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Sous le signe de l’exubérance Paris Ircam 10/16/2025 - Alex Paxton : That One Friend (création) – Needy Mouth Corners (création)
Lisa Illean : Tiding III (création)
Rebecca Saunders : Us Dead Talk Love Noa Frenkel (contralto), Alex Paxton (trombone)
Ensemble Nikel
Yann Brecy (électronique Ircam), Luca Bagnoli (diffusion sonore Ircam)
 A. Paxton (© Rui Camilo)
L’on sait gré à Clara Iannotta, directrice du Festival d’automne, de nous faire découvrir Alex Paxton (né en 1990), le nouveau bad boy de la scène musicale britannique. Deux créations manifestent l’exubérance bigarrée de son style marqué par l’improvisation. That One Friend (2025) en constitue d’emblée un bon exemple, qui voit l’interprète interagir avec l’électronique en temps réel (loop et autre sample). Ne demandons pas à cette pièce la cohésion formelle qu’elle ne peut offrir : discontinuité et dynamisme sont les maîtres‑mots de ces quinze minutes rhapsodiques où le compositeur-interprète fait littéralement corps avec son instrument, le trombone (et sa pléiade de sourdines). Adepte du glissando, de la plasticité (confondante) de la ligne, du « chant » à travers son tuyau, Alex Paxton et sa tenue de soirée aux couleurs de l’arc‑en‑ciel évoque le célèbre clown suisse Grock, dont Luciano Berio s’est inspiré pour sa Sequenza V (1966)... créée par un autre éminent compositeur-tromboniste, Vinko Globokar.
Les musiciens de l’Ensemble Nikel empoignent le non moins euphorisant Needy Mouth Corners pour saxophone, guitare électrique, claviers (piano, synthétiseur) et percussions. On entend, au gré de plusieurs séquences enchaînées, boucles minimalistes et formules en arpèges brisés parfaitement restituées par Brian Archinal (percussion, notamment batterie et vibraphone), Yaron Deutsch (guitare électrique), Antoine Françoise (claviers) et Patrick Stadler (saxophone). Au sein du carillonnement général se dessinent des mouvements parallèles entre saxophone et clavier. Il y a quelque chose d’une musique de récupération dans cette hybridation du matériau, mais sans la dimensions funèbre et cataclysmique qu’on observe chez un Gustav Mahler : le ton est ici résolument joyeux et optimiste.
Avec le même effectif, la compositrice australienne Lisa Illean (née en 1983) génère une esthétique sonore qui diffère du tout au tout. Tiding III nous plonge en effet dans un univers ouaté, celui des interpolations lentes, des vaguelettes sonores dont le statisme et la douceur ne sont pas sans évoquer la dernière manière de Morton Feldman – l’électronique en plus. La guitare fait entendre un motif d’accompagnement repris par le piano cependant que le saxophoniste et le percussionniste (qui opère sur une guitare disposée horizontalement) se cantonnent à un rôle plus atmosphérique.
L’affinité qu’entretient Rebecca Saunders (née en 1967) avec la voix n’est plus à démontrer. Us Dead Talk Love (2021) suffirait à en administrer la preuve, porté par l’interprétation hors norme de la contralto israélienne Noa Frenkel. Il faut dire que le texte intense et tourmenté d’Ed Atkins semble écrit sur mesure pour l’art de la compositrice britannique qui n’aime rien tant que décomposer, triturer, voire injurier les phonèmes tout en incorporant leur atomisation à la liquidité d’un flux de conscience. De là cette vocalité schizophrénique, prise en tenaille entre contrainte et lâcher‑prise (sous contrôle). Faisant alterner raucité, cisèlement des mots, tremblements et sauts de registres, la chanteuse (amplifiée) mène le jeu, secondée par la réactivité souvent mimétique des musiciens, au premier rang desquels le saxophoniste – lequel partage avec la soliste l’usage du souffle – tandis que le percussionniste assume une tâche davantage disruptive. Peu avant la fin, un bref passage instrumental aux résonances spectrales infléchit la dramaturgie de cette œuvre inoubliable, point d’orgue d’un concert particulièrement riche en surprises et en émotion.
Jérémie Bigorie
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