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Les meilleures choses ont une fin

Prades
Eglise de Villefranche-de-Conflent et Abbaye Saint-Michel de Cuxà
08/13/2003 -  

Eglise de Villefranche-de-Conflent, 18 heures
Leos Janacek : Pohadka
Ludwig van Beethoven : Sonate pour piano et violoncelle n° 5, opus 102 n° 2
César Franck/Jules Delsart : Sonate pour piano et violoncelle

Soo-Kyung Hong (violoncelle), Jens Elvekjaer (piano)


Abbaye Saint-Michel de Cuxà, 21 heures
Franz Schubert : Trio pour piano n° 1, D. 898 (*) – Octuor, D. 803
Michel Lethiec (clarinette), Milan Turkovic (basson), André Cazalet (cor), Gérard Poulet (*), Olivier Charlier, Erika Raum (violon), Bruno Pasquier (alto), Yvan Chiffoleau (*), Arto Noras (violoncelle), Niek de Groot (contrebasse), Jeremy Menuhin (*) (piano)


Pour conclure le Festival Pablo Casals, deux concerts, comme chaque jour (ou presque), bien représentatifs de cette cinquante-deuxième édition, qui aura mêlé renouvellement et tradition: l’esprit nouveau, d’une part, tant par le lieu que par les artistes; les grands classiques de Prades, d’autre part, pour la soirée de clôture à Saint-Michel de Cuxà.


1. Renouvellement


Neuvième village du Conflent (vallée du Têt et ses alentours) à accueillir le concert de dix-huit heures, Villefranche bénéficie de l’une des nouvelles orientations du Festival, visant à renforcer l’implantation géographique d’une manifestation dont Prades a certes fait la renommée mais qui irrigue la vie culturelle et économique de toute une région. Vice-président du Festival et secrétaire de la «Commission Festival Pablo Casals des villes et villages du Conflent», créée cette année et qui regroupe déjà vingt-six communes, Michel Barret anime cette coopération exemplaire: dans des salles de diverse nature (églises romanes à la décoration baroque, prieuré ou même casino), le succès est au rendez-vous, ce dont témoigne entre autres la participation du public local. En outre, neuf autres communes ont été le théâtre des concerts des étudiants de l’Académie internationale de musique.


Il est vrai que la qualité artistique, comme toujours à Prades, n’est en rien bradée au prétexte que ces programmes seraient donnés «hors les murs», à l’image du récital de Soo-Kyung Hong et de Jens Elvekjaer: la première a notamment été lauréate du prix Festival Pablo Casals au cours d’un récent Concours Rostropovitch (Paris), le second met en avant des prix obtenus l’année dernière au Concours international de l’ARD (Munich). Mais peu importe, à vrai dire, il faut avant tout les écouter.


Dans Pohadka (Le Conte) (1910/1923) de Janacek, les interprètes privilégient la fluidité sur la narration, proposant une très belle réalisation sonore, qui manque toutefois de cette verdeur qui est le propre du compositeur tchèque.


Aux attaques franches et aux gestes bien marqués, la Cinquième sonate pour piano et violoncelle (1815) de Beethoven révèle sans doute davantage le pianiste danois: subtil et nerveux, faisant preuve d’un formidable sens du toucher et du timbre, livrant des phrasés aux contours très travaillés, il offre bien plus qu’un accompagnement à la violoncelliste, qui, probablement peu favorisée par l’acoustique, semble en retrait dans son approche plus classique que romantique de cette partition marquant le début de la dernière manière du maître de Bonn. Ceci étant, les musiciens ménagent de beaux instants de poésie, comme ce temps suspendu de la transition entre l’Adagio con molto sentimento d’affetto et l’Allegro final, l’effet consistant à faire suivre un mouvement lent par une fugue libératrice étant d’ailleurs repris quatre années plus tard dans la Trente et unième sonate pour piano.


Adaptée par le virtuose français Jules Delsart (1844-1900), la Sonate pour piano et violon (1886) de Franck constitue un défi pour les violoncellistes (mais il en existe également une version pour flûte...). Techniquement très sûre, d’une expression toujours très contrôlée, ne s’autorisant aucune facilité et laissant rarement la place à l’émotion, Soo-Kyung Hong construit note à note un discours exact et bien construit, s’enflammant quelque peu au fur et à mesure des mouvements. Quant à Jens Elvekjaer, il suffit d’entendre la manière dont il parvient, dès les premiers accords de l’Allegro ben moderato initial, à installer une atmosphère, pour souhaiter vivement le découvrir plus amplement dès que possible en récital ou en concerto. Le récital s’achève par un bis fort bien chanté, la deuxième (une délicate berceuse marquée Langsam) des Cinq pièces de caractère populaire (1849) de Schumann.


