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Les voix du Trouvère

Paris
Opéra National de Paris Bastille
10/23/2003 -  26*, 29 octobre, 1er, 5, 8, 12, 15 novembre
Giuseppe Verdi : Il Trovatore
Roberto Alagna (Manrico ; sauf les 1er et 8 novembre : Dario Volonté) ; Sondra Radvanovsky (Leonora), Dolora Zajick (Azucena), Martine Mahé (Ines), Zeljco Lucic (Luna), Orlin Anastassov (Ferrando), Jean-Luc Maurette (Ruiz).
Francesca Zambello (mise en scène), Maria Björnson, Adrian Linford (décors), Sue Willmington (costumes), Peter Mumford (lumières).
Orchestre et Choeurs de l'Opéra National de Paris, Maurizio Benini (direction).

Entendre un quatuor vocal digne de ce nom dans Le Trouvère est un plaisir suffisamment rare pour qu’on ne se le laisse pas gâcher par des nuisances inopportunes. Une mise en scène, par exemple. Vous vous souvenez du cuirassé d’Une nuit à l’opéra ? Eh bien, cette fois, vous êtes à l’intérieur. Epoque et lieu : indéterminés La mine des sept nains, une casse de voitures près du périphérique ? On hésite toujours. Ni le costume de Mary Poppins dont on affublé la pauvre Martine Mahé, ni le sosie d’Arielle Dombasle en péripatéticienne pathétique ne nous aident vraiment, il faut dire. Outre la certitude que jamais de la vie on n’acceptera de partager un appartement avec Francesca Zambello, le spectacle laisse surtout la désagréable impression que l’équipe s’est empressée de toucher son chèque avant de partir en courant, tant la direction d’acteurs est absente et les bonnes idées rares – l’excellente scénographie de la scène de la prison en est une. Il y a des théâtres où une imposture du genre de Guillaume Tell eût suffi à disqualifier pour toujours un metteur en scène. Pas l’Opéra Bastille, où personne ne paraît s’émouvoir lorsque Madame Zambello laisse ses projecteurs braqués sur les protagonistes au beau milieu d’une scène de quiproquo nocturne déjà difficile à avaler – à moins que le quatorzième degré vienne une nouvelle fois à la rescousse…
Une mise en scène ratée n’ayant jamais empêché un opéra italien de toucher son but (la petite glande à l’arrière de la tête qui produit des frissons dans le dos), on en veut presque plus au brave Maurizio Benini de sa direction inconsistante et sans contrastes, au tempos souvent trop lents (certains chanteurs ne s’en plaignent pas il est vrai dans les cabalettes), ses uniques mérites étant d’accompagner les solistes avec sérieux et de bien faire sonner un orchestre toujours remarquable. Un peu court pour cette histoire de sang et de fureur…
Heureusement, les voix sont là, l’Opéra de Paris se montrant fidèle à son image actuelle en réunissant une distribution d’un niveau inespéré. Au cas par cas, d’autres options étaient évidemment possibles, et parfois plus excitantes, mais personne ne déchoit. Remplaçant Lado Ataneli, le serbe Zeljco Lucic est un Luna très fruste (intonation chancelante, nuances interdites de séjour), pourtant la voix haute et puissante est bien celle d’un baryton Verdi. Dolora Zajick n’est peut être pas l’Azucena de nos rêves les plus fous (à vrai dire, le hululement qui lui tient lieu de trille rappelle plutôt la proximité d’Halloween), mais le divorce entre un aigu presque sopranisant et un grave vigoureusement poitriné porte indéniablement sur le public, comme l’ensemble de cette prestation à la fois véhémente et honnêtement chantée d’un bout à l’autre – phrasé soigné, nuances pertinentes par rapport au texte. Soulignons le Ferrando à la couleur somptueuse et à la parfaite tenue d’Orlin Anastassof, avant de délirer comme il se doit devant les héros du spectacle. On attendait avec curiosité, mais peu d’inquiétudes, Roberto Alagna dans un rôle qu’il a mûri à la scène comme au disque, et où il se présente en parfaite connaissance de ce qu’il peut y apporter : son timbre toujours rayonnant (et remarquablement homogène sur l’ensemble de la tessiture), la musicalité généreuse de sa ligne, là où tant d’autres se contentent d’éructer, un équilibre rare entre héroïsme et séduction. Toute l’intelligence du chanteur consiste à ne pas forcer ses moyens dans les ensembles où sa partie plonge le grave, à donner aux phrases la juste pulsation sans priver son public de points d’orgues judicieusement choisi (jusqu’au contre-ut de « Di quella pira », préparé avec une extrême concentration, mais délivré avec jubilation), à jouer sur les piani et la voix mixte qui lui viennent plus naturellement ici que dans des rôles plus légers, et qu’il se retrouve du coup l’un des seuls à offrir à cette musique – un quatrième acte bouleversant vient couronner ce qui est peut être le meilleur Manrico des vingt dernières années. On retenait son souffle en revanche devant Sandra Radvanovsky, espérant que l’impression très forte laissée par son Hélène des Vêpres Siciliennes au printemps dernier se confirmerait. Il est trop tôt pour savoir quelle direction prendra finalement cette carrière, mais le sentiment d’avoir affaire à l’un des seuls sopranos dramatiques de sa génération destiné au répertoire italien des années 1830 à 1850 s’impose à nouveau. Le timbre exceptionnel, à la fois lumineux et d’une granulosité très particulière, se déploie avec égalité sur toute la tessiture (même si une certaine fragilité dans les extrêmes contraste avec une projection royale), la vocalisation est prudente mais accomplie, la ligne d’une musicalité remarquable, avec des effets de dynamique envoûtants (« D’amor sul’alli rosee », pourtant pris par Benini dans un tempo sépulcral). Angélisme et force se conjuguent de manière quasi idéale dans cette Léonore qui trouve dans l’italien des horizons expressifs que ne permettait pas le français des Vêpres, et si elle gagnerait d’évidence à travailler avec un authentique metteur en scène, la présence de l’artiste semble riche d’un fort potentiel. Des duos avec Alagna, on ressort chaviré de bonheur ; depuis combien de temps n’avait-on plus ressenti cette ivresse, à l’issue d’une représentation du Trouvère ?


