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Le nénuphar du mal

Lille
Opéra
11/05/2025 -  et 7, 9*, 12, 15 novembre 2025
Edison Denisov : L’Ecume des jours
Josefin Feiler (Chloé, Le chat), Cameron Becker (Colin), Katia Ledoux (Alise), Elmar Gilbertsson (Chick), Edwin Crossley-Mercer (Nicolas), Natasha Te Rupe Wilson (Isis), Robin Neck (Pégase, Le prêtre, Le sénéchal), Maurel Endong (Jésus, Le directeur de la fabrique), Matthieu Lécroart (Coriolan, Professeur Mangemanche), Malgorzata Gorol (La souris), Madeleine Penet‑Avez/Violette Picot (Une fillette), Rémy Berthier (Le pharmacien)
Chœur de l’Opéra de Lille, Virginie Déjos (cheffe de chœur), Orchestre national de Lille, Bassem Akiki (direction musicale)
Anna Smolar (mise en scène), Anna Met (décors), Julia Kornacka (costumes), Felice Ross (lumières), Pawel Sakowicz (chorégraphie), Natan Berkowicz (vidéo)


(© Simon Gosselin)


Cette nouvelle production se situe dans la constellation d’automne. Ne levez pas les yeux au ciel ce soir pour l’identifier : constellations, c’est ainsi que l’Opéra de Lille, désormais placé sous la direction de Barbara Eckle, divise en quatre la programmation de cette saison, en l’occurrence une par saison, chacun d’elle comportant une production d’opéra, ainsi qu’un concert ou un récital, un spectacle de danse et d’autres rendez‑vous, avec un fil conducteur. Le choix du premier opéra, de la saison, mais aussi de ce nouveau mandat, L’Ecume des jours d’Edison Denisov (1929‑1996), qui n’avait plus été représenté en France depuis sa création, en 1986, à l’Opéra-Comique, est vraiment étonnant. La directrice n’a pas opté pour la facilité, avec un opéra célèbre pour attirer du monde, ni même pour la création d’un tout nouvel opéra, mais elle prend le pari de redonner sa chance à une œuvre créée il y aura bientôt quarante ans et signée par un compositeur dont les œuvres ne sont plus tellement jouées depuis son décès. Et l’audace ne s’arrête pas là : deux autres opéras à l’affiche prochainement appartiennent également au vingtième siècle, L’Affaire Makropoulos de Janácek, du 5 au 15 février, une mise en scène créée à l’Opéra des Flandres, et Les Enfants terribles de Philip Glass, du 20 au 26 mars. La saison se terminera, pour le quatrième opéra, celui de la constellation d’été, avec La Flûte enchantée, du 9 au 26 mai, dans l’excellente mise en scène de Barrie Kosky. L’Opéra de Lille va‑t‑il continuer à accorder une place à la musique baroque, fort présente dans sa programmation durant le mandat de Caroline Sonrier, du fait de la résidence du Concert d’Astrée ?


Edison Denisov a lui-même rédigé le livret, en français, en apportant sa propre interprétation du roman de Vian : il y ajoute une dimension spirituelle, religieuse, même, ce que suggère la musique qui emprunte à un moment à la liturgie orthodoxe, un aspect que la mise en scène ne cherche toutefois pas à souligner. C’est qu’Anna Smoral développe sa propre lecture, non seulement du roman, mais aussi de cet opéra, ce qui aboutit à une proposition personnelle et argumentée. Pourtant, malgré la qualité de la direction d’acteur, de haut niveau, avec la contribution de danseurs, et de comédiens, malgré aussi la scénographie, qui crée un univers étrange et inquiétant, ce spectacle non dépourvu d’humour peine un peu à rendre lisible et actuelle cette œuvre de Vian. La mise en abyme, pourtant, reflète bien notre époque : Chloé, malade, vit en couple avec une femme, mais elle imagine une histoire d’amour avec un garçon, Colin, tandis que la révolution gronde, celle de mai 1968, les livres brûlant dans ce braisier. Et les thèmes principaux, l’amour, la maladie, la mort, se retrouvent bel et bien dans ce spectacle conceptuellement cohérent, et là réside sans doute l’essentiel. Voilà donc une mise en scène riche, touffue, déroutante, et dans laquelle il se passe souvent quelque chose d’intéressant. Elle incite à lire, ou à relire, ce classique de la littérature pour mieux comprendre ce que ce dernier et ce spectacle nous disent sur la jeunesse d’aujourd’hui, sans doute pas si différente de celle d’hier.


Peut-être certains pensent‑ils que ce roman a mal vieilli. Et la musique de Denisov ? Selon nous, non, elle captive, d’ailleurs, par sa puissance, sa clarté, ses emprunts, notamment au jazz, ses citations, également, Tristan et Isolde, un autre opéra parlant d’amour et de mort, tout cela intégré avec maîtrise et inspiration. Cette musique de facture libre possède sa propre singularité, du relief, de la profondeur, et elle laisse une trace. Contribuant à l’intérêt de cette production, elle exige beaucoup de l’Orchestre national de Lille, ni plus ni moins qu’excellent sous la direction experte de Bassem Akiki, un chef apprécié pour son expérience de l’opéra contemporain. Cette composition comporte, en particulier, une importante et réjouissante partie de percussions.


Cet opéra n’épargne pas non plus les voix, loin de là, mais il existe d’autres œuvres plus valorisantes sur le plan vocal. Si les chanteurs confèrent du relief et de la profondeur aux personnages, la diction manque trop souvent de netteté. La distribution aurait idéalement dû ne comporter que des interprètes francophones, malgré les mérites de Josefin Feiler et de Cameron Becker en Chloé et en Colin qui ne réussissent pas tout à fait, peut‑être à cause de la mise en scène, à rendre ce couple attachant et émouvant. Epinglons, alors que la mezzo‑soprano est annoncée souffrante, la prestation de Katia Ledoux qui se démarque par la beauté du timbre et la noblesse du chant.


Le site de l’Opéra de Lille



Sébastien Foucart

 

 

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