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Barnum

Paris
Palais des congrès
10/27/2003 -  et 4 (Lyon), 5 (Bordeaux), 6 (Castres), 10 (Bruxelles), 12 (Saint-Etienne), 13 (Avignon), 15 (Cannes), 18 (Nancy), 19 (Strasbourg), 20 (Metz), 21 (Reims) et 25 (Compiègne) novembre, 2 décembre (Hambourg), 22 (Lille), 23 (Le Havre) et 24 (Mulhouse) janvier
Antonio Vivaldi : Sonate à deux trompettes en si bémol
Richard Wagner : Lohengrin (prélude)
Tomaso Albinoni : Concerto pour trompette et hautbois en ut
Georg Philip Telemann : Sonate de concert en ré
Giuseppe Tartini : Concerto pour trompette (premier* et troisième** mouvements)
Ibrahim Maalouf : Improvisation***
Wolfgang Amadeus Mozart : Divertimento pour cordes, K. 125 c [138]
Johann Nepomuk Hummel : Concerto pour trompette

Maurice André, Nicolas André, Olivier Bombrun (*), Giuliano Sommerhalder (**), Ibrahim Maalouf (***) (trompette), Béatrice André (hautbois), Orchestre de chambre français


Deux jours après la passionnante finale du concours auquel la Ville de Paris a donné son nom (voir ici), Maurice André entame devant un Palais des congrès pas tout à fait garni une tournée d’adieu, coïncidant avec son soixante-dixième anniversaire, qui l’emmènera en France et en Europe.


La perplexité l’emporte lorsqu’il faut tenter de qualifier la soirée qui est ainsi proposée.


Concert? Pendant tout le temps où le public s’installe, des hauts parleurs diffusent, dans le brouhaha général, Water music de Haendel. Le spectacle est ponctué par les flashes d’une photographe qui mitraille bruyamment les musiciens en se déplaçant sur les côtés du plateau et par les applaudissements qui viennent interrompre les musiciens après chaque mouvement.


«Soirée familiale», ainsi que Maurice André le proclame lui-même? Familiale au sens propre, certainement, puisqu’il se produit en compagnie de son fils Nicolas, également trompettiste, et de sa fille Béatrice, hautboïste, mais aussi au sens d’une causerie qu’il alimente sans cesse de ses anecdotes, blagues et souvenirs, oscillant entre truculence et cabotinage. Les propos prennent manifestement les auditeurs dans le sens du poil («mes enfants me téléphonent deux fois par jour» ou bien «il y a un manque de respect pour les personnes âgées»). Cela dit, si les enfants auront le droit de s’exprimer avec leurs instruments respectifs – père et fils dans une Sonate en si bémol de Vivaldi, frère et sœur dans un Concerto pour hautbois et trompette d’Albinoni – ils n’auront pas voix au chapitre, pas plus que leur mère, pourtant maintes fois invoquée («ma femme a oublié ma veste»). «Si l’humanité était comme la famille de Maurice André», lance-t-il, «ce serait formidable.»


One-man-show, par conséquent, est l’appellation qui conviendrait sans doute le mieux. Maurice André monopolise la parole pour distribuer bons points aux amis présents dans la salle et mauvais points aux autres, tout en révélant des modes de pensée pour le moins étranges. Ainsi, à un jeune collègue qu’il appelle – comme tant d’autres – «mon chéri», il précise immédiatement: «Rassure-toi, je n’en fais pas partie.» Ou bien, plus tard: «Il faudrait moins d’assistés et d’irresponsables.»


Bien sûr, on se trouve face à une légende vivante, face à un homme attendrissant et physiquement affaibli par une récente opération au genou, face à un immense artiste doté d’un métier phénoménal – il le montre encore dans le final hautement virtuose d’une Sonate de concert en ré de Telemann ou dans le phrasé qu’il imprime à l’Andante du Concerto de Hummel – et face à une personnalité exemplaire dans son parcours personnel.


Mais au-delà de l’inévitable émotion et des larmes des adieux, au-delà des vingt trompettistes, tous anciens élèves, qui ouvrent la soirée par une «fanfare des soixante-dix ans de Maurice André», au-delà du gâteau d’anniversaire ou des vingt-trois trompettistes qui entonnent en conclusion la fameuse sonnerie d’Aïda, bissée à l’initiative du maître qui s’est transformé pour l’occasion en chef d’orchestre, on est en droit de s’interroger sur ce que l’on offre, musicalement parlant, au public.


A commencer par l’Orchestre de chambre français, anciennement «Orchestre Antonio Vivaldi»: treize cordes auxquels il va entre autres revenir d’assurer l’accompagnement du Concerto de Hummel (pourtant destiné à un orchestre symphonique de taille normale, comprenant bois, cors et timbales) – passe encore – mais d’interpréter rien moins que… le Prélude de Lohengrin! Outre l’incongruité de cette musique dans une programmation par ailleurs dévolue essentiellement au répertoire baroque, la qualité de cette formation laisse considérablement à désirer. Dans le Divertimento en fa (K. 138) de Mozart, tartin(is)é comme le reste du programme, les faiblesses techniques le disputent à la démission stylistique, le comble étant évidemment atteint dans Wagner, à peine digne d’un kiosque à musique de station thermale et agrémenté de la projection d’irisations bleutées en fond de scène.


Quant au héros de la soirée, personne ne songera à lui reprocher une approche point trop musicologique de son Vivaldi, parfaitement vivant, ou de son Telemann, dont le mouvement lent témoigne d’un romantisme particulièrement appuyé, ni de s’être livré, au cours d’une longue carrière, au jazz (il en donne un trop bref aperçu dans un extrait d’Orfeu negro, évoquant, visiblement ému, la mémoire de Dizzy Gillespie) ou à la variété. Contrairement à ce qu’il laisse entendre, personne ne songera non plus à lui reprocher d’avoir adapté avec autant de brio un redoutable Concerto pour violon de Tartini, surtout lorsqu’il permet à deux des lauréats de «son» concours de s’exprimer avec autant de bonheur: Olivier Bombrun, égal à lui-même dans sa solidité, pour le premier mouvement, Giuliano Sommerhalder, toujours aussi diaboliquement agile, pour le final. Pas plus qu’on ne songera à lui reprocher d’avoir fait fabriquer par Selmer une «trompette orientale» à quatre pistons sur laquelle un autre lauréat de ce concours, Ibrahim Maalouf, livre une improvisation qui met en valeur à la fois sa sonorité et sa sensibilité.


En revanche, et non sans un fort pincement au cœur, on aura trop souvent entendu Maurice André en petite forme. Au point qu’après un canard au beau milieu d’un morceau, il doit reprendre le micro et expliquer que c’est seulement «la deuxième fois en cinquante ans» que cela lui arrive… avant de gronder puis de caresser sa trompette. Qu’importe, puisque le public en redemande.


Alors, décidément, tout cela laisse un goût amer. Car tout, ici, a son prix. «La vente des disques marche bien», relève l’heureux septuagénaire. Tant mieux, car pour acquérir la dernière parution, vendue dans la salle même, il faudra débourser la bagatelle de 28 euros. Et pour le «programme», il en coûtera 10 euros. Les places? Elles démarrent à 35,50 euros pour s’envoler jusqu’à 78 euros. On ne prendra certes pas en défaut la générosité – évidente, spontanée – et l’héritage artistique colossal de Maurice André, mais force est de constater que la pompe à phynance est parfaitement au point.


Les spectateurs, calmes et complices, sont ravis. La soirée aura duré près de trois heures. La caravane peut s’ébranler en toute sérénité pour son grand voyage.



Simon Corley

 

 

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