2. Tradition


Cent minutes de Schubert, le plaisir de faire de la musique ensemble, le respect des œuvres, la magie d’une abbaye: l’ultime concert ne pouvait être qu’emblématique de l’esprit de Prades, et il le fut.


A défaut du Notturno (1827), qui était au programme du concert annulé le 29 juillet dernier (voir notre entretien avec Michel Lethiec ici), c’est le Premier trio avec piano (et non le second, comme annoncé dans le programme) qui ouvre cette soirée. Jeremy Menuhin, malgré d’épisodiques tentations de faire joli, Gérard Poulet, irréprochable, une fois de plus, et Yvan Chiffoleau, bien qu’inhabituellement exubérant, s’effacent complètement devant Schubert. La musique coule de source, paisiblement, sans nuages, pour un voyage dans de riantes contrées.


La fine fleur de l’édition 2003 était bien entendu réunie pour le bouquet final: Milan Turkovic, André Cazalet, Olivier Charlier, Erika Raum, Bruno Pasquier, Arto Noras, Niek de Groot et, bien sûr, (Saint-)Michel Lethiec (de Cuxà). Ce sont quasiment les mêmes qui avaient donné, deux jours plus tôt, le Septuor de Beethoven: dans son Octuor (1824), Schubert s’est précisément inspiré de cette œuvre de son aîné, insérant par ailleurs un second violon dans la formation. Mais le calque paraît plus formel qu’esthétique: tant par son ampleur (près d’une heure) que par son climat, pas exclusivement de caractère divertissant, ou par les introductions lentes de ses deux mouvements extrêmes, cet Octuor s’inscrit davantage dans la lignée des grandes sérénades de Mozart, voire anticipe sur les sérénades de Brahms. Si le premier violon et la clarinette s’y voient confier un rôle prépondérant, les autres instruments ne sont nullement relégués au second plan, l’Andante à variations permettant même à chacun de se mettre en valeur. L’interprétation est à la hauteur de la richesse de ce monument: dimension symphonique et alliages de timbres des mouvements extrêmes, élan bucolique de l’Allegro vivace, grâce de l’Andante ou du Trio du Menuet, et, surtout, , dans l’Adagio et le Menuetto, ces moments uniques que procure la musique de chambre et ce qui en fait le prix, c’est-à-dire l’écoute et le dialogue.




Entretien avec Michel Lethiec


Fidèle à l’esprit de son illustre fondateur, le Festival Pablo Casals poursuit avec bonheur son expansion: vingt-neuf concerts et cinq conférences entre le 26 juillet et le 13 août, quinze mille spectateurs, dix-neuf communes accueillant des manifestations, des dizaines d’artistes prestigieux qui restent plusieurs jours pour se retrouver ensemble, jouer et enseigner, une Académie rassemblant cent trente étudiants venus de seize pays, un mini-festival hors les murs (Prades aux Champs-Elysées)... on craint d’en oublier.


On comprend donc aisément, en cette matinée radieuse sur la petite sous-préfecture des Pyrénées-Orientales au pied du massif du Canigou, que Michel Lethiec, directeur musical du Festival depuis une vingtaine d’années déjà, soit un musicien comblé et un homme occupé, à moins que ce ne soit le contraire. Après un concert au cours duquel il a interprété deux œuvres de grande dimension (voir ici), la soirée du samedi s’est achevée à deux heures du matin, pour enchaîner, dès neuf heures ce dimanche, sur une répétition pour le concert du lundi soir. Et c’est avant de présenter une rencontre publique avec Krzystof Penderecki, et dans l’attente d’un autre concert le soir même (voir ici), qu’il se prête, affable et volubile, au jeu des questions et des réponses pour ConcertoNet.


