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Métal Hurlant

Toulouse
Théâtre du Capitole
10/03/2002 -  6, 9, 13* & 16 Octobre 2002

Richard Wagner : Siegfried, deuxième Journée de L'Anneau du Niebelung


Alan Woodrow (Siegfried), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime), Robert Hale (Wotan, alias Le Voyageur), Peter Sidhom (Alberich), Gudjon Oskarsson (Fafner), Qiu Lin Zhang (Erda), Elena Poesina (l'Oiseau de la Forêt), Janice Baird (Brünnhilde)
Vincenzo Cheli (éclairages), Franca Squarciapino (costumes), Ezio Frigerio (décors), Nicolas Joël (mise en scène)
Orchestre National du Capitole de Toulouse, Pinchas Steinberg (direction)


Le Ring capitolin de Steinberg et Joël poursuit son chemin de petit bonhomme. C’est un fort bon chemin. D’aucuns pourraient peut-être lui reprocher son espacement dans le temps (le premier volet, Die Walküre, si nous sommes bien renseignés, remonte à 1998-1999) ! Mais se rend-on compte du travail sous-jacent, des délais ? Faut-il rappeler que bien des capitales européeenes attendent fort longtemps - parfois des décennies, n’est-ce pas Paris - l’émergence d’une nouvelle production en continu de la Tétralogie ?! Il convient d’applaudir d’autant plus la toulousaine initiative, que ce parangon de l’Art Total selon Wagner, Götterdämmerung, est programmé pour la fin de la présente saison. C’est, de la part du Capitole, un investissement exceptionnel - qui s’ajoute à d’autres - et qu’il convient de louer comme il sied. Ces préambules étant posés, et à bon droit, qu’il soit permis de s’interroger d’emblée sur l’inégalité d’une mise en scène (ou plutôt, d’une absence de mise en scène) qui provoque la circonspection.


Une nouvelle fois, posons clairement la problématique. Trop souvent, on amalgame mise en scène, éclairages, décors et costumes sous le même vocable. C’est d’autant plus fâcheux, que présentement - une nouvelle fois sous la signature de Joël - nous avons eu une dramaturgie platounette, et proche du néant théâtral ; pourtant nantie d’éclairages et de décors (surtout) transcendants, dont un simple miroitement dit cent fois plus que de simiesques contorsions téléguidées des chanteurs-acteurs. Nicolas Joël met en scène Werther comme Siegfried, Roméo et Juliette ainsi que Mozart. Ferait-il la différence entre Monteverdi et Messiaen ? On se le demande, tout sent tellement le réchauffé.


La parité des splendides décors du III du présent Siegfried (des « Chevaux de Marly » bleuâtres évoquant aussi le Jardin de la Reine à Versailles - merci de ne pas rire) avec la Walküre du cru n’est pas une transition sémiologique ; mais bien plutôt une panne d’inspiration. Ils jurent totalement (et nous semble-t-il inutilement) avec l’épure métallique et industrielle du II - eh oui ! Et tuent dans l’œuf le manichéen, mais nécessaire, combat de Siegfried-Archange Saint Michel contre le Dragon. Statique, empoté comme un puceau demandant un premier baiser, se ruant bêtement sur sa « victime » au baisser de rideau, le Siegfried du III, à Toulouse, est un crétin fini.


Prière de relire dans les détails la douloureuse gésine de ce chef d’œuvre d’un genre inédit ! Wagner rêve d’un Innocent (il en existe un dans Boris Godounov, pourquoi pas ici ?), pas d’un impuissant. C’est même - voir Romain Rolland, en effet, dans l’admirable programme - l’une des rares œuvres « joyeuses » du thuriféraire du « Saint Art Allemand » ; hors les Meistersinger bien sûr… On aimerait que le désir profondément sexuel de Siegfried envers la bien-aimée lointaine, que chantent tant musique et livret, ressorte mieux de cette n-ième initiation anatomique pour collégiens, avec protagonistes statiques et livrés à eux-mêmes.


