieu Bacchus qu’ils honorent maintenant et la déesse de la chasteté.
Marc Minkowski est toujours aussi excellent pour diriger Offenbach et il a redonné un nouveau souffle à cette musique qui est souvent jouée avec légèreté et un manque d’attention musicale que le passage de ce chef interdit désormais. L’ironie, l’humour n’est pas seulement sur scène, il est aussi dans l’orchestre notamment lorsque la fanfare à l’acte II joue de plus en plus faux au point que cela en devient insupportable. A noter que les instrumentistes requis pour ce passage sont habillés en hôte d’accueil. De même lorsque Hélène arrive avec Ménélas, l’orchestre reprend une partie de l’air précédent d’Oreste mais avec des attaques encore plus vives et une certaine lenteur. Les instrumentistes font également un travail individuel comme, par exemple, lorsque Pâris descend de sa galère, chaque pas qu’il fait est concrétisé par une note piquée à la contrebasse. L’ensemble est impressionnant et vivant. Quelques petits décalages entre les chanteurs et l’orchestre sont perceptibles mais ils seront bien vite estompés au fur et à mesure des représentations.
Rédiger un compte-rendu complet d’une telle mise en scène et d’une interprétation aussi riche est impossible. Autant l’aspect scénique que musical est truffé de petits détails originaux et ingénieux. Décidément après un Orphée aux Enfers décalé, un Platée à mourir de rire, des Contes d’Hoffmann et une Ariane un peu ternes, il est agréable de retrouver Laurent Pelly dans toute sa splendeur et avec toute son intelligence scénique.
A noter:
- on peut retrouver cette magnifique production en disque et en DVD avec quelques légères modifications de distribution: au moment de la création Marie-Ange Todorovitch tenait le rôle d’Oreste.
- une nouvelle production de La Grande-Duchesse de Gerolstein sera à l’affiche du Châtelet en décembre prochain avec toujours, Laurent Pelly à la mise en scène et Marc Minkowski à la baguette. Dans les rôles principaux on retrouvera Felicity Lott, Yann Beuron, François Le Roux et Sandrine Piau.
- Laurent Pelly et Marc Minkowski reformeront leur duo en mai prochain pour Les Boréades de Rameau à l’opéra national de Lyon avec Mireille Delunsch, Paul Agnew,… Reprise prévue en juin à l’opéra de Zürich mais avec une distribution différente puisqu’elle réunira Annick Massis, Richard Croft,… Manon Ardouin
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