Difficile de ne pas revenir d’abord sur les conditions dans lesquelles le concert du 29 juillet (des trios de Beethoven, Schubert et Brahms par Jean-Philippe Collard, Hagai Shaham et Arto Noras) fut annulé, suite à une intervention d’un groupe d’intermittents du spectacle. Dans un festival qui recourt exclusivement... à des bénévoles, Lethiec ne met pas d’huile sur le feu: «En somme, ils ont fait un coup de force. Ils se sont assis devant la porte, mais le public est entré par d’autres portes. Les intermittents ont voté dans l’enceinte de l’abbaye. On pensait presque que le concert allait avoir lieu, car il y avait beaucoup de gens qui se rendaient compte que ce n’était peut-être pas la meilleure manière d’agir, mais ils ont voté.» Dans ce lieu marqué plus que tout autre par la non-violence – que l’on songe aux exécutions de résistants qui y prirent place ou à la figure de Pablo Casals – Lethiec est parvenu à éviter tout débordement, car il n’était évidemment pas question de faire appel aux forces de l’ordre pour évacuer les manifestants. «Finalement, il y a eu une dizaine de personnes qui ont un petit peu sifflé, mais on les comprend tout à fait, car il en y a qui viennent de très loin pour assister aux concerts.»


Mais le Festival, qui constitue sans doute un modèle pour la place qu’il réserve aux musiciens, ne pouvait en rester là: «Nous avons proposé aux intermittents de venir rencontrer les étudiants de l’Académie et de discuter avec eux, ce qui a permis de comparer avec la situation dans les autres pays. Enfin, une réunion publique se tiendra mardi matin à Prades, non pas une rencontre sur la seule question des intermittents, mais sur la culture en général. Car pour ce qui est de l’art, les problèmes sont terribles: maintenant, conseiller à un étudiant de faire carrière dans la musique, c’est une responsabilité, car partout, les moyens font défaut et c’est une logique purement financière qui s’impose. Tout cela n’a plus rien à voir avec le XVIIIe ou le XIXe siècle.»


Michel Lethiec évoque ensuite ses premiers souvenirs de Prades: «On voyageait beaucoup moins, il y avait moins de disques, mais il y avait la radio quand même et j’écoutais les retransmissions des concerts. Pour moi, c’était comme Bayreuth ou Salzbourg.» Ensuite, ce fut le contact avec le Festival proprement dit: «Mon premier concert ici, c’était avec l’Académie, il y avait donc mon professeur, qui était aussi celui de ma femme.» Juste retour des choses, Lethiec entend développer cette Académie estivale, notamment sous la houlette de Hatto Beyerle, de telle sorte qu’elle puisse prolonger son activité à d’autres périodes de l’année.


De cette édition 2003, marquant le trentième anniversaire de la disparition de Casals, qui rend donc hommage aux grands classiques de Prades (Bach, Mozart, Beethoven, Schubert, Brahms) mais qui fait aussi la part belle aux correspondances européennes, avec Vienne, Cracovie, Saint-Pétersbourg, Florence ou Venise («le musicien est un voyageur, même Casals, pourtant à l’époque des paquebots...»), il retient l’arrivée de deux nouveaux «pensionnaires», le flûtiste Jacques Zoon (qui fut soliste à Amsterdam, à l’Orchestre de chambre d’Europe et à Boston) et la jeune violoniste canadienne Erika Raum, qui a pris in extremis la place de Chee-Yun. Dans une position résolument œcuménique et, pour tout dire, réjouissante à l’égard des chapelles de la création contemporaine, il souligne également «le fait qu’on peut ouvrir sur la musique d’aujourd’hui, toutes tendances confondues: Kazuko Narita, compositeur en résidence, avec à la fois l’aspect occidental et oriental, ou bien le côté post-boulezien de Suzanne Giraud (*), mais aussi Penderecki (**), qui a été très bien accueilli par le public. L’année dernière, on avait choisi l’extraordinaire Messagesquisse de Boulez, dont le succès a été tel qu’il a fallu le reprendre.»


Mais il est déjà temps de penser au millésime 2004, qui s’intitulera «Bienvenue en Europe» et proposera un tour d’horizon destiné à saluer l’arrivée de nouveaux pays dans l’Union européenne, notamment les Etats baltes, dont la musique, au-delà de la figure omniprésente et quelque peu réductrice d’Arvo Pärt, recèle effectivement d’immenses trésors.


Le site du Festival Pablo Casals:
http://www.prades-festival-casals.com/index.php


(*) Michel Lethiec a créé, en compagnie d’Arto Noras, ses Duos pour Prades (voir ici).
(**) Dont le Sextuor a été donné samedi 9 août (voir ici).



Simon Corley

 

 

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