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Une Chauve-Souris qui fait mouche

Zurich
Opernhaus
12/07/2025 -  et 10, 12, 14, 18, 26, 28, 31 décembre 2025, 2, 4, 6, 10 janvier 2026
Johann Strauss : Die Fledermaus
Matthias Klink (Gabriel von Eisenstein), Golda Schultz (Rosalinde), Regula Mühlemann (Adele), Ruben Drole (Frank), Marina Viotti (Prinz Orlofsky), Andrew Owens (Alfred), Yannick Debus (Dr. Falke), Nathan Haller (Dr. Blind), Rebeca Olvera (Ida)
Chor der Oper Zürich, Ernst Raffelsberger (préparation), Orchester der Oper Zürich, Lorenzo Viotti (direction musicale)
Anna Bernreitner (mise en scène), Hannah Oellinger, Manfred Rainer (décors, vidéo), Arthur Arbesser (costumes), Martin Gebhardt (lumières), Ramses Sigl (chorégraphie), Jana Beckmann (dramaturgie)


(© Herwig Prammer)


La nouvelle production de La Chauve-Souris à l’Opernhaus de Zurich est un succès sur toute la ligne. Dès les premières notes de l’Ouverture, le doute n’est pas permis : dans la fosse, Lorenzo Viotti imprime un rythme d’enfer à la soirée, offrant une lecture vive et alerte de la partition de Strauss, une lecture contrastée et dynamique, qui tient les spectateurs en haleine trois heures durant, sans le moindre temps mort, et jamais au détriment de la précision, ni de la transparence et de la richesse sonore. La partition a été enrichie de la célèbre polka Unter Donner und Blitz (Sous le tonnerre et les éclairs), qui porte parfaitement son nom ici, et, pendant l’Ouverture de l’acte III, de passages de mambo et de rumba ainsi que de la non moins célèbre polka Tritsch‑Tratsch, le tout coordonné de main de maître par le jeune maestro, dans une parfaite fluidité. Du grand art !


La metteur en scène autrichienne Anna Bernreitner a passablement chamboulé l’intrigue, mais dans le plus grand respect de l’ouvrage. Tout commence vingt ans plus tôt : pendant l’Ouverture est projeté un clip vidéo racontant l’histoire des principaux personnages, alors adolescents : Rosalinde se produit comme chanteuse de gospel, accompagnée par Alfred, dans un bar à champagne de Vienne. Falke est complètement sous le charme de sa voix et de son visage, mais il est beaucoup trop introverti et timide pour lui manifester ses sentiments. Il se fait griller la politesse par Eisenstein, bien plus démonstratif et entreprenant, lequel finit par proposer de danser à Rosalinde, qui tombe instantanément amoureuse de ce jeune homme décidé. Dépité, Falke boit jusqu’à être complètement ivre et finit la soirée par terre, inconscient, avec un masque de chauve‑souris sur le visage, que lui a fixé Eisenstein. Au lever de rideau, Rosalinde et Eisenstein forment un couple embourgeoisé au sein duquel l’amour a totalement disparu, un couple usé par la routine du quotidien. Rosalinde, qui rentre du travail fatiguée, avec une mallette frappée d’une croix rouge, est dépeinte comme une femme frustrée, qui regrette d’avoir abandonné sa carrière de chanteuse. A la fin de l’opéra, elle se retrouve entourée d’Eisenstein, de Falke et d’Alfred et doit choisir : poursuivre sa vie monotone avec son mari, reprendre sa carrière de chanteuse avec Alfred ou tout quitter pour refaire sa vie avec Falke, qui, vingt ans plus tard, est toujours fou amoureux d’elle ? C’est elle qui tient les cartes en main : elle a d’ailleurs dans sa main les clés de la prison, se trouvant, pour ainsi dire, dans une « position‑clé », et la metteur en scène d’enchaîner un petit couplet féministe, expliquant, dans le programme de salle, qu’en matière de proportion de femmes dans les postes à responsabilités, la Suisse se trouve en queue de classement, loin derrière les pays nordiques, la France et même l’Espagne, l’Italie ou encore la Grèce. Ce petit côté moralisateur mis à part, la production est absolument légère et pétillante, tout s’enchaîne de manière parfaitement fluide, comme il se doit pour la plus célèbre des opérettes de Johann Strauss. L’acte II se déroule sur une île tropicale kitsch à souhait, avec des palmiers en plastique et, en arrière-plan, un volcan qui fume. A l’acte III, Frosch est remplacé par trois nornes (comme dans Wagner !) qui incarnent le passé, le présent et le futur et qui guident le destin des personnages. Leur texte a été écrit par Patti Basler, une humoriste suisse très connue dans la partie germanophone du pays. Les interventions, pour moitié en allemand et pour l’autre moitié en dialecte suisse allemand, déclenchent les fous rires du public. On l’aura compris, on s’amuse et on rit beaucoup trois heures durant. Aussi les huées sonores qui ont accueilli l’équipe de production aux saluts finaux paraissent‑elles bien exagérées…), ... Peut‑être que le public zurichois n’a pas totalement apprécié la modification de l’intrigue ou la (légère) revendication féministe.


La distribution, elle, ne souffre d’aucune réserve. Elle est emmenée par Golda Schultz, Rosalinde nostalgique et énergique tout à la fois, à la voix brillante et soyeuse, qui n’hésite pas à entonner le célèbre Hit the road, Jack de Ray Charles pour évoquer son passé de chanteuse. Sa fameuse csardas « Klänge der Heimat » (« sons du pays natal ») devient ici « Klänge der Freiheit » (« sons de la liberté »). Et d’ailleurs, le mambo inopiné de l’acte III deviendra « mango » pour d’obscures questions de droits d’auteur ! Dans le rôle de la femme de chambre Adele, Regula Mühlemann séduit tout autant par son tempérament volcanique et ses pleurs sonores et intempestifs que par sa voix lumineuse et ses vocalises acérées. Véritable bête de scène, Marina Viotti offre un numéro d’anthologie en prince Orlofsky androgyne, endossant des costumes différents et chantant son couplet « Chacun à son goût » avec les accents les plus divers : d’abord, un accent parisien à couper au couteau, puis l’accent anglais alors qu’elle est le sosie (presque) parfait de Dame Edna Everage et enfin l’accent espagnol, île tropicale oblige, sans parler de son timbre corsé et chaud. Les messieurs ne sont pas en reste : on citera en premier lieu le Falke particulièrement sensible et émouvant de Yannick Debus. Dans le rôle d’Eisenstein, Matthias Klink passe avec facilité d’homme imbu de lui‑même et un brin macho à mari extrêmement jaloux et fragile. Andrew Owens incarne avec brio un hippie vivant encore dans les années 1970, avec son pantalon à pattes d’éph, ses bottes de cowboy et son foulard autour du cou, entonnant le Hit me Baby one more time de Britney Spears pour tenter de reconquérir le cœur de Rosalinde. On n’oubliera pas non plus le Frank facétieux de Ruben Drole. Un spectacle survitaminé et enthousiasmant à tous points de vue !



Claudio Poloni

 

 

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