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Ich bin ein Berliner Berlin Philharmonie 12/04/2025 - et 5*, 6 décembre 2025 Jean-Philippe Rameau : Naïs : Suite
Christophe Willibald Gluck : Don Juan ou le Festin de pierre
Wolfgang Amadeus Mozart : Symphonie n° 41 en ut majeur « Jupiter », K. 551 Berliner Philharmoniker, Jordi Savall (direction)
 J. Savall (© Sébastien Gauthier)
Philharmonie quasi pleine pour, sans doute, un des concerts du Philharmonique de Berlin les plus attendus de l’année puisque cette habituelle série de trois représentations allait voir l’illustre phalange dirigée par Jordi Savall. Certes, Emmanuelle Haïm, William Christie, Jean‑Christophe Spinosi ou Trevor Pinnock, entre autres, ont déjà dirigé l’orchestre qui, notamment sous les deux mandats de Sir Simon Rattle, a pris l’habitude d’inviter des « baroqueux » à sa tête mais l’idée d’entendre le chef et gambiste catalan Jordi Savall le conduire dans un répertoire qui, pour partie du moins, ne lui est guère familier avait de quoi susciter la curiosité.
En première partie, deux œuvres que le Philharmonique ne connaît guère, le ballet-pantomime de Gluck ayant même fait pour l’occasion son entrée au répertoire de l’orchestre ; en revanche, pour les avoir enregistrées l’une et l’autre chez Alia Vox, Jordi Savall savait de quoi il parlait. Pourtant, le résultat aura été plutôt décevant, chez Rameau comme chez Gluck. Dans la Suite que Savall a lui‑même tirée de Naïs (1748) et qui s’avère presque identique à celle enregistrée dans son magnifique disque « Jean‑Philippe Rameau, l’orchestre de Louis XV » (manquaient ce soir la « Gavotte pour les Zéphirs », la « Loure » et la « Musette »), l’Orchestre philharmonique de Berlin montre qu’il n’a pas la réactivité du Concert des Nations qui, en raison il est vrai de la complicité nouée depuis des années avec son chef, possède cette musique sur le bout de doigts. Est‑ce également en raison d’un effectif de cordes trop important (dix premiers violons, huit seconds, six altos, quatre violoncelles et trois contrebasses soit un total de trente‑et‑un musiciens) qui handicapa l’orchestre dans la vélocité de certains traits, les trilles ou appogiatures pouvant ici ou là s’avérer un peu lourds ? Toujours est‑il que, même si les timbres de la musette tenue pour l’occasion par Jean‑Pierre Van Hees nous transportaient assez vite dans ces mélodies si ouvragées, nous nous sommes un peu ennuyé. La mise en exergue des bassons ou des deux flûtes piccolo, le plaisir de jouer ensemble les deux « Rigaudons » ou la pompe finale de l’« Air de triomphe en rondeau » furent bien faits mais l’ensemble nous aura souvent paru très lisse. Certes, Jordi Savall, âge aidant peut‑être (il est né en 1941), adopta des tempi assez mesurés mais l’orchestre, de son côté, n’est pas parvenu à adopter le mordant et le tranchant des arêtes tel qu’un ensemble baroque sait les retranscrire, les cordes usant d’un vibrato modéré et manquant parfois de verve dans une musique qui requiert constamment rebond et imagination interprétative.
Don Juan (1761) est un ballet-pantomime de Gluck. Même si le programme ne l’indiquait pas, ce n’était pas la totalité du ballet qui était donnée ce soir (manquaient par exemple l’Allegro maestoso et l’Allegro furioso dans les premières pages de l’œuvre), mais on a eu droit à l’essentiel avec près de vingt‑cinq minutes d’une musique absolument enthousiasmante, riche d’une diversité incroyable tant dans les atmosphères que dans la manière d’user des instruments de l’orchestre. Dès la Sinfonia. Allegro, Jordi Savall adopte un geste et un son larges qui trahissent assez vite quelque lourdeur dans les appogiatures des cordes. Certes, dans l’Andante, le hautbois d’Albrecht Mayer est superbe (accompagné des seuls pizzicati des cordes) mais on a connu le soliste berlinois plus inspiré dans d’autres répertoires. Passons sur un Moderato un peu convenu et retenons plutôt le très attendu Moderato - Presto qui, accompagné par des castagnettes (choix déjà opéré par Jordi Savall dans son enregistrement discographique mais que ni Gardiner, chez Erato, ni Bruno Weil chez Sony n’ont retenu), fut excellent grâce notamment à la participation du théorbiste - guitariste Josep Maria Marti Duran, musicien du Concert des Nations ; pour autant, on peut reprocher au Philharmonique de Berlin d’avoir manqué de verdeur (Gardiner, par exemple, a magnifiquement su jouer sur ces sonorités acides) au bénéfice d’une trop grande élégance, un rien compassée. Après notamment un Allegretto tout en délicatesse (Jordi Savall s’étant même arrêté de diriger, laissant l’orchestre seul de peur de le déranger), le Philharmonique s’empara de la célèbre « Danse des furies » conclusive : même si l’on aurait pu souhaiter un tempo plus vif, ce fut un passage remarquable (les deux trompettes et le trombone, sombres comme jamais), qui suscita à juste titre l’enthousiasme du public.
Avec la Symphonie « Jupiter » de Mozart, le Philharmonique de Berlin retrouvait un terrain connu ; pourtant, là aussi, le résultat fut très bon sans être exceptionnel. Jordi Savall empoigna le premier mouvement avec une belle énergie, un Allegro vivace où brillèrent les deux bassons et où le soyeux des cordes berlinoises fit merveille. L’Andante cantabile fut le mouvement laissant l’impression la plus mitigée : si l’on ne pouvait que saluer le tempo assez allant choisi par le chef et la beauté des bois, la cohésion des premiers violons était plus que perfectible et les traits, en plus d’une occasion, manquèrent de netteté, instaurant de temps à autre des moments de flottement qui auraient pu s’avérer désastreux si l’on n’avait pas à faire à de tels professionnels (sur le podium comme ceux en face de lui). Battu à un temps et non à trois, le troisième mouvement frappa par sa fluidité : une totale réussite. Quant au dernier mouvement, joué avec toutes les reprises, il témoigna d’une véritable jubilation qui, en dépit là encore de problèmes de mise en place du côté des premiers violons, fut ovationné.
A défaut de véritable alchimie entre Jordi Savall et le Philharmonique de Berlin, on aura eu droit à un concert où, à l’évidence, les musiciens prirent plaisir à être dirigés par ce musicien à la fois profond humaniste et infatigable découvreur. Nul doute, vu l’insistance du public à applaudir pour que le chef revienne saluer seul sur scène, qu’on reverra Jordi Savall à la tête de cet orchestre dans les années à venir, peut‑être dans des répertoires qui conviendront mieux à l’un comme à l’autre (Mendelssohn, Haydn voire Beethoven). En attendant, les admirateurs du chef catalan pourront le retrouver à Berlin le 11 janvier 2026 pour l’écouter diriger pour la première fois la Karajan‑Akademie de l’Orchestre philharmonique de Berlin (Lully, Telemann et Händel), et le 16 mars pour un concert Mozart ô combien prometteur à la tête du Concert des Nations puisqu’associant le Concerto pour clarinette et le Requiem.
Sébastien Gauthier
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