A la décharge du metteur en scène, reconnaissons que le désir physique, traduit en musique par le Gourou de Wahnfried - a tendance à s’étirer en longueur. On lui préférera toujours cent mille fois le « Pursue thy conquest, Love » du purcéllien Dido and Aeneas ; qui dit TOUT avec, au moins, des moyens mille fois plus ténus : l’essence de l’Art. Mais bon, l’hyperbole wagnérienne acceptée, voyons le meilleur qu’on peut en extraire. Pas dans le III, on nous aura compris. Alors, dans le I ? Ridicule : même le faux ours de Cirque Bouglione ne nous est pas épargné. Ah, mais attention : tous les éléments de la Forge - immuables depuis 1876 - sont là, et bien là. Même le baril d’eau froide pour refroidissement de l’acier chauffé à blanc !


Cent vingt-six ans après, on croit rêver. Les mimiques de Mime sont immuables - pourquoi cette kippa d’artisan Juif, s’il vous plaît, Monsieur Joël ? L’enclume est tellement véridique que l’on en oublie que ce corps de métier, en notre temps de locuteur et spectateur, appartient comme le maréchal ferrant aux (bons) souvenirs des livres d’histoire. Mais peut-être ne doit-on pas dépoussiérer Wagner - et Dieu sait qu’il y en a, de la limaille en suspension, parmi les sempiternels feux de Bengale ; un vrai cauchemar pour non-fumeur ?!


Dans ce cas, c’est le II - une des plus grandes réussites qu’il nous ait été donné de voir sur scène, tous compositeurs confondus - qui détonne furieusement sur la poix et l’amidon de ses deux vantaux. Au cœur du triptyque en effet, entre deux tableaux préraphaélites de circonstance et de remplissage, se terre une Scène de la Forêt et du Dragon d’exception. La Production a bien fait de choisir pour Affiche l’une de ses images fortes : l’hydre Fafner, péril industriel, est figurée par des membres distordus de hauts fourneaux à rivets, de couleur rouille, menaçantes tel un anti-Alien - non celui qui vient au monde de force ; mais un sien cousin, sorte de Goya à la Zola... Saturne dévorant ses Enfants.


Cela est tellement cruel et beau, qu’on en oublie les niaiseries ci-dessus évoquées. L’humour n’en est pas absent : ainsi, lorsque Mime vient vérifier, en bon poltron, la mort de Fafner, avec un… stéthoscope ! Merci aussi à Nicolas Joël de jouer avec habileté sur la juxtaposition des toiles peintes (ici, la Forêt, romantique genre… Sanquirico, mais oui) et de l’expressionnisme très science-fiction. En provenance directe de Das Rheingold, Wotan-Der Wanderer est une sorte de clown inquisiteur ; dont le chapeau de circonstance style Hotter (voire Bockelmann !) est, dans ce cas, bien en situation. Le meilleur est pour Alberich, ce qui permet de donner par la grâce de ce seul Acte réussi une véritable Lecture du myhte.


Ledit Nain, dans cette production, paraît - bonne idée - pris au pied de la lettre. Point de victoire finale du Rhin annoncée, point de désespérance du Dieu des Dieux préparant en la précontemplant avec masochisme sa chute à venir, non : Alberich monte la garde dans une poubelle plastique pour collectivités, au milieu d’une décharge. Qui est simplement celle du haut fourneau « fafnérien », et en fait celle qui guette tous les héros. Si ce n’est au Fleuve, à qui reviendra l’Anneau, somme toute ? A Siegfried, qui mourra comme on sait, aux Géants cupides qui l’ont irrémédiablement perdu, aux Nains teigneux et intransigeants ; semble-t-il condamnés comme ces derniers par l’Histoire ?


