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Miracle renouvelé Lyon Auditorium Maurice-Ravel 11/22/2025 - Philip Glass : Etudes n° 1, n° 2, n° 3, n° 6, n° 9, n° 11, n° 14, n° 15 et n° 16
Johann Sebastian Bach : Das wohltemperierte Klavier (Teil I) : Préludes n° 1 en ut majeur, BWV 846, n° 2 en ut mineur, BWV 847, n° 5 en ré majeur, BWV 850, n° 16 en sol mineur, BWV 861, et n° 17 en la bémol majeur, BWV 862 – Das wohltemperierte Klavier (Teil II) : Préludes n° 12 en fa mineur, BWV 881, et n° 20 en la mineur, BWV 889 Vanessa Wagner (piano)
 V. Wagner
Saluons pour commencer l’heureuse initiative prise par Laurent Joyeux, directeur artistique de l’Auditorium-Orchestre national de Lyon (ONL), avec cette première édition des « Journées du piano » venant réchauffer ce week‑end de novembre déjà hivernal. Inauguré par Grigory Sokolov le vendredi soir, ce mini‑festival se poursuit avec la venue à Lyon de Vanessa Wagner le samedi en fin de matinée, en attendant Jean‑Paul Gasparian l’après‑midi et Rudolf Buchbinder le soir en soliste de l’ONL. Si l’on passera rapidement sur la prestation du vénérable pianiste autrichien dans le Vingt‑septième Concerto de Mozart (son passablement étriqué, jeu routinier et sans grande animation, (dés)accord problématique avec l’orchestre et la direction énergique de Nikolaj Szeps‑Znajder), il convient de louer la qualité exceptionnelle des trois récitals proposés au fil de ces « Journées », auxquels s’ajoute un concours de piano amateur baptisé « A vos pianos... prêts... jouez ! » et organisé en partenariat avec le centre commercial voisin de l’Auditorium.
Après le choc de son récital à La Roque d’Anthéron en juillet dernier, puis l’éclatante réussite de son enregistrement intégral pour l’éditeur InFine), c’est avec beaucoup d’impatience que l’on retrouve Vanessa Wagner dans les Etudes de Philip Glass. Le programme choisit ici de ne retenir que neuf des vingt pièces du corpus, en les faisant alterner avec des Préludes du Clavier bien tempéré. Si l’on pouvait être initialement un peu sceptique quant à la pertinence de cette association et surtout regretter de ne pouvoir entendre certaines des études les plus marquantes (les Cinquième, Douzième et Vingtième par exemple), force est de constater, tout au long du récital, que l’agencement conçu par Vanessa Wagner témoigne une nouvelle fois de l’intelligence et de la créativité de cette artiste à nulle autre pareille. Son propos n’est pas, banalement, de souligner l’influence de Bach sur Glass ou la parenté entre deux compositeurs séparés par plus de trois siècles, mais bien d’opérer des rapprochements souvent très stimulants en éclairant certaines pièces à la lumière des autres, afin de préparer et d’orienter l’écoute d’une manière de façon à la renouveler et à l’approfondir. Rendus à leur fonction originelle, mais disjoints de leurs fugues, les Préludes de Bach servent ainsi parfois d’introduction aux magistrales pièces de Glass ; mais à l’inverse, ils apportent à d’autres moments une détente, sinon une délivrance après les ondes d’une intensité foudroyante – et éprouvante – dont sont parcourues les Etudes sous les doigts de Vanessa Wagner.
Ainsi en est-il en début de programme, lorsqu’après l’Etude n° 1, qui saisit aussitôt l’auditeur, puis l’Etude n° 2, achevée par une extinction sépulcrale à couper le souffle, retentit la mélodie d’une simplicité angélique du premier prélude (BWV 846), qui marque une sorte de retour à la vie. De même, jouée avec une véhémence bienvenue, le Prélude BWV 847 s’intercale avec bonheur entre les virtuoses Etudes n° 3 et n° 9 qui concluent le programme. Si certaines parentés sont ainsi soulignées, par exemple encore entre l’Etude n° 14 et le Prélude en la mineur BWV 889, Vanessa Wagner ne cherche nullement à tirer Bach en direction de Glass ou le contraire. La manière dont le pianiste change d’approche en même temps que de compositeur est spectaculaire : au moment d’aborder Bach, le poids sur le clavier s’allège, l’intensité du jeu se desserre, la sonorité s’affine et se simplifie, là où l’interprétation de Philip Glass est marquée par une concentration et une puissance de tous les instants. Si certains préludes, tels que le Prélude en la bémol majeur BWV 862 paraissent un rien longuets, dans l’attente de la prochaine rafale émotionnelle et musicale que constitue que chaque étude de Glass, le dispositif fonctionne très bien, car il parvient à faire de ce récital une expérience différente des précédentes prestations de Vanessa Wagner récemment saluées, mais non marquante.
Venons-en en effet à l’essentiel, qui est ailleurs, soit, de nouveau, dans l’interprétation hors du commun que Vanessa Wagner offre des Etudes de Philip Glass. Cette fois, l’effet de surprise ne pouvait jouer, et nous étions prévenus, car nous étions on ne peut plus averti des sortilèges que déploie la pianiste dans cette musique et de l’impact émotionnel, sinon existentiel qu’ils peuvent avoir sur l’auditeur. Et pourtant, dès les accords solennels qui ouvrent l’Etude n° 1, et plus encore dans le déroulement infini des mélodies qui suivent, on est empoigné et enveloppé par le son magique qui s’échappe du piano et des doigts d’une Vanessa Wagner peut‑être encore plus recueillie et habitée que sous les voûtes de l’Abbaye de Silvacane. Habilement entrecoupée, nous l’avons dit, par les Préludes de Bach, la sélection d’Etudes nous fait voyager au long de ce corpus époustouflant, en suivant une savante gradation d’intensité virtuose. Après les deux premières pièces du cycle, déjà évoquées, le triptyque quasi schubertien formé par les Etudes n° 11, n° 15 et n° 16 constituent l’incontestable sommet du récital. Dans leur climat sombre et exalté, le rythme du cœur et de la respiration se calque sur celui de la musique, tandis qu’un silence impressionnant s’installe dans la salle, toute entière captivée par le miracle en train de se renouveler. Ainsi l’Etude n° 16, prise dans un tempo très mesuré, en sa mélodie vibrante et entrecoupée de trilles menaçants dans les graves, nous emmène aux confins du son et du silence, un peu à la manière du mouvement lent de l’ultime Sonate D. 960 de Schubert. Après cela, Vanessa Wagner fait le choix de poursuivre sur des chemins plus virtuoses, avec une Etude n° 6 jouée à tombeau ouvert, presque un peu expédiée, puis avec l’ostinato et l’urgence de l’Etude n° 3, où la science du son de l’interprète fait merveille, notamment avec un jeu de pédales d’une précision infinitésimale. Puissante, parcourue d’une fièvre pianistique qui ravage tout sur son passage, l’Etude n° 9 vient conclure le programme avec éclat.
On est cependant heureux, après une standing ovation plus que méritée, que Vanessa Wagner décide de revenir à plus d’intériorité à l’heure des bis, d’abord avec l’Etude n° 18, jouée dans un tempo très retenu qui permet d’en révéler tout le sublime, puis, surtout, avec l’Etude n° 8 – assurément l’une des plus belles du cycle – qui vient une dernière fois nous faire vibrer et trembler au cœur de la musique de Philip Glass.
François Anselmini
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