Vincent Agrech







Début de représentation chahuté


Samedi 15 novembre 2003, dernière du Trouvère à Bastille. Devant l’Opéra, la foule des grands soirs. De nombreuses personnes cherchent des places, avec l’espoir de pouvoir entendre Roberto Alagna. A l’intérieur, rien de particulier à signaler. On ne voit aucun panneau annonçant un changement de distribution, la hantise de tout amateur de grande voix. Coup de théâtre à l’extinction des lumières: une employée s’avance sur la scène pour annoncer que le rôle de Manrico sera chanté par Viktor Afanasenko, un ténor russe arrivé d’Autriche le matin même, en remplacement du titulaire, malade. Stupeur dans la salle. Des huées de plus en plus véhémentes se font entendre, avant que le public scande en chœur, pendant plusieurs minutes, «remboursé, remboursé!». Le chef arrive dans la fosse, mais les premières notes sont totalement couvertes par le chahut. Plus que leur déception, les spectateurs ont voulu, semble-t-il, manifester leur colère contre la politique d’information de l’Opéra, qui a attendu le tout dernier moment pour communiquer le changement de distribution. A l’entracte, beaucoup d’entre eux estimaient «avoir été pris en otage». Viktor Afanasenko est arrivé à Paris quelques heures seulement avant le début de la représentation. Il n’a pas eu le temps de répéter, mais a tout de même été en mesure de se fondre dans la mise en scène. Il serait donc injuste de vouloir dresser ici un compte rendu de sa prestation. Il convient néanmoins de signaler que chacune de ses interventions et de ses apparitions au rideau final a été ponctuée d’applaudissements qui saluaient non seulement sa performance (le sauveur du spectacle!) mais aussi ses qualités vocales intrinsèques. Qui sait, peut-être un nouveau nom à retenir.


Claudio Poloni


 

 

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