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Impératrice Paris Opéra Bastille 12/09/2002 - et 12, 15, 18, 21, 26 décembre 2002, 5, 8 janvier 2003 Richard Strauss : La Femme sans ombre Thomas Moser (L’Empereur), Susan Anthony (L’Impératrice), Reinhild Runkel (La Nourrice), Jean-Philippe Lafont (Barak), Luana DeVol (Sa Femme), Bjarni Thor Kristinsson (Le Messager), Karen Wierzba (Un Gardien, Le Faucon), Johannes Chum (L’Apparition du Jeune homme) Orchestre et Chœurs de l’Opéra National de Paris, Ulf Schirmer (direction) Robert Wilson (mise en scène)
On l’avait découvert en Elsa (Lohengrin) en 1996, rôle qu’elle reprit en 1999, elle incarnait récemment une autre héroïne wagnérienne, Senta (Le Vaisseau fantôme), cette fois Impératrice (avec et sans majuscule !), Susan Anthony confirme tout le bien que l’on pense d’elle et s’impose comme l’une des grandes sopranos dramatiques de notre temps. Dotée d’un timbre lumineux et aérien, elle chante Donna Anna (Don Giovanni) ou Tatiana (Eugène Onéguine), ses moyens vocaux lui permettent également d’exceller dans des rôles plus denses comme Léonore ou Salomé, outre ceux déjà cités. Pour prendre des comparaisons historiques, ce n’est pas le format vocal d’une Nilsson, qui écrase tout sur son passage, mais plutôt celui d’une Martha Mödl ou d’une Frida Leider, qui savent garder une fragilité, une tendresse, une humanité. On l’adore. La distribution n’appelle d’ailleurs que des éloges avec des chanteurs exceptionnels comme Thomas Moser (L’Empereur) et Jean-Philippe Lafont (Barak), biens connus à l’Opéra de Paris et que l’on a toujours plaisir à revoir, ou bons comme Reinhild Runkel ou Luana DeVol (au timbre un peu acide quand même). Impeccable, comme d’habitude, l’orchestre assume également parfaitement son rôle dans cet opéra qui lui accorde une place si importante et l’on retiendra le nom de Ulf Schirmer, déjà auteur d’une superbe prestation lors de la reprise de Lulu en 1999.
Souffrante, Jane Henschel se fait remplacer, dans le rôle de la Nourrice, par Reinhild Hunkel mais uniquement pour la voix, elle reste sur le plateau a effectuer les poses et les déplacements pendant que son double chante sur le bord de la scène. Le travail de Robert Wilson, qui vise à désincarner la voix, à ôter le naturel de l’expression par une éducation du corps et des gestes, trouve ici, par ce fait anecdotique, un accomplissement troublant et l’on se demande si, au fond de lui même, le metteur en scène américain ne souhaiterait pas des acteurs muets sur scène et des voix venant d’on ne sait où dans la salle... Une expérience à tenter, peut être. Ceci dit, la désincarnation et la délocalisation de la voix par... les hauts parleurs (pour La Voix du Faucon, Une Voix d’en haut, les voix d’enfants) se révèle, elle, franchement désagréable et extrêmement gênante, car on sort brutalement de l’art vivant pour tomber dans l’artifice et la technique. Egal à lui même, mais à un niveau que se disputent les lyricomanes (du «génial» au «nul», comme l’a montré la salle pendant les saluts), Robert Wilson nous ressert sa géométrie, ses couleurs, son minimalisme, et ses poses «japonisantes», son théâtre qui oblige l’œil à discerner comme la musique force l’oreille à se tendre. On reste moins convaincu que par sa Madame Butterfly et Pelléas et Mélisande, qui constituent des réussites absolues, mais on apprécie, d’une façon générale, ce travail qui n’empiète jamais sur l’œuvre, refuse l’esbroufe et les relectures douteuse, et laisse s’exprimer la musique.
Philippe Herlin
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