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Le double hommage de Lyon à l’un des siens Lyon Auditorium 11/15/2003 - Georges Martin Witkowski : Le Poème de la maison
Marie-Ange
Todorovitch (mezzo-soprano), Gilles Ragon (ténor), Matthieu Lécroart (basse). Schola Witkowski (dir. Jacques Berthelon), Orchestre national de Lyon, dir. Sébastien Rouland.
Dimanche 16 novembre
Vincent d’Indy : Quintette avec piano en sol mineur op. 81
Georges Martin Witkowski : Quintette avec piano en si mineur
François Payet-Labonne (violon), Yves Chalamon (violon), Fabrice Lamarre (alto), Stephen Eliason (violoncelle), Elisabeth Rigollet (piano).
Georges Martin Witkowski (1867-1943) n’est guère connu que des mélomanes lyonnais, qui lui doivent non seulement la Schola qui porte qui porte aujourd’hui son nom, mais aussi leur orchestre. Car l’actuel Orchestre National de Lyon est issu de cette Société des Grands Concerts qu’il fonda en 1905. Elève de Vincent d’Indy, Witkowski est également l’une des plus intéressantes figures de la musique française de la première partie du vingtième siècle, comme en témoignent les deux très beaux concerts donnés le week-end dernier à l’Auditorium.
Le Poème de la maison, vaste composition en cinq parties pour solistes, chœur et orchestre sur des textes – négligeables – du poète local Louis Mercier, pourrait s’intituler tout aussi bien Poème de la nature. Ce « poème lyrique » n’est rien d’autre qu’un hymne à toutes les manifestations de la vie, du feu de la cheminée réchauffant la maison à l’intimité du couple dans l’amour, une vie qui ne se conçoit pas sans la mort, l’hommage aux ancêtres débouchant, dans la dernière partie, sur l’évocation « d’un paradis un peu ressemblant à la terre », d’une inspiration toute chrétienne. Créé moins de trois mois après l’armistice de 1918, Le Poème de la maison pouvait passer pour un appel à la réconciliation et à la paix ; il connut un grand succès.
L’écriture est typiquement française, en particulier par l’art de l’instrumentation et le raffinement des timbres, le recours aux tons entiers ou à la modalité. L’ombre du Debussy de Pelléas ne cherche pas à se cacher dans des passages comme le solo de basse de « la Cheminée ». Mais cela n’enlève rien à l’originalité d’un langage où l’on chercherait en vain des traces de psittacisme musical, notamment dans les enchaînements harmoniques, sans parler de cette grandeur hymnique qui donne une dimension très particulière au lyrisme de Witkowski et s’épanouit dans l’impressionnante conclusion du Poème de la maison.
L’œuvre étant longue (presque une heure et demie) et complexe, avec des subtilités rythmiques exigeant une minutieuse mise au point, on saluera d’autant plus la qualité de l’exécution. A la tête d’un Orchestre national de Lyon en grande forme, le jeune Sébastien Rouland, naguère remarqué lors de la création stéphanoise de Marianne et qui va bientôt diriger la Flûte enchantée à Marseille, ne s’est pas contenté – comme c’est parfois le cas pour les œuvre rares – de dominer les difficultés de la partition, mais a insufflé à sa direction un authentique élan, édifiant une véritable fresque musicale. Magnifiquement préparée par Jacques Berthelon, la Schola Witkowski s’est montrée digne de sa tâche et mériterait d’être mieux connue dans l’hexagone. Les trois solistes, enfin, ont montré que le style français, fondé sur cette déclamation dont le secret semble parfois perdu et sur laquelle Witkowski a lui-même beaucoup travaillé, avait encore d’éminents représentants, à commencer par la superbe Marie-Ange Todorovitch, dont la voix, d’une homogénéité assez rare sur l’ensemble de la tessiture, ne cesse de gagner de nouvelles couleurs.
Le concert du dimanche matin a confirmé l’originalité de Witkowski dans le domaine de la musique de chambre. Son Quintette avec piano faisant suite à celui de son maître d’Indy, on a pu voir, une fois de plus, qu’il n’avait rien d’un épigone, même s’il sacrifie lui aussi à ce principe cyclique hérité de Franck. L’œuvre est à la fois très romantique et très charpentée, la rigueur du travail thématique ne confinant jamais à la raideur, sans doute grâce à une souplesse - harmonique, agogique et rythmique – qui préserve la fluidité de la musique, alors que l’écriture de d’Indy, moins compacte que dans certaines partitions antérieures, reste peut-être plus tendue et plus dramatique. Au delà de leurs mérites individuels, les solistes de l’Orchestre lyonnais ont montré, une fois de plus, leur capacité à former par l’écoute réciproque un ensemble homogène dans un véritable esprit chambriste, réalisant ce qu’il y a de plus difficile dans ce genre d’œuvre : la parfaite fusion entre le piano et les cordes.
Mais que faisaient donc les maisons de disques qui se targuent de défendre le patrimoine musical français ?
Didier van Moere
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