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Virtuose... ou virtuosement brouillon ?

Baden-Baden
Festspielhaus
11/23/2025 -  
Baldassare Galuppi : Sonate en do mineur, R 50
Johann Sebastian Bach : Nun freut Euch, lieben Christen g’mein, BWV 734 – Nun komm, der Heiden Heiland, BWV 659 – Ich ruf’ zu Dir, Herr Jesu Christ, BWV 639 (transcriptions Ferruccio Busoni)
Gaspar Sanz : Canarios
Jean-Philippe Rameau : Pièces de clavecin : Suite en mi mineur, RCT 2 : 8. « Tambourin »
Georg Friedrich Händel : Sarabande Piano Meditation (arrangement Stadtfeld, d’après la Sarabande de la Suite HWV 437)
Joseph-Nicolas-Pancrace Royer : Pièces de clavecin (Livre I) : 4. « Tambourin »
Frédéric Chopin : Sonate pour piano n° 2 en si bémol mineur, opus 35
Franz Liszt : Sonate en si mineur, S. 178
Richard Wagner : Isoldes Liebestod (transcription Liszt)

Martin Stadtfeld (piano)


M. Stadtfeld


Martin Stadtfeld, 45 ans aujourd’hui, a durablement centré sa carrière sur ses interprétations de l’œuvre de Jean‑Sébastien Bach, notamment après avoir été, en 2002, le premier pianiste allemand à remporter le Concours international Bach de Leipzig. Une victoire qui a amorcé pour lui un singulier processus de vedettarisation, autour d’une approche de la tradition bachienne revendiquée comme profondément personnelle, et qui n’a pas manqué d’alimenter la controverse. Une longue série d’enregistrements pour Sony Classical lui a ensuite offert une visibilité considérable, fondée sur des récitals très appréciés en ligne (plus de cent millions de clics, selon son agent) mêlant transcriptions et arrangements d’esthétiques très diverses, du baroque au romantisme. Autant d’éléments qui ont façonné l’image d’un artiste atypique, volontiers décrit comme « clivant ».


Car si Stadtfeld bénéficie d’un solide ancrage dans le paysage musical germanophone, sa réception demeure contrastée. Certains saluent la clarté et la rigueur de son jeu, alors que d’autres pointent des options jugées racoleuses, voire un rapport au public flirtant trop avec le concert-spectacle. En tout cas un pianiste dont la trajectoire, essentiellement allemande mais très médiatisée, ne peut qu’éveiller la curiosité. Et l’occasion de s’en faire une idée plus précise s’offre ce soir au Festspielhaus de Baden‑Baden. Un retour fortement encouragé par l’un des mécènes de la maison (héritier et dirigeant d’une célèbre manufacture familiale de joaillerie, dont beaucoup de dames connaissent en Allemagne le fameux logo en forme de W), lequel a expressément souhaité voir revenir Martin Stadtfeld dans cette salle où il conserve manifestement un cercle fidèle d’admirateurs.


Un auditoire moyennement nombreux, mais dont il faut souligner l’exceptionnelle concentration. Quasiment aucun bruit de toux – performance notable en cette fin d’automne humide – et même un silence impressionnant : manifestement, Martin Stadtfeld sait immédiatement capter son public, en quelque sorte l’obliger à écouter, notamment au cours de passages joués avec un extrême raffinement, autour d’impalpables nuances pianissimo. La Deuxième Sonate de Chopin en contient quelques‑uns de particulièrement étudiés, comme la partie centrale du Scherzo ou toute la Marche funèbre. Des moments détaillés avec une certaine pureté, sans afféterie de phrasé. La Sonate en si mineur de Liszt en recèle aussi d’assez beaux, mais ces éclaircies perlées sont les seules vraiment supportables, le reste paraissant d’une virtuosité bâclée, parfois incohérente, avec trop de passages fortissimo d’une laideur ferraillante, et des ruptures de gradations qui compromettent gravement la réussite de l’ensemble. Très décevant aussi le Liebestod de Wagner transcrit par Liszt : construction dynamique mal pensée, chant insuffisant, et surtout un manque de finition technique difficilement concevable à ce niveau d’excellence revendiqué.


Début de récital caractéristique : beaucoup de petites pièces très diverses, que Statdfeld enchaîne d’un seul tenant, pour couper court à toute interruption par des applaudissements. Au risque que son auditoire, pas forcément familier de tout, ne sache plus très bien ce qu’il est en train d’écouter. Trois mouvements d’une Sonate en do mineur de Galuppi gentiment articulés mais souvent noyés d’une pédale excessive, un premier Bach/Busoni (Nun freut euch, lieben Christen g’mein) dont l’énoncé du choral à la main gauche disparaît trop sous les doubles croches de la main droite, un allègre Canarios d’après Gaspar Sanz, un deuxième Bach/Busoni (Nun komm, der Heiden Heiland) d’une assez belle profondeur, un « Tambourin » de Rameau qui manque de précision et de rebond, une bien vilaine Sarabande Piano Meditation (sic) d’après Haendel, qui noie continuellement un thème tout simple sous d’inutiles trémolos de la main droite, un autre « Tambourin », de Pancrace Royer, joué davantage comme un pan de folklore que comme une pièce baroque, et enfin un troisième Bach/Busoni (Ich ruf’ zu Dir, Herr Jesu Christ) à nouveau d’un recueillement bienvenu, enchaîné directement ensuite avec le début de la Deuxième Sonate de Chopin... Bref une sorte de play‑list décousue, où Stadtfeld souffle alternativement le chaud, le froid, le précis et l’approximatif, le sublime et le vulgaire... Intéressant mais déconcertant, en tout cas très inégalement concluant. Comparaison inévitable avec Grigori Sokolov très enclin lui aussi à ce genre d’exercice de petites pièces caractéristiques mises bout à bout. Mais le pianiste russe, lui, le fait en général à l’heure des bis, et surtout à un niveau de perfection pianistique autrement concluant.


Bis désastreux : un troisième mouvement du Concerto italien de Bach traversé à toute blinde, probablement en moins de trois minutes, où plus aucun phrasé ni articulation ne peuvent ressortir, beaucoup d’imperfections techniques restant de toute façon noyées dans une pédale envahissante. Une sortie clinquante et creuse, à l’image de beaucoup trop de moments d’un récital dont on retire surtout l’impression qu’il est donné par un artiste doué, mais qui galvaude sans scrupules son talent. On ne nous y reprendra probablement plus.



Laurent Barthel

 

 

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