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L’autorité d’un jeune maître

Lyon
Auditorium Maurice-Ravel
11/22/2025 -  
César Franck : Prélude, Choral et Fugue, FWV 21
Arno Babadjanian : Six Tableaux
Robert Schumann : Etudes symphoniques en forme de variations, opus 13

Jean-Paul Gasparian (piano)


J.‑P. Gasparian


Après les valeurs sûres que sont Grigory Sokolov et Vanessa Wagner, c’est à Jean‑Paul Gasparian que revenait l’honneur de représenter la génération montante à l’occasion de ce troisième récital des « Journées du piano » organisées par l’Auditorium-Orchestre National de Lyon. On ne dira jamais assez combien le piano français vit actuellement une période bénie : aux côtés d’Adam Laloum, Jonathan Fournel, Lucas Debargue, Alexandre Kantorow et de quelques autres, Gasparian est assurément l’un des artistes les plus intéressants au sein de cette garde montante de virtuoses lancés dans la carrière depuis une petite dizaine d’années. A tout juste 30 ans, il possède déjà une réputation solidement établie, notamment par le biais d’une discographie conséquente (albums Chopin, Rachmaninov, Debussy, musique arménienne...).


Pour sa première prestation à l’Auditorium Maurice-Ravel, Jean‑Paul Gasparian avance d’un pas conquérant depuis la coulisse, et marque d’emblée par son élégance de latin lover et son assurance. Cette présence scénique se confirme après son installation au clavier : calme et précis, mettant en jeu une technique superlative, qui attaque le clavier de haut en mobilisant les ressources des poignets et des bras davantage que celles de l’articulation digitale – point de jeu perlé chez ce virtuose passionné – économe de gestes superflus et de mimiques, il est assurément un pianiste beau à voir et à entendre jouer. Sa sonorité en impose par sa qualité et sa densité : toujours liquide et en même charpentée, elle se fait entendre avec ampleur et avec chaleur, le pianiste prenant soin d’agencer les plans sonores de manière très lisible et serrée en même temps.


Cette approche sculpturale – et structurale – convient à merveille au majestueux triptyque de César Franck qui ouvre le programme. Ici, rien de sulpicien, ni de figé, comme cela peut parfois s’entendre dans cette musique. Les trois volets sont animés d’un romantisme sombre et puissant, qui rend parfaitement justice aux vastes volumes et aux textures complexes de l’écriture franckienne. Si la diction présente parfois un petit défaut d’articulation à la fin des longues phrases du Prélude, le Choral est déclamé dans une pulsation idéale et avec une simplicité de bon aloi ; la Fugue, quant à elle, est entamée dans un tempo très vif, qui lui confère une énergie ardente, mais sans brutalité, servie par un jeu de pédale à la fois large et bien dosé. On admire ainsi l’assise pianistique et la parfaite gestion des dynamiques d’un jeu souverain dans ce répertoire.


On sait Jean-Paul Gasparian attaché à la musique du pays de ses origines paternelles, l’Arménie, depuis la publication en 2024 d’un bel album comprenant des pages de son propre père, Gérard Gasparian, ainsi que de Komitas, Khatchatourian et Arno Babadjanian. C’est ce dernier qu’il a à nouveau à cœur de défendre avec ces Six Tableaux, qui ne figuraient pas sur le disque. La découverte en est intéressante, entre stylisation de l’élément traditionnel et modernité instrumentale, dans une optique qui peut rappeler Bartók (« Improvisation » du Tableau n° 1), Prokofiev (rythmes motoriques des Tableaux n° 2 et n° 3) ou encore Ravel (Tableau n°°5, indiqué « Choral », dont la lenteur hypnotique et le motif répété évoquent « Le Gibet »). Le cycle se conclut en beauté avec une « Danse de Sassoun » notée Allegro energico, d’une difficulté pianistique impressionnante, que Jean‑Paul Gasparian conduit avec autorité jusqu’à son paroxysme.


Retour en terrain plus familier, pour finir, avec les Etudes symphoniques de Schumann, ici données dans leur version la plus monumentale, soit en intégrant, comme cela se fait le plus souvent désormais, les cinq variations posthumes retrouvées par Johannes Brahms. Dès le thème, Gasparian impressionne par la force de son énonciation, ses arpèges qui déferlent en vagues maîtrisées, sa manière de laisser le son s’enfler et s’épanouir. Faisant choix de tempos très contrastés d’une variation à l’autre, il tourne résolument le dos au pittoresque et à l’alanguissement, sinon à la tendresse que peuvent receler ces pages. Avec des basses très installées dans les profondeurs du clavier, des aigus de cristal et un medium soyeux, son approche est constamment celle d’une austère grandeur aux dimensions orchestrales. Le son est toujours serré et tenu, le toucher nerveux et parfois univoque, la structure solide et fermement tracée, dans une optique quasi « brutaliste », qui pourrait rappeler celle de Claudio Arrau dans son célèbre enregistrement Philips. C’est d’une main de fer que Gasparian tient tous les fils de la polyphonie schumanienne, jusque dans la fugue finale, projetant en pleine lumière et sans concession tous les détails de cette partition qui pourrait être traitée avec un peu plus de lyrisme et un peu moins de vigueur. C’est là du grand, du très grand piano assurément, mais la poésie de Schumann n’est pas toujours présente.


Au terme de cette performance impressionnante, Jean-Paul Gasparian, toujours souriant et maître de lui‑même, revient bien volontiers à son clavier pour deux bis magnifiques. D’abord, une nouvelle pièce de Babadjanian (sauf erreur l’Elégie figurant sur son récent disque), puis de somptueux « Jardins sous la pluie » de Debussy, où se conjuguent avec éclat la peinture des paysages harmoniques et la liquidité des mélodies.


Le site de Jean-Paul Gasparian



François Anselmini

 

 

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