Et pourquoi pas en retour - piste que nous proposons - aux Dieux et à Wotan, débarrassés de ces interminables intermédiaires, adversaires et adventices ?! Attendons Götterdämmerung pour y voir plus clair (si l’on peut dire) dans cette approche d’autant plus captivante que - on l’aura assimilé - les actes impairs sont totalement décourageants. Cheli, Squarciapino et Frigerio, une fois de plus, se surpassent. Le bleu rémanent dont ils usent pour le Rocher de Brünnhilde à Chevaux de Marly est de ceux qu’on n’oublie jamais : magnétique. Dans cette mer qui semble remonter le temps archéologique, Siegfried-Allan Woodrow réussit à contrer les images d’Épinal qui le guettent.


Très bon acteur, et rompu (en ayant commencé par Pedrillo !) à l’émission en force, mais pathétique et ingénue voulue par Wagner ; il assure cette écrasante partie sans coup férir (fût-il de Notung). De « Scène de la Forge » pareille, on n’a musicalement pas souvent d’équivalent. Les forte de Windgassen vous paraissaient peut-être plus assurés ? Oui, mais inexpressifs, durs comme l’Épée, en somme. En fait, seul Plácido Domingo aujourd’hui, dans ce répertoire « Heldentenor », et bien plus que Vickers autrefois - selon nous - a su donner et chair, et métal, à cette Musique sans précédent (ni successeur).


Pinchas Steinberg, un coutumier de Wagner dans le grand Théâtre Occitan entre autres, aurait pu une nouvelle fois, avec la merveilleuse phalange locale, commettre un sans-faute. En effet, aidé par une distribution presque totalement de rêve (outre Woodrow, notons Ablinger-Sperrhacke en Mime, Hale, Oskarsson, Qiu Lin Zhang tous épatants ; et un Alberich hallucinant, d’anthologie, en la personne de Peter Sidhom !), il fait rêver de même. Nous sommes tous des petits Siegdried entendant l’Oiseau, non sans avoir dégusté, avec la perversité de l’enfance, ce sang immémorial - goûteux comme une confiture. Ce que le Maestro tire de ses cordes en clefs de fa - et en particulier les contrebasses - dépasse l’entendement (c’est bien le mot !). Les vents, parmi lesquels les cors très sollicités comme chacun sait dans Siegfried, méritent d’entrer tout droit au Walhalla.


Moins crépitante que celle de Solti, pour ne parler que d’une version discographique d’excellence désormais trouvable sans trop de débours - la Forge de Steinberg apparaît bien plutôt comme un Fantasme que comme une Description. Cela sera dénoué, comme en un paroxysme, lors de la métaphore de la défloration, lors du réveil de la Guerrière et du duo fluvial qui s’ensuit : rendre à ce point Wagner érotique relève du miracle ! Eh… mais il y a un duo, donc. Là, tout se gâte à nouveau. Janice Baird fut (paraît-il) chanteuse de l’année en 2000 auprès de la Revue Opernwelt. Elle a dû se lever du pied gauche, alors, en ce 13 Octobre 2002.


Sifflante, stridente, aux aigus métalliques hurlés comme dans un théâtre de trois mille places (!) ; elle dénote une forme athlétique, complètement absurde et à contresens. Et ce, dans cette scène si intime, qu’elle inspirera à on auteur une paraphrase, nommée Siegfried-Idyll, en l’honneur de l’enfant à lui donné par Cosima Liszt. De tout cela, et fort peu contrôlée par le chef disons-le, la Walkyrie n’a cure : battante elle est née, et amoureuse ne saurait être qu’amazone. Ses cris de bête forcent le pourtant valeureux Steinberg à monter progressivement en force - grave erreur -, à tenter de la couvrir - grand mérite - ; enfin, à terminer par un tapage de parc d’attraction. Effet garanti, substance évanouie. Les scories si prégnantes des aciéries vaincues - en apprarence - par les Éléments ont laissé la place à du métal hurlant, au propre comme au figuré… Dommage. A cela près, Toulouse tenait l’événement de son début d’automne.



Jacques Duffourg

 

 

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