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Ariettes oubliées

Berlin
Russisches Haus
04/25/2003 -  
Mélodies et Romances de Glinka, Tchaikovski, Fomin, Abbas, Feldman, Charito.
Valentin Gerassimov (Baryton), Yuri Sibiriakov (Piano).

Il existe encore des endroits, à Berlin-Est, que n'a pas encore rejoints la vague de réhabilitations immobilières continuant sans interruption depuis 1989. Tel ce sympathique salon de musique du sixième étage de la Maison Citoyenne Russe pour les Sciences et la Culture (anciennement Maison de l'Amitié entre les Peuples). Murs boisés en formica, épaisses moquettes aux dessins vaguement constructivistes, portes et fond de scène miroités façon pub pour Monsieur de Fursac, chauffeuses en textile polysynthétique, banquettes métalliques agrémentées de coussinets en skaï noir, la petite salle ne semble pas avoir changé depuis 1975. Et l'entrée des interprètes - costume sombre, lunettes fumées, attaché case avec initiales incrustées et serrure à clapet parallèle - ne démentira pas cette première impression générale, et assez dépaysante, d'être venu assister à un séminaire d'entreprise pour managers giscardiens.

''Artiste méritant de la Russie'', Valentin Gerassimov choisit, pour des raisons commémoratives peu évidentes, de modifier un très prometteur programme de romances en interprétant en première partie de concert quelques mélodies plus opératiques de Glinka et Tchaikovski. Ce choix met certes en valeur son baryton central - et très bien conservé - dans les pièces de bravoure (Sérénade de Don Juan, Je vous aimais...), mais s'avère un peu moins judicieux dans les ballades (Rien qu'une fois), où parfois sa voix dérape aussi dangereusement que de manière inattendue, telle un car de ramassage scolaire sur une route verglacée de la Haute-Volga. De plus, le roulis permanent qui anime son assez haute stature s'accentue considérablement dans les morceaux qui balancent, et cette incommodité visuelle ne laisse pas de distraire durablement le spectateur.

Après un court entracte, au cours duquel son accompagnateur Yuri Siribiakov nous gratifia de quelques Préludes de Rachmaninov un peu brouillons (on sent qu'il n'avait pas beaucoup travaillé), mais toujours bien agréables à écouter, Gerassimov revint nous interpréter les fameuses Romances tant attendues. Romances dont il faut tout de même dire qu'elles n'ont pas grand-chose de russe - à la différence des Volkslieder allemands qui puisent eux dans un terroir complètement idiomatique, et qu'elles ressortissent plutôt à une sorte de grand style international, assez francisant finalement. Ceci, bien sûr, n'est pas très étonnant si l'on se souvient que le fondateur du genre fut Tartini avec son fameux Plaisir d'amour. Dans ce répertoire hybride, assez délicat à bien chanter puisqu'il se situe toujours aux lisières de la variété, l'interprétation de Valentin Gerassimov fit merveille, mêlant ce qu'il faut d'humour, de pathétique, et de sérieux vocal. Les points d'orgue furent sans aucun doute les ineffables Matin brumeux et Longtemps déjà dans le jardin les chrysanthèmes se sont fanés, mélodies ultra-célèbres en Russie et aussi bien connues sous nos longitudes des amateurs de cinéma brejnévien, dont elles ponctuèrent maintes bandes-son.

L'interprétation des inévitables Yeux noirs fut en revanche un peu décevante, trop rapide, trop en force, et conclua prématurément un concert qui nous laissera sur notre faim. En effet, seule la moitié du programme annoncé fut chantée, et l'on aurait vraiment aimé savoir qui se cachait derrière Obutchov, Melaschkine, ou encore Sheremetiev (ce dernier a donné son nom à l'aéroport de Moscou). On se consola en achetant à la sortie, pour 3 Euro, une belle compilation de la sublime Alla Bayanova. Aujourd'hui largement septuagénaire, cette dernière chante toujours et accompagnera par exemple Marc Almond sur son prochain disque, Heart on snow, consacré lui aussi à ce type de répertoire et dont nous attendons la sortie avec beaucoup d'impatience.



Thomas Simon

 

 

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