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Une opérette au rire tranchant

Lausanne
Opéra
12/21/2025 -  et 22, 26*, 28, 30, 31 décembre 2025
Jacques Offenbach : Barbe‑Bleue
Florian Laconi (Barbe-Bleue), Jérémy Duffau (Prince Saphir), Jennifer Courcier (Fleurette, Hermia), Héloïse Mas (Boulotte), Christophe Gay (Popolani), Thibault de Damas (Comte Oscar), Christophe Mortagne (Roi Bobèche), Julie Pasturaud (Reine Clémentine), Aurélien Reymond-Moret (Alvarez), Naïma Wanshe (Héloïse), Léa Sirera (Eléonore), Lauriane Paillet (Isaure), Eudoxie Mottironi (Rosalinde), Solène Nancy (Blanche)
Chœur de l’Opéra de Lausanne, Guillaume Rault (préparation), Sinfonietta de Lausanne, Alexandra Cravero (direction musicale)
Laurent Pelly (mise en scène, costumes), Luc Birraux (assistant à la mise en scène), Chantal Thomas (décors), Joël Adam (lumières), Agathe Mélinand (adaptation des dialogues), Jean-Jacques Delmotte (collaboration aux costumes)


(© Carole Parodi - OPL)


Pour les fêtes de fin d’année, l’Opéra de Lausanne a eu l’excellente idée de programmer une opérette relativement peu connue d’Offenbach, Barbe‑Bleue, dans la production totalement hilarante et déjantée de Laurent Pelly, étrennée à Lyon en juin 2019. Créé en 1866 au Théâtre des Variétés, Barbe‑Bleue est un opéra‑bouffe écrit sur un livret de Meilhac et Halévy. L’œuvre détourne le conte sombre et sanglant de Perrault pour en faire une satire sociale et politique féroce, moquant la cour de Napoléon III et les travers de la noblesse. « Je suis Barbe‑Bleue, ô gué, jamais veuf ne fut plus gai » est le refrain le plus connu de l’ouvrage, dans lequel le tyran est transformé en un « veuf joyeux » ridicule au sein d’une cour royale fantoche. Le prince Barbe‑Bleue, ayant déjà enterré cinq épouses, cherche sa sixième victime. Lors d’un tirage au sort organisé dans un village, la turbulente et robuste paysanne Boulotte gagne le droit de l’épouser. Parallèlement, on découvre que la fleuriste Fleurette est en réalité la princesse Hermia, fille du roi Bobèche. Barbe‑Bleue se lasse vite de Boulotte et s’éprend de la princesse. Pour pouvoir l’épouser, il ordonne à son alchimiste, Popolani, d’éliminer Boulotte comme les précédentes. Cependant, Popolani, pris de remords, ne tue pas les femmes : il les endort avec un narcotique et les cache. Barbe‑Bleue croit s’être débarrassé de Boulotte, mais celle‑ci se réveille dans un souterrain avec les cinq autres épouses. Sous l’impulsion de Boulotte, les six femmes révoltées font irruption à la cour du roi Bobèche, déguisées en bohémiennes. Elles confondent le prince et l’opéra se termine dans l’allégresse générale : Barbe‑Bleue est pardonné et chaque « morte » retrouve un mari parmi les courtisans.


Fidèle à son style, Laurent Pelly propose une lecture tout à la fois drôle et grinçante, reposant sur un subtil équilibre entre burlesque et satire sociale, à travers des personnages grotesques. Les décors de Chantal Thomas structurent le spectacle en deux univers visuellement opposés : le premier acte s’ouvre sur un village stylisé où évoluent des bergers et Boulotte. L’esthétique y est colorée, mais déjà empreinte d’une certaine bizarrerie. Le contraste est frappant avec le palais royal, représenté comme un lieu décrépit et absurde. La mise en scène souligne la petitesse et le ridicule de cette cour au moyen d’espaces confinés ou de perspectives déformées. La ronde des courtisans, qui, littéralement, s’aplatissent devant le roi Bobèche, est un des moments les plus drôles de la production. Avec une attention particulière portée au mouvement et au comique de situation, Laurent Pelly règle une direction d’acteurs très chorégraphiée, avec des gags parfaitement millimétrés (chutes, poursuites, jeux de portes). Le cabinet secret et l’alchimiste Popolani confèrent une touche de fantastique macabre, mais toujours désamorcée par le rire. Car, on l’aura compris, on rit beaucoup durant les près de trois heures que dure la soirée.


Pour ses débuts dans la fosse de l’Opéra de Lausanne, Alexandra Cravero offre une lecture dynamique et incisive de la partition. Elle parvient à maintenir un rythme effréné tout en mettant en valeur les subtilités et les couleurs de l’instrumentation d’Offenbach. Sous sa baguette, le Sinfonietta de Lausanne fait preuve de réactivité et de précision. Le Chœur de l’Opéra de Lausanne participe activement à la folie ambiante, tant par sa cohésion vocale que par son engagement dans la mise en scène déjantée. La distribution vocale est en grande partie identique à celle de 2019, avec des solistes de haut vol, capables d’allier prouesse vocale et jeu de scène exigeant. Elle est emmenée par Héloïse Mas dans le rôle de Boulotte, qui offre une interprétation d’anthologie, alliant un timbre puissant, riche et corsé à une énergie débordante qui domine tout le plateau. Avec son look de bad boy aux lunettes noires, Florian Laconi incarne un Barbe‑Bleue charismatique et plein d’humour, offrant une prestation superbe pour sa clarté d’élocution et son aisance scénique dans ce rôle de prédateur ridicule. Dans le rôle de Popolani, Christophe Gay impressionne par sa présence théâtrale, qui renforce l’aspect fantastique et grinçant de la mise en scène. En couple royal, Christophe Mortagne (le roi Bobèche) et Julie Pasturaud (la reine Clémentine) apportent une dimension satirique importante, avec un Christophe Mortagne irrésistible en roi totalement dépassé par les événements. Jérémy Duffau (Prince Saphir à la mèche rebelle), Jennifer Courcier (Fleurette ingénue et lumineuse) et Thibault de Damas (Comte Oscar à la belle prestance) complètent une distribution très homogène et complice. Une réussite sur toute la ligne !



Claudio Poloni

 

 

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