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Une grande soirée de piano

Paris
Théâtre des Bouffes du Nord
05/12/2003 -  

Claude Debussy : Cinq préludes
Franck Krawczyk : Quasi una sonata
Johannes Brahms : Trois Klavierstücke (extraits des opus 76 et 118)
Alban Berg : Sonate, opus 1
Franz Schubert : Sonate pour piano en la majeur,
D. 959



Frank Braley (piano)

Musicien exigeant autant avec lui-même qu’avec son public, Frank Braley proposait, devant un Théâtre des Bouffes du Nord hélas trop peu garni, un programme d’une ambition exemplaire.


Malgré quelques timides tentatives d’une petite partie de l’auditoire, la première partie de ce récital fut donnée sans interruption, commençant avec cinq des Préludes de Debussy. Les Danseuses de Delphes s’avancent d’abord, idéalement nonchalantes et détachées (mais avec une légère tendance à un excès de pédale). Dans La Sérénade interrompue, Braley conjugue un farouche engagement avec une volonté physique de modeler le son, s’exprimant dans ce vibrato imaginaire qui anime parfois l’extrémité de ses doigts sur la touche ou dans cette manière de faire mine de capturer avec les mains la résonance de l’instrument, une fois celles-ci levées du clavier. Sans alanguissement ni complaisance, Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir poursuivent les recherches sur les sonorités. Dans Les Collines d’Anacapri, la superbe variété des touchers et des attaques ne constitue jamais un prétexte pour mettre en avant des prouesses techniques. Pour refermer ce florilège debussyste, Des pas sur la neige, d’une impressionnante ascèse, semble véritablement suspendre le temps.


Quasi una sonata, commande du Festival d’automne à Franck Krawczyk, a été créée en 1996 par Claude Helffer, qui fut son professeur d’analyse. Elève d’Amy et de Manoury, né la même année que Braley, le compositeur français trouve en lui un interprète d’élection: se référant explicitement au passé – comme en témoigne son titre, sorte de miroir des deux sonates Quasi una fantasia de Beethoven – en même temps que résolument contemporaine dans son langage, cette brève partition (huit minutes), minérale et incantatoire, tendue et lancinante, alterne, dans une dialectique éminemment beethovénienne, oppositions de registres extrêmes et grands gestes pianistiques.


Les trois pièces pour piano de Brahms qui suivent ne rompent pas le charme, bien au contraire: droit et véhément, mais pudique, d’une expression retenue, le Capriccio en fa dièse mineur (opus 76 n° 1) ne verse jamais dans le sentimental; dans le Capriccio en si mineur (opus 76 n° 2), Braley met en valeur un humour pince-sans-rire et, de façon assez inattendue, mahlérien; dans l’Intermezzo en mi bémol mineur (point culminant et conclusion de l’opus 118), c’est la lisibilité d’une trame dont la complexité contrapuntique est pourtant réputée qui frappe.


Intelligemment enchaînée à cette méditation brahmsienne (un Dies irae traversé par une énergie surhumaine) qui ne la précède d’ailleurs que de quelques années, la Sonate de Berg – à la fois retour sur le passé et regard en avant, à l’image de l’œuvre de Krawczyk, au demeurant tout aussi ramassée – condense tout ce qui, précédemment, dans le jeu du pianiste français, a suscité l’admiration: maîtrise, puissance, hauteur de vues, clarté quasi analytique et proportionnalité des moyens à l’effet recherché.


A l’issue de ces trois quarts d’heure de musique d’une densité écrasante, une pause était bienvenue avant de passer à la seconde partie. Mieux que quiconque, Alain Planès, l’un des héros d’un récent marathon consacré à ce compositeur (voir ici), venu en spectateur, était à même apprécier l’interprétation de la Sonate en la majeur (D. 959) de Schubert. Frank Braley se trouvait lui-même en terrain de connaissance, ayant enregistré cette sonate pour Harmonia mundi voici près de neuf ans.


Si elle n’est pas aussi extérieurement virtuose que celle de Giovanni Bellucci au cours du marathon susmentionné, l’approche de Braley – vigoureuse, contrastée, fantasque, ludique, théâtrale – ne concède rien au cliché qui a trop longtemps confiné Schubert dans un rôle de tendre et doux rêveur. Les trois mouvements vifs pâtissent d’une légère tendance à retarder telle ou telle attaque, telle ou telle modulation, comme pour mieux souligner le texte, mais au prix d’une certaine affectation, que l’on décèle également dans la longueur littéralement démesurée de certains silences. En revanche, le caractère rhapsodique et fantastique de l’Andantino, pris dans un tempo relativement allant, ressort de façon particulièrement éclatante. L’ensemble est parfaitement réalisé – offrant maint épisode admirable voire spectaculaire – et donne l’impression que chaque note a été soigneusement pensée, sans pour autant laisser planer le moindre soupçon de raideur. Dans le même esprit, c’est le Moment musical en fa mineur (troisième de l’opus 94, D. 780) qui conclut, en guise de bis, une grande soirée de piano.



Simon Corley

 

 

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